"De la musique avant toute chose", préconisait l’écrivain et poète français Paul Verlaine dans son Art poétique. Ainsi soit-il. "Moments Sostenuto" est une chronique musicale qui tend à valoriser les ardents défenseurs de la musique, cette "brûlure du sensible sur les pas de l’ouvert", comme le chante splendidement le poète libano-français Alain Tasso. Telle la pédale d’un piano soutenant la note d’une gamme, "Moments Sostenuto" cherche à pérenniser l’œuvre d’un compositeur, le labeur d’un musicien ou encore la passion d’un rare mélomane, dans l’obscurité de ces jours présents. À l’occasion de la trentième commémoration du décès d’Olivier Messiaen, retour en couleurs, avec les compositeurs Gilbert Amy, Naji Hakim et Thomas Lacôte, sur l’œuvre de cet éminent compositeur qui aura marqué le XXe siècle.
De l’aube au crépuscule de deux guerres mondiales dévastatrices, et bien au-delà, le monde fut ponctué par des temps dits évolutionnistes ou du moins révolutionnaires qui frôlèrent tous les domaines, y compris l’Art et la musique. Jugée inévitable, une rupture avec les systèmes musicaux conventionnels se profilait au début du XXe siècle où les compositeurs modernes tentaient tant bien que mal de se forger une position permanente dans l'Histoire de la musique. Ainsi, au lieu d'adhérer à un style d'écriture particulier, ceux-là même se sont engouffrés à cœur joie dans la brèche d’une tendance faisant tabula rasa du passé, en s’affranchissant de la grammaire musicale en vigueur, et tout particulièrement d’un système tonal tricentenaire qui avait dominé la musique d’art harmonique occidentale pendant les XVIIIe et XIXe siècles. Ces pionniers de la musique savante actuelle ont ainsi opéré une révolution musicale en bonne et due forme qui franchit aussitôt un point de non-retour. Ce siècle riche en expérimentations mais encore (et surtout) en remises en cause des vocabulaires musicaux dits classiques sonna finalement le glas à la musique tonale, cet "âge d’or de la musique", pour reprendre les mots de l’éminent compositeur français Gilbert Amy. En effet, ce système aurait atteint, selon les contemporains de cette époque, un point de saturation, la musique atonale étant ainsi devenue une "nécessité historique".
Dès lors, chaque compositeur, plaçant d’emblée ses créations musicales sous le sceau de l’avant-garde, s'efforçait de créer un langage musical individuel, différent de celui de ses prédécesseurs mais aussi de ses contemporains. Concilier donc deux antonymes, en maintenant d’une part un certain lien avec le passé, tout en créant une expression musicale novatrice, digne de ce nom, tel fut le défi à relever tout le long du XXe siècle. À l’aune d’une ère marquée par l'effondrement de toute frontière entre bruits et sons, Olivier Messiaen (1908-1992) est parvenu avec brio à concilier l'inconciliable en mettant au point un système modal novateur, coloré, complexe et abouti, baptisé les "modes à transpositions limitées", sans pour autant renier (complètement) le système tonal qu’il continua à utiliser comme un moyen d’architecturer ses œuvres dans leur globalité. Il marqua, de ce fait, le XXe siècle de son "arc-en-ciel théologique" qui puise ses sources dans une profonde ferveur catholique. S’il est considéré comme l’un des révolutionnaires du langage musical de son époque, aux côtés de Claude Debussy (1862-1918), Arnold Schönberg (1874-1951), et Igor Stravinsky (1882-1971), Olivier Messiaen demeure une figure musicale inclassable dont l’authenticité de son expression musicale reflète explicitement son adhésion aux principes de base de l'unité, du nombre et de l'ordre.
Dans son traité, intitulé "Technique de mon langage musical" (1944), Messiaen évoque son attirance pour le "charme des impossibilités", notamment les impossibilités mathématiques des domaines modal et rythmique, qui donne à sa musique le "pouvoir envoûtant" que lui attribuent les auditeurs. Son œuvre pionnière puise ses fondements dans des traditions archaïques, en particulier celles de la musique de l’antiquité grecque, du plain-chant médiéval (notamment le chant grégorien), des chants d'oiseaux stylisés et de la rythmique hindoue, appelés deçî-tâlas. Le compositeur français imprègne donc son langage coloré d’un exotisme hétéroclite enivrant qui repose toutefois sur des méthodes de calcul rationnelles inspirées des mathématiques. Sur le plan rythmique, l’affirmation "Au commencement était le rythme" du chef-d’orchestre allemand, Hans von Bülow, dans l’introduction de son grand traité d'orchestration semble parfaitement seoir à la philosophie musicale d’Olivier Messiaen qui atteste dans l’un de ses dialogues avec Claude Samuel en 1999, le suivant: "Je considère que le rythme est la partie primordiale et peut-être essentielle de la musique; je pense qu’il a vraisemblablement existé avant la mélodie et l’harmonie, et j’ai enfin une préférence secrète pour cet élément".
Trait d’union entre la tradition et la modernité, Olivier Messiaen a révolutionné l’architecture rythmique conventionnelle en joignant remarquablement la métrique grecque antique et les 120 deçî-tâlas hindous à sa musique contemporaine, deux systèmes rythmiques qu’il chérissait particulièrement en raison de la grande liberté que leur utilisation lui offrait, mais également de son intérêt pour les nombres premiers, "ces nombres qui, par le simple fait qu’ils ne sont pas divisibles en fractions égales, dégagent une force occulte". L’approche rythmique singulière, et sans précédent dans la musique occidentale, du rythmicien français se manifeste clairement dans le sixième mouvement à l’unisson du Quatuor pour la fin du temps (1941), les couches superposées de rythmes différents au niveau du premier mouvement de la Turangalîla-Symphonie (1949), les interactions rythmiques complexes des Quatre études de rythme (1950), et atteint son point culminant dans Cinq rechants (1950). Dans son traité de 1944, Messiaen expose certains des principes rythmiques qu’il avait empruntés aux œuvres du passé, élaborés et transformés à l’aune de ses recherches pour en faire la pierre angulaire de sa propre musique, dont les valeurs ajoutées, les augmentations et diminutions exactes et inexactes, les rythmes rétrogradables et palindromiques (non rétrogradables), les pédales et les superpositions rythmiques.
"Lorsque j’entends de la musique, je vois des couleurs correspondantes (…) Il s’agit seulement d’une vision intérieure, d’un œil de l’esprit", répétait sans cesse le compositeur français. En effet, outre la rythmique, la deuxième composante à laquelle fait référence le "Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie" d’Olivier Messiaen, publié à titre posthume, est bien la couleur, "l’ancienne harmonie, envisagée d’une manière renouvelée, décrite ou pensée en d’autres termes", selon Thomas Lacôte, compositeur et titulaire du grand orgue de l'église de la Sainte-Trinité, tribune qui fut pendant six décennies celle d'Olivier Messiaen. Tramée dans un corpus intellectuel ardu, la musique du Maître bouleverse les fondamentaux de la perception classique de l’univers sonore dans la perspective d’une correspondance entre audition et vision, basée sur la sensation colorée. Il concocte progressivement un langage complexe et novateur, marqué par une esthétique singulière, s’abreuvant aux sources d’un ardent mysticisme et d’une pléthore de systèmes musicaux anciens, remis à l’ordre du jour. La pensée messiaenienne trouve donc son point de fusion dans les sept "modes à transpositions limités" que le théoricien français élabore dans ses divers traités et pare d’une infinitude de couleurs. À titre d’exemple, son troisième mode évoque, pour lui, certaines nuances d'orange avec du rouge et du vert, et des taches d'or, et aussi un reflet d'iris blanc laiteux comme un opale. Ces "hallucinations colorées" se transmuent pour finalement se concrétiser en une des couleurs de sa cité céleste. Les exemples les plus probants de cette peinture sonore seraient le Quatuor pour la fin du temps, composé en 1940 alors qu’il était emprisonné dans un camp de travail à Görlitz en Silésie, Trois petites liturgies de la présence divine (1945), Chronochromie (1960) et les Couleurs de la Cité céleste (1964).
"Musique sérielle, musique dodécaphonique, musique atonale... Le résultat est identique. On a aboli la résonance. Le reste, fonctions tonales ou forme sonate, disparaît sans que cela me préoccupe. Mais, sans résonance, seul demeure un sentiment de noirceur ", dixit Olivier Messiaen. Si le maître français s’est tracé un chemin sûr dans la musique modale, la résonnance, intrinsèque au système tonal, reste partie intégrante de la grande partie de sa musique. En fait, à cette époque Messiaen ignorait le système dodécaphonique sériel. Il s’y est familiarisé entre la fin des années 40 et le début des années 50 en composant le Mode de valeurs et d'intensités (deuxième des Quatre études de rythme), illustrant de ce fait la sérialisation non seulement des hauteurs mais aussi des attaques, de la dynamique, du registre et du rythme. La série n’est toutefois pas traitée à la manière de Schönberg. À cet égard, le compositeur et organiste libanais Naji Hakim, successeur d’Olivier Messiaen au grand orgue de la Sainte-Trinité jusqu’en 2008, dont le prodigieux talent d’improvisateur a suscité l’engouement même du Maître, précise que les chants d’oiseaux et le Livre d’orgue de Messiaen sont loin d’être tonals, et que ses modes à transpositions limités sont polarisables totalement: "Donc Messiaen a utilisé l’atonalisme, mais s’il s’y était limité, il n’aurait pas été Messiaen et n’aurait été qu’un parmi d’autres du Domaine Musical ou des disciples de Schönberg", précise le compositeur libanais.
Si les influences debussyste et ravélienne se font sentir dans les premières œuvres d’Olivier Messiaen (dont la Turangalîla-Symphonie), ses compositions à partir de 1949, notamment les Quatre études de rythme pour piano, lui permettent de se forger un langage musical authentique d'une opulence luxuriante, marqué par un constructivisme rythmique, mélodique et harmonique strict. Son répertoire, riche de plus de soixante-dix œuvres, regorge de mélodies de type choral, des combinaisons sonores discordantes d'une complexité souvent incompréhensible, ainsi qu’en une mosaïque hétérogène de sonorités, dont les chants d’oiseaux, qui submergent l'auditeur dans un exotisme musical multicolore. À Petichet, Olivier Messiaen écrit l’essentiel de son œuvre, inspiré par la sérénité de la nature et des oiseaux, "les plus grands musiciens qui existent sur notre planète", selon lui. L’ornithologue chevronné, qui reconnaît à l'oreille une cinquantaine de chants d'oiseaux, compose alors le Merle noir (1952), le Réveil des oiseaux (1953), les Oiseaux exotiques (1956), et le Catalogue d’oiseaux (1959), pour ne citer que quelques pièces. Tout comme Jean-Sébastien Bach, ce "héraut du grand retour vers Dieu qui marque la fin de ce millénaire", pour reprendre les mots du musicologue belge Harry Halbreich, vouer son art à la seule gloire du "Divin, du Sacré, de l’Ineffable". Cette ferveur chrétienne se traduit par une panoplie de chef-d’œuvre musicaux dont La Nativité du Seigneur (1936), Vingt Regards sur l'enfant-Jésus (1945), Trois petites liturgies de la présence divine (1945), et Saint François d'Assise (1983), le seul opéra qu'Olivier Messiaen ait jamais composé.
Cet hommage a été réalisé avec le soutien de la Banque BEMO
De l’aube au crépuscule de deux guerres mondiales dévastatrices, et bien au-delà, le monde fut ponctué par des temps dits évolutionnistes ou du moins révolutionnaires qui frôlèrent tous les domaines, y compris l’Art et la musique. Jugée inévitable, une rupture avec les systèmes musicaux conventionnels se profilait au début du XXe siècle où les compositeurs modernes tentaient tant bien que mal de se forger une position permanente dans l'Histoire de la musique. Ainsi, au lieu d'adhérer à un style d'écriture particulier, ceux-là même se sont engouffrés à cœur joie dans la brèche d’une tendance faisant tabula rasa du passé, en s’affranchissant de la grammaire musicale en vigueur, et tout particulièrement d’un système tonal tricentenaire qui avait dominé la musique d’art harmonique occidentale pendant les XVIIIe et XIXe siècles. Ces pionniers de la musique savante actuelle ont ainsi opéré une révolution musicale en bonne et due forme qui franchit aussitôt un point de non-retour. Ce siècle riche en expérimentations mais encore (et surtout) en remises en cause des vocabulaires musicaux dits classiques sonna finalement le glas à la musique tonale, cet "âge d’or de la musique", pour reprendre les mots de l’éminent compositeur français Gilbert Amy. En effet, ce système aurait atteint, selon les contemporains de cette époque, un point de saturation, la musique atonale étant ainsi devenue une "nécessité historique".
Concilier l’inconciliable
Dès lors, chaque compositeur, plaçant d’emblée ses créations musicales sous le sceau de l’avant-garde, s'efforçait de créer un langage musical individuel, différent de celui de ses prédécesseurs mais aussi de ses contemporains. Concilier donc deux antonymes, en maintenant d’une part un certain lien avec le passé, tout en créant une expression musicale novatrice, digne de ce nom, tel fut le défi à relever tout le long du XXe siècle. À l’aune d’une ère marquée par l'effondrement de toute frontière entre bruits et sons, Olivier Messiaen (1908-1992) est parvenu avec brio à concilier l'inconciliable en mettant au point un système modal novateur, coloré, complexe et abouti, baptisé les "modes à transpositions limitées", sans pour autant renier (complètement) le système tonal qu’il continua à utiliser comme un moyen d’architecturer ses œuvres dans leur globalité. Il marqua, de ce fait, le XXe siècle de son "arc-en-ciel théologique" qui puise ses sources dans une profonde ferveur catholique. S’il est considéré comme l’un des révolutionnaires du langage musical de son époque, aux côtés de Claude Debussy (1862-1918), Arnold Schönberg (1874-1951), et Igor Stravinsky (1882-1971), Olivier Messiaen demeure une figure musicale inclassable dont l’authenticité de son expression musicale reflète explicitement son adhésion aux principes de base de l'unité, du nombre et de l'ordre.
Charme des impossibilités
Dans son traité, intitulé "Technique de mon langage musical" (1944), Messiaen évoque son attirance pour le "charme des impossibilités", notamment les impossibilités mathématiques des domaines modal et rythmique, qui donne à sa musique le "pouvoir envoûtant" que lui attribuent les auditeurs. Son œuvre pionnière puise ses fondements dans des traditions archaïques, en particulier celles de la musique de l’antiquité grecque, du plain-chant médiéval (notamment le chant grégorien), des chants d'oiseaux stylisés et de la rythmique hindoue, appelés deçî-tâlas. Le compositeur français imprègne donc son langage coloré d’un exotisme hétéroclite enivrant qui repose toutefois sur des méthodes de calcul rationnelles inspirées des mathématiques. Sur le plan rythmique, l’affirmation "Au commencement était le rythme" du chef-d’orchestre allemand, Hans von Bülow, dans l’introduction de son grand traité d'orchestration semble parfaitement seoir à la philosophie musicale d’Olivier Messiaen qui atteste dans l’un de ses dialogues avec Claude Samuel en 1999, le suivant: "Je considère que le rythme est la partie primordiale et peut-être essentielle de la musique; je pense qu’il a vraisemblablement existé avant la mélodie et l’harmonie, et j’ai enfin une préférence secrète pour cet élément".
Force occulte
Trait d’union entre la tradition et la modernité, Olivier Messiaen a révolutionné l’architecture rythmique conventionnelle en joignant remarquablement la métrique grecque antique et les 120 deçî-tâlas hindous à sa musique contemporaine, deux systèmes rythmiques qu’il chérissait particulièrement en raison de la grande liberté que leur utilisation lui offrait, mais également de son intérêt pour les nombres premiers, "ces nombres qui, par le simple fait qu’ils ne sont pas divisibles en fractions égales, dégagent une force occulte". L’approche rythmique singulière, et sans précédent dans la musique occidentale, du rythmicien français se manifeste clairement dans le sixième mouvement à l’unisson du Quatuor pour la fin du temps (1941), les couches superposées de rythmes différents au niveau du premier mouvement de la Turangalîla-Symphonie (1949), les interactions rythmiques complexes des Quatre études de rythme (1950), et atteint son point culminant dans Cinq rechants (1950). Dans son traité de 1944, Messiaen expose certains des principes rythmiques qu’il avait empruntés aux œuvres du passé, élaborés et transformés à l’aune de ses recherches pour en faire la pierre angulaire de sa propre musique, dont les valeurs ajoutées, les augmentations et diminutions exactes et inexactes, les rythmes rétrogradables et palindromiques (non rétrogradables), les pédales et les superpositions rythmiques.
Sensation colorée
"Lorsque j’entends de la musique, je vois des couleurs correspondantes (…) Il s’agit seulement d’une vision intérieure, d’un œil de l’esprit", répétait sans cesse le compositeur français. En effet, outre la rythmique, la deuxième composante à laquelle fait référence le "Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie" d’Olivier Messiaen, publié à titre posthume, est bien la couleur, "l’ancienne harmonie, envisagée d’une manière renouvelée, décrite ou pensée en d’autres termes", selon Thomas Lacôte, compositeur et titulaire du grand orgue de l'église de la Sainte-Trinité, tribune qui fut pendant six décennies celle d'Olivier Messiaen. Tramée dans un corpus intellectuel ardu, la musique du Maître bouleverse les fondamentaux de la perception classique de l’univers sonore dans la perspective d’une correspondance entre audition et vision, basée sur la sensation colorée. Il concocte progressivement un langage complexe et novateur, marqué par une esthétique singulière, s’abreuvant aux sources d’un ardent mysticisme et d’une pléthore de systèmes musicaux anciens, remis à l’ordre du jour. La pensée messiaenienne trouve donc son point de fusion dans les sept "modes à transpositions limités" que le théoricien français élabore dans ses divers traités et pare d’une infinitude de couleurs. À titre d’exemple, son troisième mode évoque, pour lui, certaines nuances d'orange avec du rouge et du vert, et des taches d'or, et aussi un reflet d'iris blanc laiteux comme un opale. Ces "hallucinations colorées" se transmuent pour finalement se concrétiser en une des couleurs de sa cité céleste. Les exemples les plus probants de cette peinture sonore seraient le Quatuor pour la fin du temps, composé en 1940 alors qu’il était emprisonné dans un camp de travail à Görlitz en Silésie, Trois petites liturgies de la présence divine (1945), Chronochromie (1960) et les Couleurs de la Cité céleste (1964).
Résonance et tonalité
"Musique sérielle, musique dodécaphonique, musique atonale... Le résultat est identique. On a aboli la résonance. Le reste, fonctions tonales ou forme sonate, disparaît sans que cela me préoccupe. Mais, sans résonance, seul demeure un sentiment de noirceur ", dixit Olivier Messiaen. Si le maître français s’est tracé un chemin sûr dans la musique modale, la résonnance, intrinsèque au système tonal, reste partie intégrante de la grande partie de sa musique. En fait, à cette époque Messiaen ignorait le système dodécaphonique sériel. Il s’y est familiarisé entre la fin des années 40 et le début des années 50 en composant le Mode de valeurs et d'intensités (deuxième des Quatre études de rythme), illustrant de ce fait la sérialisation non seulement des hauteurs mais aussi des attaques, de la dynamique, du registre et du rythme. La série n’est toutefois pas traitée à la manière de Schönberg. À cet égard, le compositeur et organiste libanais Naji Hakim, successeur d’Olivier Messiaen au grand orgue de la Sainte-Trinité jusqu’en 2008, dont le prodigieux talent d’improvisateur a suscité l’engouement même du Maître, précise que les chants d’oiseaux et le Livre d’orgue de Messiaen sont loin d’être tonals, et que ses modes à transpositions limités sont polarisables totalement: "Donc Messiaen a utilisé l’atonalisme, mais s’il s’y était limité, il n’aurait pas été Messiaen et n’aurait été qu’un parmi d’autres du Domaine Musical ou des disciples de Schönberg", précise le compositeur libanais.
Opulence luxuriante
Si les influences debussyste et ravélienne se font sentir dans les premières œuvres d’Olivier Messiaen (dont la Turangalîla-Symphonie), ses compositions à partir de 1949, notamment les Quatre études de rythme pour piano, lui permettent de se forger un langage musical authentique d'une opulence luxuriante, marqué par un constructivisme rythmique, mélodique et harmonique strict. Son répertoire, riche de plus de soixante-dix œuvres, regorge de mélodies de type choral, des combinaisons sonores discordantes d'une complexité souvent incompréhensible, ainsi qu’en une mosaïque hétérogène de sonorités, dont les chants d’oiseaux, qui submergent l'auditeur dans un exotisme musical multicolore. À Petichet, Olivier Messiaen écrit l’essentiel de son œuvre, inspiré par la sérénité de la nature et des oiseaux, "les plus grands musiciens qui existent sur notre planète", selon lui. L’ornithologue chevronné, qui reconnaît à l'oreille une cinquantaine de chants d'oiseaux, compose alors le Merle noir (1952), le Réveil des oiseaux (1953), les Oiseaux exotiques (1956), et le Catalogue d’oiseaux (1959), pour ne citer que quelques pièces. Tout comme Jean-Sébastien Bach, ce "héraut du grand retour vers Dieu qui marque la fin de ce millénaire", pour reprendre les mots du musicologue belge Harry Halbreich, vouer son art à la seule gloire du "Divin, du Sacré, de l’Ineffable". Cette ferveur chrétienne se traduit par une panoplie de chef-d’œuvre musicaux dont La Nativité du Seigneur (1936), Vingt Regards sur l'enfant-Jésus (1945), Trois petites liturgies de la présence divine (1945), et Saint François d'Assise (1983), le seul opéra qu'Olivier Messiaen ait jamais composé.
Cet hommage a été réalisé avec le soutien de la Banque BEMO
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