L'opposant Ilia Iachine rejoint l'archipel des réprimés russes
Énième opposant réprimé par le régime de Vladimir Poutine, Ilia Iachine a été condamné vendredi à huit ans et demi de prison pour avoir critiqué l'invasion de l'Ukraine. Iachine était l'un des derniers opposants russes de premier plan à ne pas avoir été empoisonné, assassiné, exilé ou emprisonné. En bon haut fonctionnaire soviétique, Poutine a feint de ne pas connaître l'opposant pourtant célèbre. "Qui est-ce ? Un blogueur ?", a-t-il demandé...

M. Iachine a accueilli la décision du tribunal en riant, pendant que ses soutiens poussaient des cris d'indignation dans la salle d'audience. "Tu sortiras avant ! Ne désespère pas !", a lancé l'un d'eux.

Un tribunal de Moscou a reconnu Ilia Iachine coupable d'avoir diffusé de "fausses informations" sur l'armée et l'a condamné à huit ans et demi de colonie pénitentiaire.

Cet homme charismatique de 39 ans était jugé pour avoir dénoncé, dans une intervention en direct sur YouTube, "le meurtre de civils" dans la ville ukrainienne de Boutcha, près de Kiev, où l'armée russe a été accusée d'exactions, ce que nie Moscou.

Son procès a été particulièrement suivi en Russie, car il était l'un des derniers opposants russes de premier plan à ne pas avoir fui son pays ou à ne pas avoir été emprisonné.

Un tribunal de Moscou avait déjà condamné à 15 jours de prison Ilia Iachine en juin dernier.

Car parallèlement à l'intervention en Ukraine, le Kremlin a accéléré la répression à l'intérieur de la Russie, pourchassant ceux qui contestent son opération militaire en Ukraine.

L'opposant Alexeï Navalny, la bête noire du Kremlin qui purge depuis début 2021 une lourde peine de prison après avoir survécu à un empoisonnement, a dénoncé vendredi une condamnation "honteuse", dans un message sur Instagram.

L'Union européenne a fustigé dans un communiqué une décision "politiquement motivée et inacceptable", réclamant la libération "immédiate" de M. Iachine et de "tous les autres prisonniers politiques en Russie".



Interrogé au sujet de cette condamnation lors d'une conférence de presse, Vladimir Poutine a pour sa part feint de ne pas connaître cet opposant pourtant célèbre. "Qui est-ce ? Un blogueur ?", a-t-il demandé.

Signe de la tension ambiante, le procès de M. Iachine a été marqué par plusieurs débordements.

Au cours d'une audience fin novembre, une échauffourée a éclaté devant la salle, des agents de sécurité du tribunal ayant plaqué le père de l'opposant au sol. Et une audience prévue pour mercredi a été reportée en raison d'une alerte à la bombe.

M. Iachine était un proche de l'opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015.

L'opposant était poursuivi sur la base d'articles du Code pénal introduits peu après le début de l'offensive en Ukraine et qui punissent ceux qui "discréditent" l'armée russe ou "publient de fausses informations" sur ses agissements.

Ces textes sont vagues et leur champ d'application est très large. Les détracteurs du Kremlin y voient un outil "fourre-tout" pour étouffer la voix de tous ceux qui s'opposent à son intervention militaire en Ukraine.

Malgré son arrestation, M. Iachine a continué de critiquer les autorités de façon acerbe et de dénoncer l'offensive de l'armée déclenchée en février.

L'assassinat de l'opposant Boris Nemtsov en 2015 a déclenché une vague de manifestations en Russie.

Début novembre, il avait accusé les juges russes d'être des "serviteurs" du pouvoir et de donner à M. Poutine un "sentiment d'impunité".

A l'occasion d'une autre audience, il avait expliqué son refus de fuir la Russie en déclarant: "J'aime mon pays et je suis prêt à sacrifier ma liberté pour vivre ici (...). Je suis un patriote".

M. Iachine était un proche de l'opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015, mais aussi du militant pourfendeur de la corruption Alexeï Navalny.

Le militant russe anti-corruption Alexeï Navalny.

Son procès faisait partie des multiples affaires judiciaires à l'encontre de responsables politiques de l'opposition ou de simples particuliers ayant critiqué l'intervention russe en Ukraine.
Des opposants assassinés

Le cas de l'ancien vice-Premier ministre Boris Nemtsov est un exemple notoire d'assassinat d'homme politique sous Poutine. Pressenti un temps pour succéder au président Boris Eltsine face à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov était devenu dans les années 2000 un détracteur majeur du président russe.


Les cinq Tchétchènes reconnus coupables du meurtre en février 2015 de l'opposant russe Boris Nemtsov ont été condamnés jeudi 13 juillet 2017 à des peines allant de 11 ans à 20 ans de prison par un tribunal de Moscou, après un procès qui n'a cependant pas permis de retrouver le (ou les) commanditaire(s).

En 2014, il s'était opposé à l'annexion de la Crimée et au soutien militaire du Kremlin aux séparatistes de l'Est de l'Ukraine.

Moins d'un an plus tard, en février 2015, Nemtsov est assassiné de quatre balles dans le dos sur un pont à quelques dizaines de mètres du Kremlin. Il avait 55 ans.

Ses soutiens ont accusé le satrape tchétchène Ramzan Kadyrov d'avoir donné l'ordre, ce qu'il nie. Cinq Tchétchènes ont néanmoins été condamnés pour ce meurtre. Mais le commanditaire n'a jamais été officiellement identifié.

L'opposante assassinée Anna Politkovskaïa.

Quelques années plus tôt, en octobre 2006, Anna Politkovskaïa, une autre critique influente de MM. Poutine et Kadyrov, avait été abattue dans le hall de son immeuble à Moscou.

Cette journaliste à Novaïa Gazeta, principal média indépendant du pays, avait documenté et dénoncé pendant des années les crimes de l'armée russe en Tchétchénie.
Emprisonnés

D'autres critiques ont évité de peu la mort et se sont retrouvés en prison. Alexeï Navalny, militant anti-corruption de 46 ans, a été victime en 2020 en Sibérie d'un grave empoisonnement qu'il attribue au Kremlin, ce que ce dernier dément.

A son retour en Russie en janvier 2021, après une convalescence en Allemagne, il a été immédiatement arrêté. Il purge depuis mars une peine de neuf ans de prison pour des accusations d'escroquerie qu'il juge montées de toutes pièces.

La fille de l'opposant russe emprisonné Alexei Navalny reçoit le Prix Sakharov de son père lors d'une cérémonie au Parlement européen en décembre 2021.

Un autre opposant, Vladimir Kara-Mourza, 41 ans, dit lui avoir survécu par le passé à deux empoisonnements. En avril, il a été arrêté à Moscou, accusé d'avoir diffusé de "fausses informations" sur l'armée russe en Ukraine. Il a également été inculpé de "haute trahison", un crime passible de 20 ans d'emprisonnement.

Un autre critique influent, Evguéni Roïzman, 60 ans, ancien maire de la ville d'Ekaterinbourg, a lui été arrêté en août. Il a été libéré dans l'attente de son procès pour avoir "discrédité" l'armée et risque trois ans de prison.
Exilés

La grande majorité des figures de l'opposition restées en Russie sont emprisonnées. Les autres ont fui.

Mikhaïl Khodorkovski, un ancien magnat du pétrole, a passé dix ans en prison après s'être opposé à M. Poutine au début des années 2000. Depuis sa libération en 2013, M. Khodorkovski est réfugié à Londres d'où il finance des plateformes d'opposition.

Mikhaïl Khodorkovski a été libéré par le Kremlin grâce à l'intervention personnelle du vétéran de la politique allemande, l'ancien ministre des AE Hans Dietrich Genscher.

Beaucoup de partisans de M. Khodorkovski, mais aussi d'Alexeï Navalny, ont quitté la Russie depuis 2021, année qui a marqué une forte accélération de la répression.

Cette répression s'est accentuée depuis l'offensive en Ukraine, qui a aussi poussé des milliers de soutiens de l'opposition, pas seulement ses cadres, à s'exiler.
"Agents de l'étranger"

Ceux qui ont échappé à la mort ou à la prison risquent une autre punition: être désignés "agents de l'étranger".

Ces dernières années, cette étiquette infamante, qui évoque le lexique de la terreur stalinienne, a été accolée à des dizaines de médias, ONG, journalistes, militants ou artistes.

Lors d'une conférence de presse, Vladimir Poutine a feint de ne pas connaître l'opposant. "Qui est-ce ? Un blogueur ?", a-t-il demandé.

Ce statut les oblige à se soumettre à des contraintes kafkaïennes. Ils doivent notamment indiquer leur qualité d'"agents de l'étranger" dans toutes les publications, sous peine de sanctions.

L'hiver dernier, l'ONG Mémorial, co-lauréate du Prix Nobel de la Paix 2022 et pilier de la défense des droits humains, a été démantelée sur ordre de la justice russe pour avoir violé la loi sur les "agents de l'étranger".

Avec AFP
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