La crise entre Tokyo et Pékin a changé de ton après une déclaration de la Première ministre japonaise sur Taïwan. En quelques heures, les réactions se sont durcies, les insultes ont circulé et les annulations de vols se sont multipliées. Cette montée de tension s’inscrit dans un face-à-face plus large, nourri par l’histoire, la sécurité et l’ombre portée des États-Unis.
La déclaration qui a déclenché l’orage
Tout est parti d’une intervention très brève. Le 7 novembre, devant les députés japonais, Sanae Takaichi a estimé qu’un recours à la force contre Taïwan pourrait menacer «la survie du Japon». Elle a expliqué qu’il fallait désormais réfléchir au «pire scénario». Cette prise de position n’a pas mis longtemps à traverser le détroit. Pékin a répondu presque immédiatement en avertissant que toute tentative d’ingérence dans la «réunification» serait contrée «avec force». Le consul général de Chine à Osaka est même allé beaucoup plus loin dans un tweet rapidement supprimé, où il évoquait l’idée de «couper cette sale tête». Un échange qui a surpris par sa dureté.
Pourquoi Taïwan est un dossier sensible pour la Chine
Pour saisir l’enjeu, il faut remonter à 1949. Cette année-là, les nationalistes chinois, battus par les communistes, se réfugient à Taïwan. Pékin considère alors l’île comme une province séparée par les circonstances, mais appartenant à la même nation.
Depuis, la Chine répète que l’unité territoriale est non négociable. Taïwan représente à la fois un héritage historique, une question de sécurité liée au contrôle du détroit, et un symbole politique majeur pour le pouvoir central. L’idée d’«une seule Chine» structure toute sa diplomatie. Le modèle «un pays, deux systèmes» est présenté comme une solution, censée garantir une large autonomie à l’île. Mais son application à Hong Kong a changé la perception de beaucoup de Taïwanais. Parce qu’à Hong Kong, justement, les réformes imposées ces dernières années ont réduit les libertés promises lors de la rétrocession. Pour la population taïwanaise, c’est devenu un signal d’alerte, ce cadre n’offrant pas les garanties annoncées.
Hong Kong, ancienne colonie britannique rendue à la Chine en 1997, sert depuis de précédent. Son évolution politique nourrit les craintes de Taïwan face au projet d’unification défendu par Pékin. Et dans ce contexte, chaque mot prononcé par un dirigeant étranger sur l’avenir de l’île prend un poids particulier et déclenche des réactions immédiates en Chine.
Au Japon, une Première ministre qui casse les habitudes
L’arrivée de Sanae Takaichi, le 21 octobre 2025, a créé une rupture. Certains médias étrangers la décrivent déjà comme une «Iron Lady» (Dame de fer) japonaise, une dirigeante qui assume une ligne directe sur les questions de défense. Jusqu’ici, les Premiers ministres japonais se contentaient de formules prudentes sur Taïwan. Aucun n’avait évoqué ouvertement l’idée qu’une offensive chinoise pourrait entraîner une mobilisation japonaise.
Des spécialistes cités dans la presse rappellent pourtant qu’elle n’a fait que préciser un cadre déjà existant, inscrit dans la doctrine adoptée en 2015 sur la défense collective. Mais la façon de le dire a changé, et c’est ce qui a crispé Pékin, qui l’a même qualifiée de «sorcière diabolique».
Un climat qui se détériore de jour en jour
La tension est montée d’un cran dans les faits. Depuis le 15 novembre, près de 491.000 billets d’avion vers le Japon ont été annulés en Chine. En quelques heures, un tiers des réservations a disparu. Pékin conseille désormais à ses ressortissants d’éviter le Japon. Tokyo appelle les siens à la prudence en Chine. Les échanges officiels sont tendus, les médias des deux pays multiplient les déclarations choc, et l’opinion publique s’enflamme. Cette crise s’ajoute à une relation déjà fragile: litiges en mer de Chine orientale autour des îles Senkaku/Diaoyu, rivalités technologiques et souvenirs de guerre non résolus. Un article du Journal de Montréal, publié hier, liste d’ailleurs une série de contentieux qui, mis bout à bout, forment une base explosive.
Les États-Unis en arrière-plan, mais jamais loin
Washington dit suivre chaque étape avec attention. L’alliance américano-japonaise reste le pilier de la stratégie américaine en Asie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bases militaires, coopération stratégique, coordination diplomatique… les liens sont profonds. La visite de Donald Trump au Japon, fin octobre 2025, a renforcé cette impression. Il a parlé d’un «nouvel âge d’or» entre les deux pays, dans un contexte où la Chine est vue comme le principal rival des États-Unis. Sur Taïwan, Washington maintient son «ambiguïté stratégique», mais les signaux sont clairs: en cas de crise, le Japon n’affrontera pas la Chine seul. De son côté, Pékin accuse les États-Unis d’encourager Tokyo et d’attiser les tensions.
Une escalade qui interroge sur la suite
Peut-on imaginer un dérapage militaire? Des analystes interrogés par la RTBF restent prudents. Aucun des deux pays n’a intérêt à un conflit car les économies sont trop liées, et les risques, trop élevés. Mais cette confrontation montre une évolution. Le Japon parle plus franchement, la Chine plus violemment, et les États-Unis soutiennent Tokyo sans hésiter. Le détroit de Taïwan reste le point le plus sensible d’Asie. Et cette crise, même sans déboucher sur une guerre, modifie déjà les équilibres.




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