Des mois de mises en garde, une rhétorique très ciblée, puis des frappes assumées. En bombardant des positions de l’État islamique dans le nord-ouest du Nigeria, les États-Unis mettent en scène une intervention annoncée de longue date. Derrière le discours de Donald Trump sur la protection des chrétiens, une réalité sécuritaire plus large et des violences qui touchent l’ensemble du pays.
Les États-Unis ont mené, le jour de Noël, des frappes aériennes contre des positions du groupe État islamique dans le nord-ouest du Nigeria. Une opération annoncée par Donald Trump, qui a affirmé avoir tenu parole, après une mise en garde, selon lui, aux jihadistes responsables de massacres visant principalement des chrétiens.
Sur sa plateforme Truth Social, le président américain a parlé de frappes «puissantes et meurtrières» contre des «terroristes de l’État islamique» accusés de tuer des civils chrétiens «à des niveaux jamais vus depuis des années, voire des siècles». Tout en soulignant avoir prévenu ces groupes à plusieurs reprises, il assure que, cette fois, «ils ont payé».
Des frappes coordonnées avec Abuja
Contrairement à une intervention unilatérale, Abuja a confirmé une opération menée en coordination avec Washington. Selon une dépêche de l’Agence France-Presse, le Nigeria a fourni les renseignements ayant permis les frappes.
Vendredi, les États-Unis ont confirmé que ces frappes avaient été approuvées par les autorités nigérianes. «Le ministère de la Guerre a collaboré avec le gouvernement du Nigeria pour mener ces frappes. Elles ont été approuvées par le gouvernement nigérian», a déclaré un responsable du Pentagone, sans préciser si les forces armées nigérianes avaient été directement impliquées.
Le ministre nigérian des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, a expliqué avoir échangé à deux reprises avec le secrétaire d’État américain Marco Rubio, avant le début de l’opération. Le président nigérian, Bola Ahmed Tinubu, aurait donné son feu vert. Le commandement américain pour l’Afrique a précisé avoir frappé, à la demande des autorités nigérianes, des combattants de l’État islamique à Sokoto, dans le nord-ouest du pays.
Un contexte de violences persistantes
Ces frappes s’inscrivent dans un climat sécuritaire dégradé au Nigeria. Le pays est confronté depuis des années à une multiplication des violences menées par plusieurs groupes armés. Parmi eux, Boko Haram, actif depuis 2009, principalement dans le nord-ouest du pays, mais aussi la Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. À cela s’ajoutent des groupes qualifiés de «bandits», souvent impliqués dans des enlèvements contre rançon, dans le nord-ouest.
Autre acteur clé du conflit, les bergers Fulani, aussi appelés Peuls. Un groupe majoritairement musulman, historiquement pastoral, aujourd’hui impliqué dans des violences meurtrières liées à l’accès à la terre et aux ressources. Des affrontements qui touchent aussi bien des communautés chrétiennes que musulmanes.
Les chrétiens au cœur du discours de Trump
Si la violence touche l’ensemble de la population, Donald Trump a choisi de mettre en avant la situation «dramatique» des chrétiens. En novembre dernier, les États-Unis ont classé le Nigeria parmi les pays «particulièrement préoccupants» en matière de liberté religieuse. Selon des estimations relayées par la plateforme scientifique Cairn Info, la population nigériane se compose d’environ 45% de chrétiens, 45% de musulmans et 10% d’animistes. Une donnée approximative mais largement utilisée par les chercheurs.
Trump affirme que des «milliers» de chrétiens ont été tués. Un chiffre qui renvoie notamment à un rapport de l’ONG chrétienne Portes Ouvertes, citée par la Maison Blanche.
Selon Portes Ouvertes, 3 100 chrétiens ont été tués au Nigeria sur une période de 12 mois, entre octobre 2022 et octobre 2023. Le même rapport indique aussi la mort de 2 320 musulmans sur la même période. L’ONG souligne que les violences touchent désormais de plus en plus de musulmans dits «modérés», notamment dans les zones rurales. Un constat partagé par plusieurs analystes de la sécurité au Nigeria.
D’autres chiffres, beaucoup plus élevés, circulent aux États-Unis. Ils proviennent principalement de l’ONG nigériane InterSociety, qui évoque plus de 100 000 chrétiens tués depuis 2009. Des données reprises par certains responsables politiques américains, mais jugées difficiles à vérifier.
Une lecture plus large du conflit
Le gouvernement nigérian rejette toute lecture strictement religieuse, affirmant que les groupes armés ciblent «tous ceux qui rejettent leur idéologie», musulmans comme chrétiens. Une analyse partagée par plusieurs spécialistes, dont Pascale Boniface, directeur de l’IRIS, interrogé récemment par la chaîne de télévision française TF1.
Selon lui, Boko Haram et les groupes armés «tuent tout le monde» et l’insécurité ne vise pas une communauté en particulier.
Pourquoi maintenant
Les frappes américaines interviennent après plusieurs semaines de déclarations fermes de Donald Trump. En novembre déjà, il affirmait que les jihadistes «paieraient le prix s’ils continuaient à massacrer des chrétiens». Et dans son message de Noël, le locataire de la Maison-Blanche revendique une ligne dure, affirmant que les États-Unis ne laisseront pas le «terrorisme islamiste radical prospérer».
Vendredi, le Nigeria a laissé entendre que d’autres frappes pourraient suivre. Interrogé sur cette possibilité par la chaîne Channels TV, le ministre des Affaires étrangères Yusuf Tuggar a répondu: «C’est un processus en cours, et nous travaillons avec les États-Unis. Nous collaborons également avec d’autres pays».




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