L’acculturation par le Hezb
Pour supprimer un pays, le totalitarisme procède sur deux fronts simultanément: la démographie et la culture. Le récent assaut du ministre de la Culture contre le salon « Beyrouth Livres » annonce-t-il un nouveau Liban sur le modèle des purges staliniennes de 1937 ? Qu’est-ce qui attend les intellectuels, artistes, journalistes ou blogueurs dans les mois ou années à venir ?

Les Libanais sont les otages d’une politique expansionniste islamiste dont le Hezbollah se fait l’instrument. C’est un mélange de dictature et de terrorisme où la milice use de son hégémonie sur le gouvernement et les institutions étatiques, en même temps qu’elle subjugue la population à coups d’assassinats, d’appauvrissement, d’arrestations, d’interrogatoires et d’emprisonnements. La menace proférée le 8 octobre par le ministre de la Culture Mohamad Mortada a été retirée de son compte Twitter, le moment n’ayant pas été jugé propice pour la divulgation intégrale des intentions de la République Islamique. Il faut respecter les étapes, et c’est précisément ce que le Hezbollah a su faire depuis sa création en 1982.

Mohamad Mortada, ministre de la Culture

Le Festival « Beyrouth Livres »

Il est difficile de comprendre le geste du ministre de la Culture qui accuse le festival « Beyrouth Livres » d’abriter des sionistes ! Après quatre années d’interruption du salon du livre depuis 2018, cet événement inédit, avec ses 110 grands auteurs de la littérature francophone, arrivé comme un souffle d’oxygène dans l’asphyxie généralisée du pays, se retrouve confronté à une tentative d’avortement. Entre-temps, les salons du livre ou des produits iraniens prolifèrent sans le moindre contrôle. Pour quelle raison le ministre du tandem chiite a-t-il suscité cet incident, usant une fois de plus de l’épouvantail du sionisme alors que ses propres zaïms se trouvent en plein marchandage gazeux et nauséeux avec l’ennemi intime ?

Le livre francophone dérange, car la culture dérange. Le but à terme est l’anéantissement du Liban, en passant par l’acculturation et la déconstruction de son identité, de son paysage et de sa culture. « En vidant une nation de sa culture on la condamne à mort » dirait Milan Kundera. L’effondrement programmé des secteurs hospitalier, bancaire, éducatif, financier et touristique, va de concert avec la mise en place d’un système parallèle entièrement orchestré par le Hezbollah. Une économie de contrebande et de trafic de stupéfiants est accompagnée d’une invasion des ministères et des institutions, de l’aéroport, du port et de l’université, ainsi que d’une politique de colonisation en vue de changements démographiques.

Affiche du festival Beyrouth Livres

Offensive culturelle et démographique

La logique de ces implantations de populations par le Hezbollah est basée sur une réécriture idéologique de l’histoire, de la culture et de la géographie. Elle s’impose par l’usage de menaces afin de contraindre les propriétaires à vendre à vil prix. Elle se double d’occupations de terres par la force des armes et du fait accompli.

La stratégie du totalitarisme procède de ces deux approches en simultané. Pour effacer un pays il est nécessaire de provoquer des changements démographiques drastiques et un phénomène d’acculturation. C’est précisément la manière par laquelle Joseph Staline procédait dans les années 1930, implantant des populations russes dans les États fédérés, et déportant les minorités ethniques ou culturelles en vue de les déraciner. Il avait accompagné cela d’une politique d’acculturation par l’imposition de la langue et de l’histoire russe dans toutes les écoles.


Le Hezbollah, aidé d’abord par les Palestiniens puis par l’Iran, a dépeuplé le littoral maronite entre Rmeilé et Haret-Hreik. Il entame désormais son offensive sur le littoral nord ainsi que sur tous les symboles de la résistance culturelle.

Deux poids deux mesures

Ce sont constamment des films et des livres qui sont censurés, des concerts, des événements et des spectacles, comme celui de Gad Elmaleh, qui sont annulés pour y avoir flairé un lien avec Israël. Des personnalités sont harcelées, comme Miss Liban Sally Jreije en 2015, pour s’être affichée dans une photo auprès de Miss Israël, ou comme l’homme d’affaires Carlos Ghosn en 2020, pour s’être rendu à l’État hébreu. Pour un rien, un Libanais est traduit en cours martiale, jugé et condamné. Le tribunal militaire n’étant plus qu’un instrument de terreur et d’intimidation entre les mains de la milice iranienne.

Le commerce avec l’État hébreu est interdit dans la loi libanaise, sous peine de prison. C’est pourtant tout un village affilié au tandem Amal-Hezbollah qui a été surpris achetant son électricité en Israël. Il n’y a eu aucune sanction. Alors que seulement trois mois plus tôt, en juillet, pour avoir rapporté des aides et des médicaments, l’archevêque maronite de Haïfa a subi un interrogatoire de 11 heures suivi de la confiscation de tous les biens transportés, de son passeport et de son portable. On n’ose pas imaginer ce qui serait arrivé si le câble électrique en provenance du territoire ennemi avait alimenté un village tel que Rmeich ou Ain-Ebel. Sans oublier, au passage, qu’une partie de la population de ces villages est toujours interdite de séjour au Liban, pour cause de collaboration avec l’ennemi sioniste. Parmi ces exilés, des femmes, des enfants et des nouveaux nés.

Le tandem chiite valse sur son discours dichotomique, collant l’étiquette de terroristes aux sunnites, et d’agents d’Israël aux chrétiens, alors qu’il exerce lui-même le terrorisme, et pendant qu’il gère ses propres négociations avec son indispensable ennemi. Il tient constamment un double langage axé sur l’extérieur, sur la recherche d’avantages commerciaux avec la France et Israël, tandis qu’à l’intérieur son discours demeure axé sur l’antisémitisme et la diabolisation de l’Occident, imposant de facto aux chrétiens, une isolation culturelle suffocante. Une chappe de plomb étouffe le Liban et le pousse tout entier vers l’exil.

L’acculturation

Le récent assaut du ministre de la Culture contre le salon « Beyrouth Livres », et son tollé contre un certain nombre d’intellectuels accusés de sionisme, annoncent-ils un nouveau Liban sur le modèle des purges staliniennes de 1937 ? Qu’est-ce qui attend les intellectuels, les artistes, journalistes ou blogueurs dans les mois ou années à venir ? L’acculturation est le processus par lequel un groupe assimile une culture qui lui est étrangère et qui s’impose comme dominante, voire hégémonique. Elle recherche la dissolution pure et simple d’un groupe ethnique ou culturel.

Dans son tweet, Mohammad Mortada soulignait :« Nous mettons en garde contre l’exploitation du mouvement culturel pour promouvoir le sionisme et ses plans d’occupation agressifs, apparents ou dissimulés… ». Pour un pays qui a toujours partagé les mêmes valeurs que l’Occident, le ministre bouleverse la réalité pour en imposer une nouvelle. Le Liban est désormais aux antipodes du monde occidental, et de la France en particulier. De même que votre pays, dit-il à la France, ne permettrait pas aux Libanais certaines actions chez vous, « nous ne permettrons pas à des sionistes (…) de diffuser leur venin au Liban ». Rien de plus choquant, puisque ces propos proviennent d’un ministre proche du tandem chiite qui se partage les richesses maritimes avec l’État hébreu, lui faisant cadeau d’une nouvelle ligne de délimitation englobant tout le champ gazier de Karish.

En définitive, ce sont cinq auteurs, à savoir Éric-Emmanuel Schmitt, Tahar ben Jelloun, Pascal Bruckner, Pierre Assouline et Sélim Nassib, qui ne se rendront plus au Liban pour participer au grand événement. Rien de plus désolant et révoltant que le cas de Sélim Nassib, cet auteur franco-libanais né à Beyrouth, qui se retrouve indésirable en raison de ses origines juives. Voilà que le tandem Hezbollah-Amal s’érige en juge omnipotent moraliste s’octroyant la compétence du discernement entre les citoyens traitres et honorables.

Plateforme gazière de Karish
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