La relation complexe du chef de l'armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane, avec ses soutiens islamistes, armés et influents, complique encore plus les efforts internationaux pour mettre fin à la guerre dévastatrice au Soudan, estiment des analystes.
Le général Burhane, chef de l'État de facto, combat depuis avril 2023 son ancien allié Mohamed Hamdane Daglo, le chef des Forces de soutien rapide (FSR), après avoir orchestré avec lui un putsch pour s'emparer du pouvoir en 2021.
Il a récemment accueilli favorablement le souhait de Donald Trump de stopper la guerre, tout en rejetant une proposition de trêve, accusant la médiation menée par les Américains de parti pris en faveur des Émirats arabes unis - eux mêmes accusés de soutenir les FSR, ce qu'ils démentent.
Selon les analystes, il tente ainsi de préserver son alliance politique avec les islamistes, sans lesquels il peinerait à conserver les deux-tiers du pays contrôlés par l'armée.
«Les islamistes sont très contrariés à l'idée d'un cessez-le-feu. Ils veulent que la guerre continue autant que possible» pour contrer tout retour à un pouvoir civil, estime l'analyste soudanaise Kholood Khair, jointe par l'AFP.
La dénomination «islamistes» au Soudan désigne un faisceau de partis, de dirigeants et de réseaux de patronage cultivés sous le régime autocratique islamo-militaire d'Omar el-Béchir, déchu en 2019.
Les généraux Burhane, 65 ans, et Daglo, son cadet d'une dizaine d'années, sont tous deux issus de l'appareil sécuritaire de Béchir.
Le premier doit son ascension aux réseaux dominés par les islamistes de la capitale, qui ne nourrissaient que mépris pour le second, un homme de main choisi par Khartoum pour écraser les rébellions éloignées du Darfour.
Vestiges
Après la destitution de l'ex-président Béchir, ces réseaux islamistes – qui ont, dans les années 1990, abrité Oussama ben Laden et activement milité pour instaurer la charia - ont dû faire profil bas. Avec la guerre, ils ont pu revenir en scène en ralliant l'armée et retrouver progressivement leur influence.
Autrefois dépeint comme un «protecteur» de Béchir puis brièvement rallié à Burhane, le général Daglo affirme aujourd'hui combattre les «islamistes radicaux» et les vestiges de l'ancien régime.
Cameron Hudson, ancien conseiller de la Maison Blanche sur le Soudan, affirme que le chef des FSR «reçoit ses arguments» des Émirats arabes unis qui soutiennent activement, selon lui, ses efforts de conquête dans son pays, riverain de la mer Rouge, riche en or, en terre fertile.
La semaine dernière, le général Burhane a affirmé qu'il n'y avait pas de Frères musulmans au sein de son gouvernement. «Nous ne savons pas qui ils sont, nous en entendons seulement parler dans les médias», a-t-il dit dans un discours.
Pourtant, selon un diplomate proche des négociations, il a passé en août un accord secret avec l'envoyé américain Massad Boulos pour se distancier «petit à petit» de ses alliés islamistes. Leur rencontre en Suisse a débouché sur le limogeage discret d'une poignée d'officiers soudanais liés aux islamistes.
Mais il semble s'être arrêté là, au grand dam des médiateurs qui voient tous les Frères musulmans comme une menace.
«Il est dans une position très difficile», juge le diplomate sous couvert d'anonymat. «S'il les abandonne, ils l'abandonnent et il pourrait très bien perdre».
En septembre, les États-Unis, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte - réunis dans le groupe de médiation dit du «Quad»- ont déclaré que «l'avenir du Soudan ne pouvait être dicté par des groupes extrémistes violents faisant partie ou manifestement liés aux Frères musulmans» - que Trump vient de classer comme «terroristes».
Cette déclaration a coïncidé avec l'annonce de sanctions américaines contre le ministre soudanais des Finances, Gibril Ibrahim, et la milice islamiste Brigade Al-Baraa ibn Malik, pour «limiter l'influence islamiste (...) et réduire les activités régionales de l'Iran».
Pression triple
En 2024, l'Iran aurait fourni des drones à l'armée soudanaise, ce qui, avec le soutien des combattants d'Al-Baraa ibn Malik, aurait porté la contre-offensive victorieuse de l'armée pour reprendre Khartoum au printemps dernier.
Aujourd'hui, le général Burhane subit une pression triple, résument les analystes.
En interne, «il lutte pour maintenir l'unité au sein d'un système (...) conçu pour entretenir les concurrences internes», selon M. Hudson.
Sur le champ de bataille, ses troupes, qui ont perdu leur dernier bastion au Darfour, peinent à empêcher les FSR de regagner du terrain vers Khartoum.
Et ses grands amis, l'Arabie saoudite et l'Égypte, le poussent à trouver un compromis pour protéger leur propre sécurité nationale.
Mais, avertit Khouloud Khair, le chef de l'armée, «n'a pas de branche à laquelle s'accrocher, s'il lâche la branche islamiste».
Avec Menna FAROUK, AFP



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