Le mercredi 5 octobre, le prix Nobel de chimie a été attribué conjointement aux Américains Carolyn Bertozzi et Karl Barry Sharpless, et au Danois Morten Peter Meldal pour le développement de deux nouveaux domaines de la chimie moderne: la «chimie click» et de la chimie bio-orthogonale. Laurent Fontaine, chercheur expert en ce domaine, fait le point pour «Ici Beyrouth».
Le prix Nobel de chimie a sacré, le mercredi 5 octobre, trois pionniers de la chimie moderne: les Américains Carolyn Bertozzi et Karl Barry Sharpless, et le Danois Morten Peter Meldal. L’Académie royale des sciences de Suède a précisé, dans un communiqué, que ces chercheurs avaient «fait entrer la chimie dans l’ère du fonctionnalisme en posant les jalons de la chimie click». Introduit par Karl Barry Sharpless en 2001, cette science constitue un nouveau concept de la chimie de synthèse: elle consiste à produire rapidement et efficacement des intermédiaires synthétiques en assemblant différentes entités par des liaisons covalentes (liaisons moléculaires fortes), selon des réactions analogues à celles qui sont mises en œuvre par la nature. Cet assemblage moléculaire aurait déclenché un «effet boule de neige» dans le domaine, selon ladite Académie.
En effet, grâce aux outils innovants de la chimie moderne, les chimistes pouvaient synthétiser les molécules les plus sophistiquées dans leurs laboratoires. Ces procédures étaient toutefois loin d’être sans bémols: les molécules complexes doivent naturellement être construites en plusieurs étapes dont chacune aboutit à la formation de sous-produits indésirables. Ces derniers doivent donc être éliminés avant de poursuivre le processus de synthèse, diminuant de ce fait considérablement le rendement final, ce qui se traduit par des coûts de fabrication faramineux. Le prix Nobel de chimie de cette année a donc couronné les travaux de ces trois chercheurs, visant à mettre en place de nouveaux principes chimiques, et à laisser la simplicité et le fonctionnalisme prévaloir: «Le prix de cette année concerne des choses qui ne sont pas excessivement compliquées, privilégiant ce qui est facile et simple», a d’ailleurs déclaré l’un des membres du comité.
Contacté par Ici Beyrouth, Laurent Fontaine, professeur-chercheur à l’Institut des molécules et matériaux du Mans, en France, revient sur ces découvertes qui ont révolutionné le domaine de la chimie organique synthétique. «La chimie click relève de la chimie organique essentiellement et englobe des réactions chimiques (transformations d’un composé en un autre) qui sont rapides, très efficaces (conduisant le plus souvent à des rendements de 100%) et hautement sélectives», explique le chercheur français. Ces réactions respectent un certain nombre de principes de la «chimie verte», c’est-à-dire une chimie plus respectueuse de l’environnement, en particulier l’économie d’atomes. «À l’issue de la réaction chimique mise en œuvre, tous les atomes présents au départ se retrouvent dans le produit final, fait-il remarquer. Il n’y a alors pas de sous-produit et la purification est ainsi grandement facilitée.»
Karl Barry Sharpless, qui reçoit aujourd’hui son second prix Nobel de chimie (le premier lui a été décerné en 2001), a conceptualisé ce type de chimie qu’il a baptisé «chimie click» (ou click chemistry). Cette dernière fait référence à une chimie aussi simple à réaliser «qu’associer deux briques de Lego ou attacher sa ceinture de sécurité» (le «click» étant le son produit par cet assemblage), où les blocs de construction moléculaires s’emboîtent rapidement et efficacement. La découverte de Sharpless a aussitôt fait tache d’huile. De fait, le chercheur américain et Morten Meldal ont, en 2002, découvert chacun de son côté, ce qui est rapidement devenu le joyau de la couronne de la chimie click: «la possibilité de catalyser (à l’aide du cuivre) une réaction de cycloaddition (entre des azotures et des alcynes) qui conduit à des molécules cycliques particulières appelées triazoles», explique le Pr Fontaine.
Cette réaction, initialement décrite par Rolf Huisgen en 1963, était jusqu’alors assez peu utilisée en raison des risques associés au chauffage qu’impose la transformation, étant donné que «certains azotures se décomposent violemment à la chaleur», comme le note le chimiste. Il poursuit que «la possibilité de catalyser cette réaction à l’aide d’un métal aisément disponible comme le cuivre en la rendant plus sûre (réalisable à température ambiante) et sélective (un seul produit étant obtenu contre deux possibles par la réaction de Huisgen) a ouvert une myriade d’utilisations pour cette réaction qui est devenue l’archétype des réactions click». Celles-ci facilitent la production de nouveaux matériaux et contribueront, d’après Morten Meldal, à des percées dans les domaines de «la science des matériaux, la science des surfaces, la chimie en général et l’industrie pharmaceutique».
La chimiste américaine Carolyn Bertozzi a étendu l’éventail de ces réactions de façon très élégante au domaine de la chimie biologique en initiant ce que l’on appelle la chimie bio-orthogonale. «Il s’agit de réactions de chimie click réalisables dans les milieux biologiques, voire in vivo (chez l’animal vivant) puisque les entités chimiques mises en œuvre n’existent pas au sein des organismes, ce qui confère à ces réactions une extrême sélectivité», précise le Pr Fontaine. En fait, ces réactions peuvent être conduites sans interférer avec le fonctionnement des cellules ou de l’organisme. «Pour ce faire, Bertozzi a développé de nouveaux réactifs de chimie click qui ne nécessitent plus l’utilisation d’un catalyseur comme le cuivre, qui peut être nocif pour les cellules en interférant notamment avec l’ADN», souligne-t-il. En utilisant des réactions bio-orthogonales, les chercheurs ont amélioré le ciblage des produits pharmaceutiques anticancéreux, qui sont actuellement testés dans des essais cliniques.
L'Américaine Carolyn Bertozzi, co-lauréate du prix Nobel de Chimie 2022.
Barry Sharpless avait affirmé que même si la chimie click ne peut pas fournir de copies exactes de molécules naturelles, cette méthode robuste de construction moléculaire permettra de mettre au point des molécules remplissant les mêmes fonctions. En effet, la combinaison de blocs de construction chimiques simples permet de créer une variété presque infinie de molécules. Cette innovante réaction pourrait permettre la génération de produits pharmaceutiques aussi adaptés que ceux que l’on trouve dans la nature et qui pourraient être produits à l’échelle industrielle. À cet égard, le Pr Fontaine assure que les applications de la chimie click sont «considérables par l’étendue des champs disciplinaires qui peuvent en bénéficier»: depuis la chimie biologique pour l’étude des processus se déroulant au sein des cellules jusqu’à la thérapeutique, en permettant par exemple d’accéder à de nouveaux candidats médicaments et d’améliorer le ciblage et l’efficacité d’agents anticancéreux, en passant par la chimie des matériaux pour en améliorer les propriétés ou en découvrir de nouveaux.
«En tant que chimiste des polymères travaillant à l’interface avec la biologie et la médecine, je suis un utilisateur de la chimie click, confie le Pr Fontaine. Nous étudions en particulier de nouvelles entités chimiques capables de répondre aux préceptes de la chimie click pour des applications en biologie, en médecine et dans le domaine des matériaux.» Et de conclure: «Nos travaux visent en particulier à mettre en œuvre la chimie click pour un meilleur contrôle de la structure et des dimensions des polymères avec des applications dans le domaine de la bioconjugaison, c’est-à-dire l’assemblage chimique d’entités biologiquement actives avec des molécules d’intérêt, notamment thérapeutique. Dans le passé, nous avons aussi utilisé la chimie click pour élaborer des matériaux destinés au domaine de l’électronique organique.»
Le Danois Morten Peter Meldal, co-lauréat du prix Nobel de Chimie 2022.
Le prix Nobel de chimie a sacré, le mercredi 5 octobre, trois pionniers de la chimie moderne: les Américains Carolyn Bertozzi et Karl Barry Sharpless, et le Danois Morten Peter Meldal. L’Académie royale des sciences de Suède a précisé, dans un communiqué, que ces chercheurs avaient «fait entrer la chimie dans l’ère du fonctionnalisme en posant les jalons de la chimie click». Introduit par Karl Barry Sharpless en 2001, cette science constitue un nouveau concept de la chimie de synthèse: elle consiste à produire rapidement et efficacement des intermédiaires synthétiques en assemblant différentes entités par des liaisons covalentes (liaisons moléculaires fortes), selon des réactions analogues à celles qui sont mises en œuvre par la nature. Cet assemblage moléculaire aurait déclenché un «effet boule de neige» dans le domaine, selon ladite Académie.
En effet, grâce aux outils innovants de la chimie moderne, les chimistes pouvaient synthétiser les molécules les plus sophistiquées dans leurs laboratoires. Ces procédures étaient toutefois loin d’être sans bémols: les molécules complexes doivent naturellement être construites en plusieurs étapes dont chacune aboutit à la formation de sous-produits indésirables. Ces derniers doivent donc être éliminés avant de poursuivre le processus de synthèse, diminuant de ce fait considérablement le rendement final, ce qui se traduit par des coûts de fabrication faramineux. Le prix Nobel de chimie de cette année a donc couronné les travaux de ces trois chercheurs, visant à mettre en place de nouveaux principes chimiques, et à laisser la simplicité et le fonctionnalisme prévaloir: «Le prix de cette année concerne des choses qui ne sont pas excessivement compliquées, privilégiant ce qui est facile et simple», a d’ailleurs déclaré l’un des membres du comité.
Entre chimie… et Lego
Contacté par Ici Beyrouth, Laurent Fontaine, professeur-chercheur à l’Institut des molécules et matériaux du Mans, en France, revient sur ces découvertes qui ont révolutionné le domaine de la chimie organique synthétique. «La chimie click relève de la chimie organique essentiellement et englobe des réactions chimiques (transformations d’un composé en un autre) qui sont rapides, très efficaces (conduisant le plus souvent à des rendements de 100%) et hautement sélectives», explique le chercheur français. Ces réactions respectent un certain nombre de principes de la «chimie verte», c’est-à-dire une chimie plus respectueuse de l’environnement, en particulier l’économie d’atomes. «À l’issue de la réaction chimique mise en œuvre, tous les atomes présents au départ se retrouvent dans le produit final, fait-il remarquer. Il n’y a alors pas de sous-produit et la purification est ainsi grandement facilitée.»
Karl Barry Sharpless, qui reçoit aujourd’hui son second prix Nobel de chimie (le premier lui a été décerné en 2001), a conceptualisé ce type de chimie qu’il a baptisé «chimie click» (ou click chemistry). Cette dernière fait référence à une chimie aussi simple à réaliser «qu’associer deux briques de Lego ou attacher sa ceinture de sécurité» (le «click» étant le son produit par cet assemblage), où les blocs de construction moléculaires s’emboîtent rapidement et efficacement. La découverte de Sharpless a aussitôt fait tache d’huile. De fait, le chercheur américain et Morten Meldal ont, en 2002, découvert chacun de son côté, ce qui est rapidement devenu le joyau de la couronne de la chimie click: «la possibilité de catalyser (à l’aide du cuivre) une réaction de cycloaddition (entre des azotures et des alcynes) qui conduit à des molécules cycliques particulières appelées triazoles», explique le Pr Fontaine.
De la chimie à la biologie
Cette réaction, initialement décrite par Rolf Huisgen en 1963, était jusqu’alors assez peu utilisée en raison des risques associés au chauffage qu’impose la transformation, étant donné que «certains azotures se décomposent violemment à la chaleur», comme le note le chimiste. Il poursuit que «la possibilité de catalyser cette réaction à l’aide d’un métal aisément disponible comme le cuivre en la rendant plus sûre (réalisable à température ambiante) et sélective (un seul produit étant obtenu contre deux possibles par la réaction de Huisgen) a ouvert une myriade d’utilisations pour cette réaction qui est devenue l’archétype des réactions click». Celles-ci facilitent la production de nouveaux matériaux et contribueront, d’après Morten Meldal, à des percées dans les domaines de «la science des matériaux, la science des surfaces, la chimie en général et l’industrie pharmaceutique».
La chimiste américaine Carolyn Bertozzi a étendu l’éventail de ces réactions de façon très élégante au domaine de la chimie biologique en initiant ce que l’on appelle la chimie bio-orthogonale. «Il s’agit de réactions de chimie click réalisables dans les milieux biologiques, voire in vivo (chez l’animal vivant) puisque les entités chimiques mises en œuvre n’existent pas au sein des organismes, ce qui confère à ces réactions une extrême sélectivité», précise le Pr Fontaine. En fait, ces réactions peuvent être conduites sans interférer avec le fonctionnement des cellules ou de l’organisme. «Pour ce faire, Bertozzi a développé de nouveaux réactifs de chimie click qui ne nécessitent plus l’utilisation d’un catalyseur comme le cuivre, qui peut être nocif pour les cellules en interférant notamment avec l’ADN», souligne-t-il. En utilisant des réactions bio-orthogonales, les chercheurs ont amélioré le ciblage des produits pharmaceutiques anticancéreux, qui sont actuellement testés dans des essais cliniques.
L'Américaine Carolyn Bertozzi, co-lauréate du prix Nobel de Chimie 2022.
Myriade d’applications
Barry Sharpless avait affirmé que même si la chimie click ne peut pas fournir de copies exactes de molécules naturelles, cette méthode robuste de construction moléculaire permettra de mettre au point des molécules remplissant les mêmes fonctions. En effet, la combinaison de blocs de construction chimiques simples permet de créer une variété presque infinie de molécules. Cette innovante réaction pourrait permettre la génération de produits pharmaceutiques aussi adaptés que ceux que l’on trouve dans la nature et qui pourraient être produits à l’échelle industrielle. À cet égard, le Pr Fontaine assure que les applications de la chimie click sont «considérables par l’étendue des champs disciplinaires qui peuvent en bénéficier»: depuis la chimie biologique pour l’étude des processus se déroulant au sein des cellules jusqu’à la thérapeutique, en permettant par exemple d’accéder à de nouveaux candidats médicaments et d’améliorer le ciblage et l’efficacité d’agents anticancéreux, en passant par la chimie des matériaux pour en améliorer les propriétés ou en découvrir de nouveaux.
«En tant que chimiste des polymères travaillant à l’interface avec la biologie et la médecine, je suis un utilisateur de la chimie click, confie le Pr Fontaine. Nous étudions en particulier de nouvelles entités chimiques capables de répondre aux préceptes de la chimie click pour des applications en biologie, en médecine et dans le domaine des matériaux.» Et de conclure: «Nos travaux visent en particulier à mettre en œuvre la chimie click pour un meilleur contrôle de la structure et des dimensions des polymères avec des applications dans le domaine de la bioconjugaison, c’est-à-dire l’assemblage chimique d’entités biologiquement actives avec des molécules d’intérêt, notamment thérapeutique. Dans le passé, nous avons aussi utilisé la chimie click pour élaborer des matériaux destinés au domaine de l’électronique organique.»
Le Danois Morten Peter Meldal, co-lauréat du prix Nobel de Chimie 2022.
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