Après la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre dernier, le président français Emmanuel Macron a plaidé pour une relation « apaisée » avec l’Algérie. Un objectif difficile à atteindre au vu des blessures et tensions profondes entre les deux pays, marqués par l’héritage colonial.
Lors d’un point de presse au sommet du G20 à Johannesburg, Emmanuel Macron a affirmé : «Je veux bâtir une relation d'avenir qui soit apaisée, mais on doit corriger beaucoup de choses et on sait que sur beaucoup de sujets, sécuritaire, migratoire, économique, on n'est pas dans une situation satisfaisante.»
S’il n’a pas pu rencontrer son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, en Afrique du Sud, Macron a estimé qu’«une rencontre se fera au moment où on l'aura préparée pour avoir des résultats», soulignant des «avancées» ces dernières années, avec une «même méthode : le respect et l'exigence».
Il a également déploré que «beaucoup de gens veulent faire de l'Algérie une question politique domestique française. Et en Algérie, beaucoup de gens veulent faire de la relation à la France une question de politique domestique algérienne.»
Cependant, de nombreux dossiers entravent encore le réchauffement des relations franco-algériennes.
Une mémoire coloniale toujours vive
Après 132 ans de colonisation française en Algérie qui se sont terminés par une guerre de libération (1954-1962), les deux pays peinent à guérir les blessures du passé. Côté algérien, on réclame des excuses officielles et une reconnaissance de la France de ses crimes en Algérie, mais également la restitution d’archives et le traitement des conséquences des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966. L’Algérie demande en outre la restitution de plusieurs objets historiques algériens comme ceux de l’émir Abdelkader.
Côté français, le rapatriement massif et soudain de nombreux Pieds-Noirs et de Harkis, la mobilisation de plus de 1,5 million de jeunes Français appelés pour la guerre, et le poids politique de la droite et de l’extrême droite qui refusent toute forme de «repentance» envers l’Algérie, mêlant le sujet à la politique migratoire française, pèsent lourdement dans les rapports avec Alger.
Le tournant du Sahara occidental
En juillet 2024, dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, le président français a affirmé considérer que «le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine». Il a également qualifié le plan marocain d’autonomie du Sahara occidental de 2007 de «seule base» pour la résolution du conflit.
Un acte qui a provoqué la colère d’Alger, soutien de longue date du Front Polisario et des velléités indépendantistes des Sahraouis. En réaction, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris et a réduit sa coopération bilatérale au strict minimum. Ces tensions ont été en outre renforcées par les propos très critiques envers l’Algérie de Bruno Retailleau, alors ministre de l’Intérieur.
Dossiers judiciaires sensibles
Outre l’emprisonnement très médiatisé de l’écrivain Boualem Sansal, condamné en appel à cinq ans de réclusion et 500 000 dinars d’amende en juin 2025 puis libéré environ un an plus tard, par grâce présidentielle, à la demande de l’Allemagne, le cas du journaliste français Christophe Gleizes, détenu en Algérie, provoque de vives tensions entre les deux pays.
Accusé d’avoir interviewé un responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), considéré par Alger comme une organisation terroriste, Christophe Gleizes a été condamné pour «apologie du terrorisme» et «possession de publications à but de propagande nuisant à l'intérêt national», alors que Paris plaide pour sa libération.
De son côté, la France a arrêté et emprisonné un agent consulaire algérien, accusé d’avoir participé à une tentative d’enlèvement d’Amir DZ, un influenceur opposé au pouvoir algérien. L’Algérie nie toute implication, dénonce une atteinte à l’immunité diplomatique, et considère Amir DZ comme un terroriste.
La question migratoire
La coopération sécuritaire et migratoire est au point mort entre l’Algérie et la France. Paris accuse régulièrement Alger de refuser de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au renvoi des Algériens frappés d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). En réaction, les autorités françaises ont drastiquement diminué l’octroi de visas pour les Algériens et certains responsables politiques français ont même évoqué la possibilité de supprimer l’accord de 1968 qui facilite l’immigration des citoyens algériens.
L’Algérie de son côté, accuse la France d’entraver le mouvement des diplomates algériens dans les aéroports en France, et notamment l’interdiction d’accès aux zones réservées à la récupération des valises diplomatiques. En riposte, Alger a donc procédé à la récupération de l'ensemble des titres d'accès privilégiés aux ports et aéroports algériens accordés aux diplomates français.
Une relation indispensable mais instable
Empêtrées dans une série de crises politiques, mémorielles et judiciaires, l’avenir des relations franco-algériennes semble incertain. Pour autant, les deux pays restent liés par une interdépendance profonde: échanges économiques importants, coopération sécuritaire, et présence en France d’une vaste diaspora franco-algérienne. Si les sujets de friction demeurent nombreux, la densité des liens et l’importance stratégique de la relation limitent les risques d’une rupture durable. En attendant, le ministre français de l’Intérieur est attendu prochainement à Alger à l’invitation de son homologue algérien.



Commentaires