Paris, ville lumière, Liban, pays miracle
©La centrale nucléaire de Penly à Petit-Caux, le long de la côte de la Manche.
Après la course aux hydrocarbures, la crise de l’énergie est venue ajouter son grain de sel à la morosité du Vieux Continent en 2022. La France en particulier fait face à un défi pour sa production électrique cet hiver. Français, n’ayez crainte: le peuple libanais peut vous chuchoter quelques astuces, fort de son expertise lui permettant de s’adapter aux aléas de l’approvisionnement en courant. Des astuces qui apprennent à vivre dans le pays des miracles, où le “ma fi kahraba” est devenu la nouvelle excuse pour arriver en retard à un rendez-vous !

Fin septembre déjà, la menace se profilait à l’horizon. Paris, la Ville lumière, avait pris une première mesure radicale de sobriété énergétique: la Tour Eiffel a cessé de resplendir à minuit moins le quart, au lieu d’une heure du matin… En octobre, nouvelle annonce du gouvernement Borne: la température des foyers devrait être de “19 degrés”. Dernière action en date: une application, EcoWatt, a été lancée par le réseau électrique français RTE pour donner la “météo de l’électricité” et annoncer d’éventuelles coupures! Au cœur du problème: le nombre important de réacteurs mis hors service, jusqu'à plus de la moitié, alors que la France dépend encore à 67% de l’énergie nucléaire.

Avec l'application ÉcoWatt, les clients en France peuvent être avertis d'un risque de coupure d'électricité trois jours à l'avance via l'émission d'un signal rouge depuis la plateforme gérée par RTE, le réseau français de distribution d'électricité.

Miracle ou résilience

Le président français Emmanuel Macron s’est insurgé, dans ce contexte «morose», contre les "scénarios de la peur.” Mais Français, n’ayez crainte! Le peuple libanais se fera un plaisir, voire un point d’honneur, de vous guider quelque peu dans vos premiers pas dans l’esquisse d’obscurité. Depuis 1975, le Liban est, en effet, passé maître dans la débrouille, le système D. Le but ici, convient-il de relever, n’est pas de comparer la France au drame libanais ; aucun syllogisme ne pourrait y parvenir. Loin des propos ronflants sur la transition énergétique, la dénucléarisation ou l’écologie, le Liban en est réduit à subir son modeste statut de pays importateur de pétrole pour satisfaire sa maigre production électrique.

En revanche, l’expertise du pays du Cèdre se manifeste sur un tout autre terrain, dans cette surprenante réserve infaillible d’astuces pour éviter de sombrer dans le noir intégral. Comment fonctionne le Liban, alors que l’électricité publique ne fournit - par intermittence - qu’une seule heure d’électricité journalière ? Comment les générateurs de quartier parviennent-ils à s’alimenter en ce précieux mazout, alors que l’État libanais (sic) clame ne pas parvenir à s’en procurer suffisamment. Comment fonctionne donc le “miracle” du système D libanais? “Je ne sais pas comment vous faites, mais quoi que vous fassiez, continuez !” : telle est la célèbre boutade attribuée à l'économiste belge P. Van Zeeland, appelé en consultation au Liban en 1947. Celle-ci ne semble pas avoir perdu de son actualité.


“Et la lumière fut”

“Que la lumière soit, et la lumière fut” dit la Genèse. Dans l’immeuble où j'habite, à l’intersection des quartiers de Mar Mikhaël et de Gemmayzé, c’est Ali qui incarne le Verbe. Ali vient de Damas, et chaque premier du mois, il vient gentiment quémander les dollars que je lui dois, en rétribution de ses loyaux services de “maître du générateur.” Après tout, faute de compteur, c’est grâce à lui (et son mazout, dont il a le secret de l’acquisition) que mon étage est approvisionné en électricité. Je lui paye, et, dernier acte solennel de ce rite mensuel, il me remet un reçu, dûment signé et tamponné par la “société” Ali and Co !

Ainsi va la réalité des habitants du pays du Cèdre. “Un peuple, à travers tous les désordres et tous les scandales, ingénieux à se reconstruire; un État obstiné à se défaire” écrivait Georges Naccache en…1948. Une incroyable capacité des Libanais à s’adapter continuellement à l’incurie politique. Une capacité que d’aucuns nomment “résilience” et qui a vu…le jour au tout début de la guerre civile, au cours de laquelle l’ingéniosité libanaise palliait les coupures d’électricité grâce aux générateurs privés. Ces derniers, individuels dans un premier temps, allaient devenir un outil incontournable de l’économie parallèle.

La durée de l’approvisionnement en électricité n’est certes pas la seule épreuve à laquelle le Libanais fait face. Il faut compter aussi avec la limite de l’ampérage, qui détermine également le prix à payer au “maître” du générateur de quartier.

Version contemporaine de la bougie, les batteries UPS (onduleur, ou Alimentation sans interruption, dans son acronyme anglophone) vous fournira le cas échéant, pour une somme modique, le luxe de ne pas plonger irrémédiablement dans le noir une fois le générateur coupé, au terme de 10 ou 15 heures d’électricité par jour.

Ainsi, n’ayez crainte amis Français, le peuple libanais peut vous guider. Vous observez la lumière qui s’éteint, et vous vous laissez aller au désespoir sous l’effet de la simple menace d’une timide et partielle coupure d’électricité. Vous vous dites sans doute, il avait bien raison, ce Paul Valéry : “Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.” Au Libanais de répondre: "Descends voir le disjoncteur” !
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