Majd Harb plaide pour la suppression de la loi interdisant tout contact avec Israël
©Ici Beyrouth

La décision de la présidence libanaise de nommer l’ancien ambassadeur Simon Karam représentant du Liban au comité de surveillance du cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël a fait couler beaucoup d’encre. Cette initiative marque une rupture inédite: pour la première fois, la dimension civile et diplomatique prend le pas sur le seul cadre militaire traditionnellement associé aux échanges entre les deux parties.

Dans un contexte où l’État hébreu menace d’une escalade majeure si le Hezbollah ne retire pas ses armes, cette nomination, saluée même par Benjamin Netanyahou, apparaît comme un signal paradoxal mais porteur d’espoir aussi. Elle soulève une question essentielle: peut-elle ouvrir la voie à une dynamique politique susceptible d’ancrer une paix durable?

Une session clé à Naqoura

Le 3 décembre, de hauts responsables se sont réunis à Naqoura pour la 14ᵉ session du «Mécanisme», chargé de superviser les efforts visant à consolider un cessez-le-feu durable, comme l’a rapporté l’ambassade américaine à Beyrouth.

Dans le but d’élargir le dialogue au-delà de la seule sphère militaire, deux participants civils ont intégré les discussions: Simon Karam, ancien ambassadeur du Liban, et Uri Resnick, haut responsable du Conseil de sécurité nationale israélien, aux côtés de l’envoyée spéciale américaine Morgan Ortagus.

Cette évolution est perçue comme un pas important vers l’institutionnalisation d’un dialogue politique complémentaire aux échanges sécuritaires.

Une première étape pour briser les tabous

Interrogé par Ici Beyrouth, l’avocat Majd Harb voit dans cette nomination un développement majeur, susceptible de réorienter la trajectoire du pays. Selon lui, il s’agit d’«une première étape pour briser les tabous qui ont paralysé l’État durant des décennies», et un début vers l’affirmation d’un véritable État «qui place enfin l’intérêt national et économique des Libanais au-dessus des slogans et des considérations idéologiques».

M. Harb souligne que, pendant longtemps, la justice militaire a été instrumentalisée à des fins politiques, au bénéfice du Hezbollah. Il estime essentiel de réformer la notion même de “collaboration”, aujourd’hui façonnée «par les critères du Hezbollah et de magistrats qui lui sont proches». 

Toutefois, M. Harb précise qu’il «ne s’agit pas d’innocenter ceux qui transmettent des informations militaires à Israël comme certains agents au sein du Hezbollah – cela doit être puni. Mais il est urgent de distinguer cela d’interactions anodines et inévitables entre citoyens des deux pays, notamment pour les Libanais de la diaspora, que la loi actuelle expose à des accusations infondées et à des conséquences graves sur leur avenir.»

L’avocat de Batroun rappelle que de nombreuses multinationales majeures ont aujourd’hui leur siège régional en Israël, alors que les Libanais n’ont légalement ni le droit d’y voyager ni celui d’entrer en contact professionnel avec une entité israélienne. «Nos jeunes sont pénalisés pour des faits qui, ailleurs, relèvent de la normalité économique», affirme-t-il.

Une réforme indispensable de la loi

Dans cet ordre d’idées, M. Harb souligne la nécessité de réviser, voire d’abroger, la loi libanaise interdisant toute forme de contact, direct ou indirect, avec des individus ou entreprises basés en Israël. Il met cependant en garde: cette nomination pourrait rester symbolique, «un simple moyen de gagner du temps face à la menace d’un retour à la guerre», si elle n’est pas suivie de réformes structurelles et d’actions concrètes.

Malgré ces réserves, M. Harb considère la désignation de M. Karam comme «une victoire pour l’intérêt des Libanais», car elle place à la tête de la délégation une personnalité civile et souverainiste.

Stratégie israélienne et risques pour le Liban

Selon M. Harb, cette ouverture diplomatique s’inscrit aussi dans une stratégie israélienne claire: «séparer l’État libanais du Hezbollah et traiter avec chacun différemment».

Il avertit toutefois d’un danger majeur, celui d’engager un processus de paix sans régler la question des armes du Hezbollah, qui risquerait de se faire «au détriment du Liban ». De surcroit, il rejette fermement l’idée d’un désarmement limité au Sud-Litani: «Désarmer le Hezbollah au sud du Litani servirait seulement les intérêts d’Israël.» Cela redéploierait les armes vers l’intérieur du pays, ce qui serait catastrophique pour notre sécurité. Et de conclure: «la première étape vers un véritable accord de paix c’est le monopole de l’État sur les armes.»

La nomination de Simon Karam, aussi symbolique soit-elle, marque néanmoins un premier pas vers une évolution du paradigme libanais - un passage timide mais inédit d’une logique strictement militaire à une approche politique et diplomatique où l’État, plutôt qu’une milice, cherche à reprendre la main.

 
 
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