À Toulouse, Agnès Jaoui présente une nouvelle mise en scène de l’opéra Don Giovanni, inscrivant le chef-d’œuvre de Mozart dans une réflexion contemporaine. Son approche interroge la fascination et la violence d’un personnage dont les dérives résonnent encore aujourd’hui.
L’actrice et réalisatrice multi-césarisée Agnès Jaoui signe jeudi à Toulouse sa troisième mise en scène d’opéra: Don Giovanni de Mozart, «une sorte d’ogre qui fascine autant qu’il dégoûte», dont les méfaits résonnent avec les affaires de violences sexistes et sexuelles qui secouent l’actualité.
Après près de quarante ans de carrière et sept César, la réalisatrice du Goût des autres (2000) a expliqué à l’AFP être restée «extrêmement humble vis-à-vis d’une partition sublimissime d’un compositeur de génie».
Pour monter le chef-d’œuvre du compositeur autrichien, Agnès Jaoui a dû se confronter au personnage sulfureux de Don Giovanni, qui commet dès le lever de rideau une tentative de viol puis tue le père de sa victime.
«Ogre»
«Don Giovanni, c’est un aristocrate qui est au-dessus des lois, qui se permet ce qui était permis à l’époque, c’est-à-dire de prendre n’importe quelle fille du peuple, de coucher avec et de la jeter après», explique la metteuse en scène, qui a cherché à «comprendre» le personnage, perdu «dans l’addiction» selon elle.
«C’est une sorte d’ogre qui fascine et dégoûte, qui provoque, qui fait bouger tout son monde en rapport à lui», analyse-t-elle. «Il cherche sa perte, il cherche la limite, il cherche que quelqu’un lui dise «stop» (...) jusqu’à ce qu’il tombe en overdose de lui-même.»
«Comme réalisatrice et comme scénariste, Agnès Jaoui a toujours posé ce genre de sujet, celui des rapports humains, de la séduction, du bien et du mal», explique le directeur artistique de l’Opéra national du Capitole, Christophe Ghristi.
Tombée dans le chant lyrique à 17 ans, la comédienne de 61 ans exerce en tant que soprano à ses heures perdues, avec quatre albums à son actif et une Victoire de la musique en 2007.
Après Tosca de Puccini en 2019 et L’Uomo Femina de Baldassare Galuppi en 2024, elle met en scène à Toulouse son troisième opéra, qui sera ensuite joué à Dijon, Montpellier, Marseille et Tours.
Elle a voulu son Don Giovanni dans un magnifique décor d’époque, avec pour inspiration «un quartier gothique de Barcelone», et le spectateur découvre ainsi au lever de rideau de sombres ruelles aux murs percés de rosaces et d’alcôves, dont l’enduit craquelé laisse par endroits apercevoir des briques ocres. Clin d’œil à la Ville rose?
«J’ai eu envie qu’on ressente ce qui pouvait se passer dans cette société qui était pesante», dit-elle à l’AFP de ce décor monumental. «Si on peut reconnaître une qualité à Don Juan (la graphie espagnole de Don Giovanni, ndlr), c’est qu’il n’a peur de rien et qu’il est quand même très anticonformiste. Les autres sont corsetés par le poids de cette société, des religions, des normes, etc., et lui explose tout ça. C’est en ce sens qu’il est aussi fascinant.»
«Puni»
Au début de cet opéra créé en 1787, Don Giovanni fuit les appartements de Donna Anna, qu’il vient de tenter de violer en se faisant passer pour son fiancé, puis tue son père le Commandeur. Loin de s’en formaliser, il passe ensuite le reste de l’œuvre à mentir et manipuler tout un chacun pour mieux séduire les femmes qui passent à sa portée.
«Il faut bien dire que l’opéra n’est pas une chose réaliste et que Don Giovanni n’est pas un cours sur les violences sexistes et sexuelles (...) L’époque est univoque, mais les œuvres ne le sont pas», souligne Christophe Ghristi.
Et même si, «à la fin, le débauché est puni» (Don Giovanni est entraîné dans les enfers par le Commandeur revenu d’entre les morts), «le fait qu’il disparaisse ou qu’il soit mis hors d’état de nuire ne résout pas tout. Ça laisse des traces dans la vie de chacun», poursuit le directeur artistique.
«Le rapport de force social continue à exister. L’idée, dans la conjugalité, de se servir de la femme pour son plaisir, reste et demeure. Elle est questionnée, mais on voit bien qu’il faut beaucoup de coups de boutoir pour changer l’ordre des choses», estime Agnès Jaoui. «J’espère que les révolutions féministes successives en arriveront à bout un jour.»
Par Valentin GRAFF / AFP



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