Massacre de forêts à Deir el-Ahmar: les enjeux environnementaux
Samedi matin, le président du conseil municipal de Deir el-Ahmar, Latif Kozah, a lancé un appel aux Forces de sécurité intérieure (FSI) et aux ministères concernés pour protéger les arbres centenaires du village. Et ce à la suite de l’abattage la semaine dernière d’une centaine de chênes des forêts du village. «L’abattage a eu lieu dans une zone qui se situe à près de 6 kilomètres du village, dans une région qui n’est pas habitée et risquée, confie à Ici Beyrouth M. Kozah. Comme la police municipale n’a pas d’armes et étant en sous-effectifs, c’est aux FSI d’assurer la sécurité de la région. Le ministère de l’Agriculture doit aussi appliquer les lois en vigueur pour protéger les forêts». Il souligne en outre que la plus grande partie des terrains qui font l’objet de déboisement appartiennent à l’État et ne sont pas surveillés.

Or ces pratiques constituent une menace pour l’environnement. «C’est une déforestation morcelée ou en patch, essentiellement adoptée pour se chauffer, nous explique Rana el-Zein, spécialiste en écophysiologie et dynamique forestière. Le bois, coupé de façon anarchique, est également vendu. C’est un phénomène très grave aussi bien pour la biodiversité que pour les ressources forestières.»

Mme Zein explique à cet égard que «le fait d’abattre les arbres par morceaux n’est pas une pratique durable». «Si cette pratique persiste, il n’y aura plus d’arbres, met-elle en garde. Ce qui est mauvais sur les plans socio-économique et environnemental». Selon elle, exploiter les ressources forestières peut s’avérer bénéfique, à condition de le faire de manière scientifique et durable. Elle explique ainsi qu’au lieu d’abattre des centaines d’arbres dans un même endroit, «il est préférable d’élaguer les arbres ou de procéder à un éclaircissement des forêts en abattant les arbres les plus faibles, qui ont moins de chances de se développer».

Couper de manière scientifique


Des propos appuyés par Jean Stéphan, enseignant-chercheur en écologie et biodiversité à l’Université libanaise. «Couper de manière scientifique des angiospermes (arbres qui donnent des fruits, comme le chêne, l’érable…) les incitera à générer de nouvelles pousses, ce qui dans quelques dizaines d’années leur permettra de retrouver leur taille initiale, explique à Ici Beyrouth M. Stéphan. Dans le cas de la chênaie de Deir el-Ahmar, à titre d’exemple, il faut compter 25 ans pour qu’elle retrouve son état initial.» Or les arbres de cette chênaie ont été sauvagement abattus. «La souche de chêne contient plusieurs troncs, note-t-il. Pour la garder en vie, il faut préserver deux à trois troncs et couper le reste. Cela permet aussi d’assurer constamment à la forêt de nouvelles semences pour la rajeunir et la préserver aussi bien sur le plan génétique qu’écologique.»

Selon les experts, en prélevant les arbres, on risque de perdre les reliefs géologiques qui sont caractéristiques du Liban et de créer un risque d’érosion et de glissements de terrains. «Sur les pentes fortes, il ne faut pas trop réduire le couvert végétal pour ne pas affecter le ruissellement de l’eau, et induire par conséquent de forts glissements de terrains», poursuit M. Stéphan. De son côté, Rana el-Zein souligne que «cela peut aussi priver les populations locales de sources d’eau propre vitale à leur survie puisqu’un sol privé de racines et de plantes n’infiltre pas l’eau et donc ne régénère pas les nappes phréatiques».

Couper massivement des arbres provoque une perte de l’avantage socio-économique que présentent les produits non ligneux (qui ne contiennent pas de bois) de la forêt, comme les champignons, les plantes et les animaux. Tant Mme Zein que M. Stéphan dénoncent les lois forestières archaïques et mal appliquées au Liban qui «empêchent de respecter les recommandations des scientifiques, ce qui pousse les gens à l’excès».
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