Israël et la Bolivie ont rétabli mercredi leurs relations diplomatiques lors d'une rencontre à Washington entre leurs ministres des Affaires étrangères. Cette normalisation rapide, survenue deux ans seulement après la rupture d'octobre 2023, illustre un processus diplomatique complexe. En novembre, le directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères avait déjà représenté Israël lors de l'investiture du président bolivien Rodrigo Paz. La Bolivie a ensuite annulé l'obligation de visa pour les voyageurs israéliens, avant que les deux pays ne finalisent l'accord prévoyant la réinstallation d'ambassadeurs et l'organisation de visites officielles.
Cette réconciliation s'inscrit dans une stratégie de politique étrangère plus large: les ministres boliviens Fernando Aramayo et José Gabriel Espinoza ont entamé des rencontres avec des responsables américains pour «démanteler près de deux décennies de politiques anti-occidentales du parti MAS qui ont laissé la Bolivie économiquement isolée».
Mais que révèle ce rapprochement sur les mécanismes généraux de réconciliation entre États?
Normalisation et réconciliation: deux processus distincts
Contrairement à une idée répandue, normalisation diplomatique et réconciliation ne sont pas synonymes. Selon une étude comparative publiée dans le Chinese Political Science Review analysant cinq cas historiques majeurs, «la réconciliation concerne la manière dont deux pays traitent leur passé douloureux; c'est un processus par lequel deux anciens ennemis parviennent à un accord sur la perception de leur histoire conflictuelle».
La normalisation représente le volet technique et formel: rétablissement d'ambassades, signature d'accords bilatéraux, levée de restrictions. Elle peut s'accomplir relativement rapidement, comme le démontre le cas israélo-bolivien.
La réconciliation, elle, constitue un processus bien plus profond nécessitant «du temps et une reconsidération de l'identité ainsi que de l'histoire», selon une analyse de la Brookings Institution.
Les chercheurs distinguent trois états de réconciliation: la réconciliation superficielle, caractérisée par des excuses verbales et des gestes symboliques entre élites politiques; la réconciliation intermédiaire; et la réconciliation profonde, marquée par une narration commune de l'histoire et une restauration de l'affection entre nations s'étendant à l'ensemble de la société.
Cinq facteurs déterminants pour la réconciliation
L'étude du Chinese Political Science Review identifie cinq facteurs expliquant pourquoi certains anciens adversaires parviennent à une réconciliation profonde tandis que d'autres stagnent. Le premier concerne les arrangements politiques d'après-guerre, notamment l'existence de disputes territoriales ou de questions de légitimité de régime. La France et l'Allemagne, sans contentieux majeur, ont atteint une réconciliation profonde, tandis que la Chine et le Japon, confrontés au différend des îles Diaoyu/Senkaku, restent à un stade superficiel.
Le changement de régime chez l'État perpétrateur constitue le deuxième facteur crucial. L'effondrement du nazisme a permis des réformes démocratiques profondes en Allemagne, facilitant la réconciliation. À l'inverse, le maintien des élites de guerre au Japon explique en partie les difficultés persistantes avec la Corée du Sud et la Chine. Pour la Bolivie, l’élection de Paz marque précisément un tel changement, mettant fin à la domination du MAS fondé par Evo Morales. Sous ce parti, les relations avec Israël avaient été rompues en 2009, puis rétablies sous le gouvernement intérimaire de 2020, et ensuite rompues à nouveau en 2023 sous la présidence de Luis Arce.
Toutefois, le cas irano-saoudien nuance cette règle: leur réconciliation parrainée par la Chine en mars 2023 s'est concrétisée sans changement de régime, lorsque leurs calculs stratégiques ont évolué. Selon le Doha Institute, l'Arabie saoudite a perçu l'échec de la campagne américaine de «pression maximale» contre l'Iran, tandis que Téhéran cherchait à sortir de son isolement économique.
L'appartenance à une même alliance représente le troisième facteur. Les pays partageant une alliance se réconcilient plus facilement, comme le montrent la France et l'Allemagne au sein de l'Otan et de l'Union européenne.
Le type de régime politique, quatrièmement, influence significativement le processus: la réconciliation profonde survient plus probablement dans un environnement démocratique favorisant la libre délibération sur les questions historiques.
Enfin, les institutions régionales fournissent des garanties de sécurité et des plateformes d'interaction, comme l'illustre le rôle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) et de la Communauté économique européenne (CEE) dans la réconciliation franco-allemande.
Des motivations économiques déterminantes
Les motivations boliviennes rappellent celles qui ont poussé l'Iran à se réconcilier avec l'Arabie saoudite. Selon le Doha Institute, Téhéran cherchait alors à échapper à son isolement économique et à attirer des investissements saoudiens. Or, dix-huit mois après la réconciliation irano-saoudienne, le Doha Institute constate que les objectifs économiques n'ont pas été atteints, les sanctions américaines demeurant «un obstacle significatif». Le rétablissement des liens «n'a pas conduit à l'activation des accords précédents» et aucun vol direct n'a été lancé entre les deux pays.
Cet exemple soulève alors une question cruciale concernant le cas bolivien: les résultats suivront-ils les intentions?
Entre réconciliation et paix, un processus non linéaire
L'étude du Doha Institute révèle aussi que «le degré de réconciliation ne correspond pas nécessairement au degré de paix». La Pologne et la Russie ont progressé dans leur réconciliation après la chute de l'URSS, mais la crise ukrainienne a détérioré leur relation sécuritaire. Inversement, la Corée du Sud et le Japon maintiennent une paix relativement stable grâce à leur alliance commune avec les États-Unis, malgré une réconciliation inachevée.
La réconciliation irano-saoudienne illustre également cette tension. Bien que permettant des canaux de communication pendant la guerre de Gaza, elle n'a pas résolu les divergences stratégiques fondamentales. Selon le Doha Institute, l'attaque iranienne contre Israël le 14 avril 2024 a révélé que «les positions stratégiques de l'Iran et de l'Arabie saoudite n'ont pas changé». L'analyse conclut que «la réconciliation a réduit les tensions, mais n'a pas mis fin à leur compétition régionale ni changé leur perception de la menace».
Le cas franco-allemand, souvent cité en modèle, a nécessité près de vingt ans pour passer de la réconciliation superficielle des années 1950 à la réconciliation profonde de la fin des années 1960. Pour Israël et la Bolivie, la normalisation diplomatique actuelle ne représente donc qu'une première étape. La construction d'une confiance durable exigerait des années d'efforts soutenus, bien au-delà des cérémonies officielles de Washington.



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