Drapeaux, accueils… et moultes intentions
Des hommes libanais tiennent une affiche du pape Léon XIV sur laquelle il est écrit "Bienvenue au Dahiyeh de Sayyed Nasrallah", faisant référence à l’assassinat du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah (vu sur l’affiche ci-dessus), et un drapeau du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, une zone résidentielle bondée connue sous le nom de Dahiyeh, qui est aussi un bastion du Hezbollah, le 30 novembre 2025. ©Ici Beyrouth

L’arrivée du pape Léon XIV au Liban a conféré à sa visite une dimension tout autre que celle anticipée. Son escale libanaise a été marquée par une succession de scènes saisissantes, difficiles à oublier: la troupe de dabké devant les portes du palais présidentiel, l’accueillant sous une pluie battante au son des tambours, les jets de riz, ou encore les jeux de lumière spectaculaires qui ont illuminé la façade du palais au rythme de la musique et des acclamations. Ému par cette scène, le pape en a eu les larmes aux yeux: un accueil qu’aucun autre pays, de mémoire, n’avait réservé au souverain pontife.

L’État libanais, dans toutes ses composantes, a offert un accueil exemplaire, suscitant un véritable élan de joie et de fierté chez les Libanais, chargé de symboles et porteur d’espoir.

Mais, comme toujours au Liban, la politique s’immisce partout. La visite a pris une tournure particulière lors du passage du convoi papal dans la banlieue sud de Beyrouth, où une foule de partisans du Hezbollah l’attendait, dans le cadre d’une coordination entre le palais présidentiel et la direction du Hezb. Il était convenu que les partisans brandissent des drapeaux pontificaux, et plus d’un millier avaient été distribués dans la zone à cet effet. Pourtant, certains ont choisi de remplacer ces drapeaux, ainsi que les drapeaux libanais, par ceux du Hezbollah, révélant l’intention d’inscrire la visite dans un cadre politique et conflictuel, alors que le pape avait clairement souligné, avant son arrivée, qu’il ne souhaitait aucune polémique autour de son voyage.

Dans ce contexte, certaines voix proches du Hezbollah ont critiqué le fait que le pape n’ait pas découvert sa papamobile pour saluer la foule dans la banlieue sud, réservant ce geste aux abords de Hazmieh, comme s’il avait voulu éviter de saluer les chiites pour ne le faire qu’une fois arrivé dans une zone chrétienne. Ces accusations viennent s’ajouter aux débats des dernières semaines sur une éventuelle réticence du pape à visiter le Sud.

Des questions et des remises en cause orchestrées pour donner à la visite une dimension politico-confessionnelle, et présenter le pape comme partie prenante d’une dynamique internationale visant à marginaliser le Hezbollah et, par extension, la communauté chiite – un amalgame entretenu fréquemment par les partisans du Hezbollah – dans le but d’exercer des pressions accrues sur lui.

Inversement, l’on peut constater que le pape n’a pas visité d’autres régions frappées par les crises, les guerres, la souffrance et la détresse. Il ne s’est rendu ni au Nord ni dans le Akkar, malgré la pauvreté et l’absence de l’État qui y sévit depuis des années. Il n’a pas visité le Nord chrétien et ses quatre cazas, pourtant cœur historique de la chrétienté libanaise, avec la vallée de Qannoubine et les Cèdres du Seigneur cités dans l’Évangile. Il n’a pas davantage visité Zahlé, capitale du catholicisme oriental, alors même qu’il est la figure la plus importante du monde catholique, ni Baalbek, ville du Soleil, pour commémorer la sainte Barbe qui y est née. Il n’a pas visité Byblos, berceau de l’alphabet et ville qui a donné au mot « Bible » son nom dans les langues étrangères. Les lieux qu'il ne pourrait visiter sont légion. Le pape n’est pas en voyage touristique, mais en visite hautement symbolique.

Il a choisi de se rendre au tombeau de saint Charbel, figure vénérée par les chrétiens et les musulmans, et auteur du plus grand nombre de miracles recensés au Liban, voire au monde. Il a voulu visiter le couvent des Sœurs de la Croix, dont le travail remarquable a été mis en lumière récemment et qui a besoin de soutien et de compassion.

Il s’entretiendra avec l’ensemble des chefs religieux lors d’un rassemblement œcuménique au centre-ville de Beyrouth, où seront présents notamment des dignitaires chiites, pleinement capables de faire passer les messages nécessaires au souverain pontife. Et parmi les étapes les plus marquantes, il se rendra au port de Beyrouth pour prier pour les victimes de la plus grande explosion non nucléaire de l’histoire moderne.

Le pape n’a privilégié aucune région ni distingué une par rapport à une autre. Les foules massées sur les routes ne brandissaient que les drapeaux libanais et pontificaux. Comment, dès lors, interpréter l’attitude du public du Hezbollah sur les routes et les réseaux sociaux autrement que comme une volonté de l’embarrasser en tentant de présenter ce pape et, par ricochet, les communautés chrétiennes, comme hostiles au Hezbollah ? Quand bien même beaucoup s’en sentent aujourd’hui lésés, les destructions frappent tout autant chrétiens et musulmans, et touchent l’État dans son ensemble.

Loin des apparences d’un accueil respectueux, une autre image a retenu l’attention : celle de Mohammad Raad au palais présidentiel, en tenue non conforme aux usages diplomatiques, ne portant pas de cravate pour des raisons idéologiques, faisant fi du protocole. Si le Hezbollah était aujourd’hui encore dans toute sa puissance, peut-être que la visite du pape n’aurait même pas eu lieu, non pas parce qu’il l’aurait empêchée, mais parce que le pape aurait compris qu’il ne visitait pas un État, mais un pays otage d’un groupe armé ; un groupe qui tente désormais de se poser en victime.

 

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