Le magasin d’antiquités occupe un coin de rue passante, mais les trésors sont à l’étage de cet immeuble centenaire qui lui sert de réserve. Ce n’est plus vraiment la grande époque mais, tout de même, avec les clients du Golfe et aussi des Libanais qui ont les moyens d’avoir le goût du beau, Mohammed ne s’en tire pas trop mal. Ça, c’est pour le début de la longue conversation. Plus tard, forcément, on en viendra à parler de ce qu’il appelle "la situation".
Elle n’est pas si brillante, en fait. "Maintenant, on est comme en prison ici. C’est une vie de routine et ça nous tue". Il fait partie des nostalgiques du Liban des années 60, cette époque qui alimente les clichés, quand cela fait du bien de se souvenir du temps d’avant l’embrasement. Sa famille a vécu de très belles années. Elle tenait une fabrique de chocolats à Tayouné, le quartier où une manifestation a dégénéré en octobre dernier. Lui, le chocolat et ensuite les gaufrettes, qui ont fait vivre sa famille pendant longtemps, ce n’était pas trop son truc. Il a commencé en chinant de-ci de-là. "J’ai le commerce dans le sang, mais j’aime le beau travail, alors voilà, je suis devenu antiquaire."
Yamouna, sa belle-sœur, nous rejoint. Elle fuit l’appareil photo car elle n’est pas allée chez le coiffeur. "Une autre fois, promis." L’électricité vacille, ça clignote et puis plus rien. "Voilà, c’est le Liban", lâche Yamouna. Ils attendent qu’on vienne réparer le générateur, l’odeur de gasoil flotte dans la pièce. Elle couvrirait presque celle du café qui se prépare. Il faut avoir le cœur bien accroché ici pour qu’il résiste à la version dite turque, mais Yamouna préfère dire "le café libanais" et tant pis si ce sont sans doute les Ottomans qui ont amené la tradition ici.
On le prend sous plusieurs lustres en baccarat et devant un grand miroir en marqueterie syrienne qui mêle nacre et bois précieux. Dans une petite armoire vitrée, des verres en cristal de Bohême et quelques carafes finement travaillées. Mohammed a eu des dégâts ici, quand le port a explosé. Il fait partie de ces nombreux Beyrouthins qui disent avoir entendu un avion juste avant l’explosion, mais Yamouna n’en est pas si certaine. Ce dont il est sûr, en revanche, c’est que des militaires sont passés chez lui dans les jours qui ont suivi. Ils ont soigneusement noté que les fenêtres n’avaient pas résisté, que la porte d’entrée s’était affalée dans l’escalier, mais après "plus rien, on n’a eu aucune aide". Un abandon que tout le monde dénonce ici.
Imaginez. Un souffle qui dévaste des quartiers entiers, et qui pour venir secourir, déblayer, colmater, parer au plus urgent? De jeunes Libanais accourus dans les quartiers les plus touchés, avec des balais, des pelles et une énergie folle. Des voisins qui ont ouvert leurs appartements quand ils étaient moins touchés, une société civile qui compense comme elle le peut, l’incurie de l’État.
Ce sont ces histoires-là que l’on vous raconte et elles se ressemblent un peu toutes. Une tragédie qui s’est abattue sur un pays déjà étranglé. "Il ne nous manquait plus que cela", lâche Mohammed avant de laisser tomber un "ce pays, c’est une pitié maintenant" qui s’écrase dans un long silence.
Je repartirai avec un savon à l’huile d’olive, emballé dans un joli papier décoré. Yamuna m’assure qu’il n’y a pas meilleure marque ici, qu’il fait la peau douce et du bien au moral.
Prochain article le dimanche 19 décembre
Elle n’est pas si brillante, en fait. "Maintenant, on est comme en prison ici. C’est une vie de routine et ça nous tue". Il fait partie des nostalgiques du Liban des années 60, cette époque qui alimente les clichés, quand cela fait du bien de se souvenir du temps d’avant l’embrasement. Sa famille a vécu de très belles années. Elle tenait une fabrique de chocolats à Tayouné, le quartier où une manifestation a dégénéré en octobre dernier. Lui, le chocolat et ensuite les gaufrettes, qui ont fait vivre sa famille pendant longtemps, ce n’était pas trop son truc. Il a commencé en chinant de-ci de-là. "J’ai le commerce dans le sang, mais j’aime le beau travail, alors voilà, je suis devenu antiquaire."
Yamouna, sa belle-sœur, nous rejoint. Elle fuit l’appareil photo car elle n’est pas allée chez le coiffeur. "Une autre fois, promis." L’électricité vacille, ça clignote et puis plus rien. "Voilà, c’est le Liban", lâche Yamouna. Ils attendent qu’on vienne réparer le générateur, l’odeur de gasoil flotte dans la pièce. Elle couvrirait presque celle du café qui se prépare. Il faut avoir le cœur bien accroché ici pour qu’il résiste à la version dite turque, mais Yamouna préfère dire "le café libanais" et tant pis si ce sont sans doute les Ottomans qui ont amené la tradition ici.
On le prend sous plusieurs lustres en baccarat et devant un grand miroir en marqueterie syrienne qui mêle nacre et bois précieux. Dans une petite armoire vitrée, des verres en cristal de Bohême et quelques carafes finement travaillées. Mohammed a eu des dégâts ici, quand le port a explosé. Il fait partie de ces nombreux Beyrouthins qui disent avoir entendu un avion juste avant l’explosion, mais Yamouna n’en est pas si certaine. Ce dont il est sûr, en revanche, c’est que des militaires sont passés chez lui dans les jours qui ont suivi. Ils ont soigneusement noté que les fenêtres n’avaient pas résisté, que la porte d’entrée s’était affalée dans l’escalier, mais après "plus rien, on n’a eu aucune aide". Un abandon que tout le monde dénonce ici.
Imaginez. Un souffle qui dévaste des quartiers entiers, et qui pour venir secourir, déblayer, colmater, parer au plus urgent? De jeunes Libanais accourus dans les quartiers les plus touchés, avec des balais, des pelles et une énergie folle. Des voisins qui ont ouvert leurs appartements quand ils étaient moins touchés, une société civile qui compense comme elle le peut, l’incurie de l’État.
Ce sont ces histoires-là que l’on vous raconte et elles se ressemblent un peu toutes. Une tragédie qui s’est abattue sur un pays déjà étranglé. "Il ne nous manquait plus que cela", lâche Mohammed avant de laisser tomber un "ce pays, c’est une pitié maintenant" qui s’écrase dans un long silence.
Je repartirai avec un savon à l’huile d’olive, emballé dans un joli papier décoré. Yamuna m’assure qu’il n’y a pas meilleure marque ici, qu’il fait la peau douce et du bien au moral.
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