A Oslo, un réquisitoire contre la guerre «folle et criminelle» de Poutine
La cérémonie de remise du prix Nobel de la paix 2022 à Oslo, samedi, paraissait comme un voyage dans le temps, plus exactement à l'époque de l'URSS. Les lauréats ukrainien, russe et biélorusse, un opposant et deux organisations, sont récompensés pour leur lutte pour la démocratie et les droits de l'homme dans leurs pays. L'attribution de ce prix en 2022, alors que l'Ukraine est envahie par les troupes russes, reflète une volonté de dénoncer cette agression.

Le roi Harald V de Norvège, la reine Sonja de Norvège, la princesse héritière Mette-Marit de Norvège et le prince héritier Haakon de Norvège étaient présents lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix 2022 à l'hôtel de ville d'Oslo.

En recevant leur prestigieuse récompense samedi à Oslo, les lauréats ukrainien, russe et biélorusse du Nobel de la paix ont appelé à ne pas baisser les armes dans la guerre "folle et criminelle" que Vladimir Poutine a lancée en Ukraine.

Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, le militant biélorusse Ales Beliatski, emprisonné dans son pays, l'ONG russe Memorial, dissoute sur ordre de la justice, et le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CCL) ont été couronnés pour leur engagement en faveur "des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique" face aux forces autoritaires.

Le Nobel n'a pas entamé leur pugnacité, même s'ils n'ont affiché aucun signe d'effusions entre eux lors de la cérémonie de remise du prix.

De gauche à droite: Natalia Pinchuk a reçu le prix au nom de son mari, lauréat du prix Nobel de la paix 2022, l'activiste biélorusse emprisonné Ales Bialiatski, le président de Memorial Yan Rachinsky au nom de l'organisation russe de défense des droits de l'homme Memorial, et lauréat du prix Nobel de la paix 2022 et la cheffe du Centre ukrainien pour les libertés civiles (CCL) Oleksandra Matviichuk, lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix 2022 à l'hôtel de ville d'Oslo, en Norvège.

"Le peuple d'Ukraine veut la paix plus que quiconque dans le monde", a déclaré la cheffe du Centre pour les libertés civiles (CCL), Oleksandra Matviïtchouk. "Mais la paix pour un pays attaqué ne peut être atteinte en déposant les armes. Ce ne serait pas la paix, mais l'occupation", a-t-elle dit.

Créé en 2007, le CCL qu'elle dirige documente aujourd'hui les crimes de guerre commis par les troupes russes en Ukraine: les destructions d'immeubles d'habitations, d'églises, d'écoles et d'hôpitaux, les bombardements des couloirs d'évacuation, les déplacements forcés de population, les tortures et les crimes...

Conséquence des bombardements sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes, Mme Matviïtchouk a elle-même écrit son discours de remerciement pour le Nobel à la lueur d'une bougie, a-t-elle confié à l'AFP lors d'un entretien juste avant la cérémonie.

La cheffe du Centre ukrainien pour les libertés civiles (CCL) Oleksandra Matviichuk. Créé en 2007, le CCL qu'elle dirige documente aujourd'hui les crimes de guerre commis par les troupes russes en Ukraine.

En neuf mois d'invasion russe, le CCL a dénombré "plus de 27.000 épisodes" de crimes de guerre, selon elle, et c'est "seulement le sommet de l'iceberg". "La guerre transforme les gens en nombres. Nous devons redonner un nom à toutes les victimes de crimes de guerre", a-t-elle souligné.
La dénaturation de la lutte anti-fasciste

La voix étranglée d'émotion dans son discours à l'Hôtel de ville d'Oslo paré de fleurs rouges de Sibérie, Mme Matviïtchouk a de nouveau appelé à la création d'un tribunal international pour juger "Poutine, (son allié, le dirigeant bélarusse Alexandre) Loukachenko et d'autres criminels de guerre".

Son colauréat russe, le président de Memorial, Ian Ratchinski, a quant à lui dénoncé les "ambitions impériales" héritées de l'URSS qui "fleurissent toujours aujourd'hui". La Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste "au profit de ses propres intérêts politiques", a-t-il dit.

Le massacre de Boutcha, dans les environs de Kiev, a eu lieu aux débuts de l’invasion de l’Ukraine, juste avec le retrait des troupes russes, vaincues par la résistance ukrainienne dans la capitale.


Désormais, "résister à la Russie équivaut à du fascisme", a-t-il déploré. Une dénaturation qui fournit "la justification idéologique à la guerre d'agression folle et criminelle contre l'Ukraine", a-t-il affirmé, malgré les interdictions imposées par Moscou de critiquer publiquement l'invasion.

Fondée en 1989, Memorial a œuvré pendant des décennies à faire la lumière sur les crimes commis sous le régime totalitaire de Staline et préserver la mémoire de ses victimes, puis à collecter des informations sur la violation des libertés et des droits en Russie.

Dans un contexte de musèlement de l'opposition et des médias, l'ONG a été dissoute fin 2021 par la justice russe, qui a aussi ordonné la saisie de ses bureaux à Moscou le 7 octobre, le soir même de l'attribution du Nobel à l'organisation.

L'emblématique ONG russe Mémorial, co-lauréate du Prix Nobel de la Paix, a fait la lumière pendant trois décennies sur les purges staliniennes, puis les répressions dans la Russie contemporaine de Vladimir Poutine, avant d'en être elle-même victime.

"Aujourd'hui, le nombre de prisonniers politiques en Russie est supérieur à leur nombre total dans toute l'Union soviétique au début de la période de la perestroïka dans les années 1980", a noté M. Ratchinski.
Le Bélarus, dictature vassale de la Russie

Le troisième lauréat du Nobel, Ales Beliatski, père de l'ONG de défense des droits humains Viasna (Printemps), est incarcéré depuis juillet 2021.

Dans l'attente d'un procès où il encourt douze ans de prison pour "contrebande" d'espèces au profit de l'opposition au régime répressif de M. Loukachenko, le militant de 60 ans n'a pas été autorisé à transmettre un discours de remerciement pour le Nobel.

Le Bélarus a été exhorté à libérer Ales Beliatski, président fondateur du Centre de défense des droits de l’Homme Viasna (" Printemps "), qui a été de nouveau jeté en prison en 2020 lors des manifestations massives contre la réélection, jugée frauduleuse par les Occidentaux, du président autoritaire Alexandre Loukachenko.

Le représentant à la cérémonie, son épouse Natalia Pintchouk a dû se contenter de répéter quelques-uns de ses mots, notamment ceux dans lesquels il appelle à se dresser contre "l'internationale des dictatures".

En Ukraine, la Russie vise à établir "une dictature vassale, la même chose que le Bélarus d'aujourd'hui, où la voix du peuple opprimé est ignorée, avec des bases militaires russes, une énorme dépendance économique, une russification culturelle et linguistique", a-t-il dit par la voix de sa femme.

"La bonté et la vérité doivent pouvoir se protéger", a-t-il aussi affirmé.

À Stockholm, où sont décernés les autres Nobel (médecine, physique, chimie, littérature et économie), ce sont pas moins de 26 vainqueurs qui participeront cette année aux festivités.La faute à la Covid-19 qui a empêché les lauréats 2020 et 2021 de se rendre dans la capitale suédoise pour recevoir leur récompense et leur chèque de 10 millions de couronnes (environ 900.000 euros).

Avec AFP
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