L’islamisme et les dystopies meurtrières
©Ici Beyrouth

La frénésie meurtrière à laquelle on assiste en Europe et en Australie ne relève pas de la coïncidence. Il s’agit d’une résurgence du terrorisme islamiste, au croisement des impasses moyen-orientales et de la militance islamiste au sein des démocraties occidentales. On n’est pas dans la coïncidence : on est dans une conjoncture qui permet aux mouvances terroristes islamistes de se mouvoir dans les interstices d’un ordre mondial entièrement pulvérisé. À cela s’ajoutent les crises des sociétés démocratiques, dont les fondements axiologiques sont remis en cause par des nihilismes de tout acabit, instrumentalisés par des idéologies néototalitaires et des stratégies de cooptation allant dans tous les sens.

On se pose une multitude de questions sur les causes multiples des défaillances sécuritaires, sans jamais obtenir de réponses claires à des questions pourtant évidentes : les migrations sauvages, les dynamiques de ghettoïsation, l’érosion météorique du principe de souveraineté, la contestation des prérogatives étatiques dans des démocraties constitutionnelles et pluralistes au nom de légitimités concurrentes, qui font fi des régimes de discursivité au profit de métanarrativités islamiques et de leurs sources de jurisprudence. Toutes ces cassures anthropologiques sont mobilisées à partir du conflit israélo-palestinien, hypostasié et transformé en conflit emblématique des échecs et des déboires de la modernité arabo-musulmane, alors même que des guerres transcontinentales ponctuent notre quotidien dans ses multiples facettes.

Comment se fait-il que ce conflit définisse les priorités de communautés migrantes venues dans les sociétés démocratiques en quête de bien-être, de dignité et de reconnaissance, alors que leurs sociétés d’origine ne leur ont jamais accordé ces droits ? Contre toute attente, elles débutent leur parcours par le rejet viscéral des valeurs de liberté, d’État de droit et de démocratie des sociétés d’accueil, conspuées au nom d’une altérité religieuse et d’un imaginaire délirant. Quel lien cet imaginaire malade peut-il établir entre un conflit extérieur et la raison d’être de régimes démocratiques fondés sur les droits humains, la conversation publique et la recherche du consensus, leur permettant ainsi de passer à la violence et d’en tirer prétexte ?

La réponse est simple : il s’agit d’un imaginaire malade, doublé d’une volonté de domination et d’un ethos de prédateurs issus de sociétés où les rapports de force et la violence servent de régulateurs des relations humaines, et qui disposent d’étayages scripturaires érigés en normes absolues. Ce passage à l’acte et cette désinhibition sont suffisamment codifiés pour rendre compte de cette sauvagerie et de ce ressentiment abyssal, où la haine de l’autre n’est que la répercussion de la haine de soi. La « clôture totalitaire du sens » explique largement cette aptitude à la haine (Hassbereitschaft) et l’âpreté des défenses narcissiques ainsi que leurs symptômes cliniques. Le déploiement du politique ne s’effectue pas à partir d’un nulle part, d’un ex nihilo aux repères imprécis.

Comment cette « causalité diabolique », pour reprendre Léon Poliakov, parvient-elle à nouer et à relier des bribes et des affects disparates à partir desquels s’enclenche cette sauvagerie continue ? Ce n’est pas un hasard si le « fil d’Ariane » est cet ethos totalitaire à partir duquel se structure la socialisation primaire et ses empreintes à l’âge adulte. Ce n’est qu’à partir d’une lecture anthropologique que l’on peut saisir la trame politique et ses multiples nouages. Les régimes autoritaires et pan-totalitaires du monde arabe et islamique élaborent leurs stratégies sur la base de ces fêlures anthropologiques et de leurs doubles politiques.

Le caractère diffus de la violence actuelle prend son essor après les événements du 7 octobre 2023, date qui correspond au déclenchement d’une nouvelle vague antisémite (Judenhass), laquelle cristallise désormais la haine envers l’Occident. C’est le point de convergence autour duquel se structure cette dynamique de haine aveugle et sans discernement. C’est le lieu de rassemblement des terrorismes chiite et sunnite, où tous les conflits s’effacent au profit d’une haine commune et de ses victimes expiatoires. Tous les différends s’estompent au bénéfice des fantasmes de domination et des délires qui les accompagnent.

La destruction des plateformes opérationnelles de l’impérialisme chiite, piloté par le régime iranien, loin de susciter une réflexion critique, relance ce régime sur sa trajectoire initiale, quels qu’en soient les échecs. La volonté de revanche cherche à réinvestir l’espace proche-oriental à partir du quadrilatère stratégique (Irak, Syrie, Liban, Gaza – territoire palestinien), sur la base d’une politique de subversion qui réactive les friches sécuritaires, les guerres civiles larvées et l’extension des espaces du chaos. Les déclarations de Khamenei ne font qu’entériner une action sur le terrain où l’irrédentisme du Hezbollah et du Hamas tente de remettre en cause les accords de paix intérimaires contresignés par ces deux formations terroristes, de saboter le processus déjà fragile de reconstruction de la Syrie et de relancer la dynamique terroriste dans les démocraties occidentales et leurs pourtours stratégiques.

En d’autres termes, cela signifie mettre fin aux médiations diplomatiques, achever le régime islamique en Iran, défaire les mouvements terroristes en quête de récidive ainsi que les partis de la gauche totalitaire dans les pays occidentaux. De leur côté, les Israéliens redoublent de vigilance, les irrédentismes messianiques et nationalistes reprennent de l’élan, et les diasporas juives se crispent face à leurs préoccupations sécuritaires dans des pays supposés immunes contre les dérives meurtrières du totalitarisme. Pendant ce temps, les démocraties occidentales sont interpellées à plus d’un titre : leurs valeurs fondamentales, leurs cultures politiques démocratiques et libérales, ainsi que leurs dispositifs sécuritaires sont minés de l’intérieur par des minorités animées par des visées de domination.

Les marges de manœuvre s’amenuisent à un rythme accéléré et laissent de moins en moins de place aux politiques d’atermoiement et aux illusions qui les accompagnent. Les actions sur le terrain et leurs étayages idéologiques ne trompent plus sur les intentions ni sur les possibilités d’accommodement. Nous ne sommes plus dans le registre discursif et civique : nous faisons face à des rapports de force à rééquilibrer et à des menaces qui visent les « sociétés ouvertes ».

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