L’art pour survivre… et pour aimer
Peindre par ces temps de crise au Liban est devenu un défi constant. Il serait facile de se laisser aller à cette vague de négativité ambiante qui tue la créativité et qui fait perdre l’inspiration. 

Le prix du matériel de peinture a quintuplé et y investir est désormais très onéreux. Les nécessités de la vie sont les seules dépenses que l’on se permet. Il n’est plus question de luxe ou de loisirs artistiques. Il est primordial de trouver des médicaments, de s’approvisionner en matières premières, de faire le plein d’essence et d’assurer de quoi faire fonctionner le générateur d’électricité, dans un Liban qui sombre dans le noir le plus total. Faire de l’art est désormais considéré comme une activité secondaire puisque les priorités vont à la survie quotidienne.

L’artiste possède néanmoins en lui des sources inhérentes à sa passion ainsi que le plaisir de puiser dans ses ressources personnelles pour s’évader, transformant un climat morose en œuvres jubilatoires. Peindre est une thérapie, un moyen d’oublier ce qui se passe à l’extérieur d’une bulle dans laquelle une nouvelle toile prend naissance.

L’art a toujours effacé mes peines et m’a permis de m’évader vers un ailleurs plus clément. Sur ma toile, je vogue vers un nuage de sérénité et avec mes couleurs, je dilue les tourments. Tout devient plus facile lorsque l’on s’arme d’un pinceau et que la palette devient bouclier.

Lorsque je peins, je ne sais plus l’heure qu’il est, le temps qu’il fait. L’atmosphère dans laquelle je flotte devient transparente. Il n’y a plus de murs, plus de plafond, la toile perd ses limites et la couleur se propage et remplit un espace tridimensionnel. La peinture est mon antidote et mon calmant. Elle me prend vers un arc-en-ciel festif où tout devient possible.

J’ai préparé ma dernière exposition en solo dans les conditions les plus difficiles, barricadée dans mon atelier, souvent sans électricité. Malgré ces dures conditions, j’ai réussi à produire 15 grandes toiles qui ont transformé mon atelier en une fontaine de couleurs et de mouvements joyeux. J’ai fait abstraction de la crise et de l’inflation. Je me suis immergée dans mes pensées positives et j’ai laissé mon art fondre dans ce bonheur intense et puissant, celui d’user de mes pinceaux et de mes spatules comme baguettes magiques pour défier le sort.

L’art donne de l’espoir et induit des sourires. J’ai pu en dessiner sur les visages des invités à mon vernissage et cela m’a fait pousser des ailes. Au-delà d’une toile vendue, le bonheur et le rêve dispensés aux observateurs sont pour moi la clé du succès et la motivation pour persévérer dans ma passion artistique.


Ceci dit, il est malheureux de constater que l’art devient, parfois, source de jalousie. Beaucoup d’artistes n’arrivent pas à accepter le succès des autres. Et pourtant, il y a de la place pour tout le monde. Et puis l’art est très subjectif. On peut aimer ou pas. On peut vouloir acquérir une œuvre ou pas. Il est souvent question de chance mais aussi de contacts. Certains artistes se trouvent parfois sur le bon chemin et voient leur carrière prendre son envol. D’autres souffrent et peinent à se faire connaître. Tout cela provoque envie, malveillance et même haine. La jalousie use, comme tout ce qui est négatif. Pourquoi se laisser dévorer par l’envie au point de distiller du venin gratuitement?

Les artistes devraient s’entraider, être solidaires les uns des autres et se soutenir. C’est ma philosophie de vie. C’est de cette manière que l’art, en général, pourrait se faire valoir. Comment avancer et relever le niveau d’un pays en souffrance, sinon grâce à l’art sous sa forme la plus pure?

L’art est surtout vérité. Et lorsque l’artiste a le courage d’être honnête, lorsqu’il ose être totalement lui-même devant son travail, c’est ainsi qu’il touche le public. C’est ainsi qu’il réussit aussi son œuvre. C’est ainsi qu’il envoie des ondes d’amour à ceux qui sont fans de son travail.

Un artiste doit oser dire et faire ce qu’il pense, il ne doit pas avoir peur d’être différent, même s’il va à l’encontre des principes d’une société. Car même s’il suscite de la haine, il devrait se souvenir que l’amour gagne toujours.

«L’art sauvera le monde», c’est de cette célèbre citation de Dostoïevski que je tire mes espoirs pour le Liban.

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