Dans le cadre du festival Beirut Chants, le violoncelliste allemand Benedict Kloeckner, lauréat du prix Opus Klassik en 2021, a charmé, le 15 décembre dernier, l’église Saint-Joseph de Beyrouth, à Monnot, par la virtuosité d’un programme consacré exclusivement à l’intégralité des suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach.
La musique d’art occidentale, dite classique, semble s’étioler au Liban. On ne cessera de le répéter. En vain. Cela semble toutefois partiellement compréhensible: la situation économique, la déliquescence de la culture musicale, le manque de disquaires spécialisés dans la musique classique, et surtout l’absence d’une formation scolaire à celle-ci, sont à eux seuls une pierre d’achoppement à l’épanouissement de cet art. De plus, certaines pratiques de concerts viennent d’un décalage innommable, rebutant, fétide, vers le futile et le trivial, vers les sinistres conséquences d’un cabotinage mesquin, où l’Art est dénué de sa noble majuscule pour s'abîmer dans un exhibitionnisme narcissique, aussi infâme que malséant. Ô vérité quand tu nous tiens! Ton nom, quoique constamment invoqué par d’aucuns, est méprisé et sacrifié par ceux-là mêmes, friands d’insolence, de prétention et de notoriété illusoire. Quant à certains médias et soi-disant chroniqueurs musicaux notoires, qui tentent déplorablement de comparer l’incomparable, il serait utile de leur rappeler qu’"il n'y a pas de pire injustice que de traiter également des choses inégales", pour reprendre les mots d’Aristote. Ils ne pourront ainsi prétendre se laver les mains de ce délitement culturel, ils en sont témoins, ils en sont complices. Ils se reconnaîtront. Si telle est leur vérité, et tel est "l’art" qu’ils défendent, tout est dépeuplé.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
Cela dit, il est temps de passer à l’essentiel: ressaisir la pureté de l’Art afin de ne pas succomber à ces tentatives d’affèterie. On ne peut ainsi que saluer les services culturels des différentes chancelleries qui, malgré la morosité générale qui prévaut au Liban, continue de ramener de leurs pays respectifs des musiciens dignes de ce nom, afin de proposer leur talent à la grande joie d’un public musical classique de plus en plus rare. Le violoncelliste Benedict Kloeckner est un de ces exemples probants. Invité par le festival Beirut Chants, le musicien allemand a offert le 15 décembre dernier, en l’église Saint-Joseph de Beyrouth à Monnot, un concert entièrement consacré aux Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), durant lequel certaines œuvres contemporaines, tonales ou atonales, ont également été interprétées. Durant près de deux heures, le public libanais a pu se délecter des interprétations du virtuose qui recèlent particulièrement une intonation expressive, un éventail infini de couleurs suaves, et des ornementations de bon aloi, son violoncelle se faisant tour à tour tragique ou allègre. Benedict Kloeckner a ainsi imprégné la fresque bachienne de couleurs diaprées, achevant d’égarer un auditoire émerveillé dans le dédale sonore du Cantor de Leipzig.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
Certains mouvements recelèrent, sous l’archet pointilleux de Kloeckner, une sensibilité fragile qu’on retrouve particulièrement dans le Prélude et la Sarabande de la Suite no.2 en ré mineur, BWV 1008, et l’Allemande de la Suite no.5 en do mineur, BWV 1011. Avec une exigence scrupuleuse, il débroussailla la voie pour offrir à la "Bible des violoncellistes" l’espace de sa propre liberté, une liberté qui fut toutefois tachetée de quelques inconsistances mélodiques et intonatoires qui ne permirent pas toujours d’apprécier certains choix interprétatifs du virtuose allemand. Ainsi, plusieurs passages du Prélude de la Suite no.3 en do majeur, BWV 1009, peinèrent à convaincre, en raison du manque de relief au niveau des changements de dynamique, et de limpidité dans le déploiement du phrasé. Les mouvements suivants furent bien plus éloquents: d’une part, l’Allemande fut d’une netteté impressionnante, et d’autre part, l’énergie et la clarté des gammes dans la Courante forcèrent l’admiration. Par ailleurs, une discipline méticuleuse dans la définition des articulations caractérisa l’interprétation de la Suite no.4 en mi bémol majeur, BWV 1010, dans laquelle Kloeckner proposa une lecture d’une netteté louable, sans trop d’accents, restituant avec justesse la pulsation dansante du Prélude, le rythme sautillant de l’Allemande, les couleurs sereines de la Sarabande, et le caractère fougueux de la Bourrée.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
La Suite no.5 en do mineur, BWV 1011, offrit un riche moment d'expression où les sonorités viriles du Prélude côtoyèrent, dans la Sarabande, une poésie sinistre. Benedict Kloeckner impressionna dans les changements d’atmosphère spectaculaires et s’illustra par sa science des contrastes raffinés, en particulier au niveau de l’Allemande, la Courante et la Gigue. Toutefois, malgré la beauté austère de la Sarabande d’où émane une volonté inébranlable d'avancer malgré la souffrance, la palette de nuances déployée par le violoncelliste fut quelque peu uniforme. Dans la Suite no.1 en sol majeur, BWV 1007, comme dans la Suite no.6 en ré majeur, BWV 1012, on est subjugué par la maîtrise de l’intonation et la clarté du timbre, où le soliste allemand se tira, avec aisance et virtuosité, des guirlandes de doubles croches et de croches respectivement dans les préludes des suites précitées. En outre, ces dernières mirent en lumière un violoncelle au chant soyeusement étiré; Kloeckner parvint, malgré les difficultés techniques qu’impose la sixième suite du fait qu’elle soit composée pour un violoncelle à cinq cordes et interprétée sur un instrument à quatre cordes, à faire luire ce joyau de la musique baroque et, de ce fait, à faire entendre, tout comme Dmitri Chostakovitch (1906-1975), "l’optimisme triomphant de l’homme", une conclusion lumineuse à un passionnant voyage. L’allemand gratifia finalement les auditeurs en effervescence d’un bis de Giovanni Sollima.
Le public libanais aura donc vibré avec le chef-d’œuvre bachien à la fois austère et chatoyant qui fut servi par un musicien exceptionnel, qui se distingua par une virtuosité pudique et sans esbroufe, une projection idéale, un phrasé d’une souplesse remarquable et un lyrisme bien dosé. Le concert a donc bien atteint ses promesses.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
La musique d’art occidentale, dite classique, semble s’étioler au Liban. On ne cessera de le répéter. En vain. Cela semble toutefois partiellement compréhensible: la situation économique, la déliquescence de la culture musicale, le manque de disquaires spécialisés dans la musique classique, et surtout l’absence d’une formation scolaire à celle-ci, sont à eux seuls une pierre d’achoppement à l’épanouissement de cet art. De plus, certaines pratiques de concerts viennent d’un décalage innommable, rebutant, fétide, vers le futile et le trivial, vers les sinistres conséquences d’un cabotinage mesquin, où l’Art est dénué de sa noble majuscule pour s'abîmer dans un exhibitionnisme narcissique, aussi infâme que malséant. Ô vérité quand tu nous tiens! Ton nom, quoique constamment invoqué par d’aucuns, est méprisé et sacrifié par ceux-là mêmes, friands d’insolence, de prétention et de notoriété illusoire. Quant à certains médias et soi-disant chroniqueurs musicaux notoires, qui tentent déplorablement de comparer l’incomparable, il serait utile de leur rappeler qu’"il n'y a pas de pire injustice que de traiter également des choses inégales", pour reprendre les mots d’Aristote. Ils ne pourront ainsi prétendre se laver les mains de ce délitement culturel, ils en sont témoins, ils en sont complices. Ils se reconnaîtront. Si telle est leur vérité, et tel est "l’art" qu’ils défendent, tout est dépeuplé.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
Couleurs diaprées
Cela dit, il est temps de passer à l’essentiel: ressaisir la pureté de l’Art afin de ne pas succomber à ces tentatives d’affèterie. On ne peut ainsi que saluer les services culturels des différentes chancelleries qui, malgré la morosité générale qui prévaut au Liban, continue de ramener de leurs pays respectifs des musiciens dignes de ce nom, afin de proposer leur talent à la grande joie d’un public musical classique de plus en plus rare. Le violoncelliste Benedict Kloeckner est un de ces exemples probants. Invité par le festival Beirut Chants, le musicien allemand a offert le 15 décembre dernier, en l’église Saint-Joseph de Beyrouth à Monnot, un concert entièrement consacré aux Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), durant lequel certaines œuvres contemporaines, tonales ou atonales, ont également été interprétées. Durant près de deux heures, le public libanais a pu se délecter des interprétations du virtuose qui recèlent particulièrement une intonation expressive, un éventail infini de couleurs suaves, et des ornementations de bon aloi, son violoncelle se faisant tour à tour tragique ou allègre. Benedict Kloeckner a ainsi imprégné la fresque bachienne de couleurs diaprées, achevant d’égarer un auditoire émerveillé dans le dédale sonore du Cantor de Leipzig.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
Exigence scrupuleuse
Certains mouvements recelèrent, sous l’archet pointilleux de Kloeckner, une sensibilité fragile qu’on retrouve particulièrement dans le Prélude et la Sarabande de la Suite no.2 en ré mineur, BWV 1008, et l’Allemande de la Suite no.5 en do mineur, BWV 1011. Avec une exigence scrupuleuse, il débroussailla la voie pour offrir à la "Bible des violoncellistes" l’espace de sa propre liberté, une liberté qui fut toutefois tachetée de quelques inconsistances mélodiques et intonatoires qui ne permirent pas toujours d’apprécier certains choix interprétatifs du virtuose allemand. Ainsi, plusieurs passages du Prélude de la Suite no.3 en do majeur, BWV 1009, peinèrent à convaincre, en raison du manque de relief au niveau des changements de dynamique, et de limpidité dans le déploiement du phrasé. Les mouvements suivants furent bien plus éloquents: d’une part, l’Allemande fut d’une netteté impressionnante, et d’autre part, l’énergie et la clarté des gammes dans la Courante forcèrent l’admiration. Par ailleurs, une discipline méticuleuse dans la définition des articulations caractérisa l’interprétation de la Suite no.4 en mi bémol majeur, BWV 1010, dans laquelle Kloeckner proposa une lecture d’une netteté louable, sans trop d’accents, restituant avec justesse la pulsation dansante du Prélude, le rythme sautillant de l’Allemande, les couleurs sereines de la Sarabande, et le caractère fougueux de la Bourrée.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
Contrastes raffinés
La Suite no.5 en do mineur, BWV 1011, offrit un riche moment d'expression où les sonorités viriles du Prélude côtoyèrent, dans la Sarabande, une poésie sinistre. Benedict Kloeckner impressionna dans les changements d’atmosphère spectaculaires et s’illustra par sa science des contrastes raffinés, en particulier au niveau de l’Allemande, la Courante et la Gigue. Toutefois, malgré la beauté austère de la Sarabande d’où émane une volonté inébranlable d'avancer malgré la souffrance, la palette de nuances déployée par le violoncelliste fut quelque peu uniforme. Dans la Suite no.1 en sol majeur, BWV 1007, comme dans la Suite no.6 en ré majeur, BWV 1012, on est subjugué par la maîtrise de l’intonation et la clarté du timbre, où le soliste allemand se tira, avec aisance et virtuosité, des guirlandes de doubles croches et de croches respectivement dans les préludes des suites précitées. En outre, ces dernières mirent en lumière un violoncelle au chant soyeusement étiré; Kloeckner parvint, malgré les difficultés techniques qu’impose la sixième suite du fait qu’elle soit composée pour un violoncelle à cinq cordes et interprétée sur un instrument à quatre cordes, à faire luire ce joyau de la musique baroque et, de ce fait, à faire entendre, tout comme Dmitri Chostakovitch (1906-1975), "l’optimisme triomphant de l’homme", une conclusion lumineuse à un passionnant voyage. L’allemand gratifia finalement les auditeurs en effervescence d’un bis de Giovanni Sollima.
Le public libanais aura donc vibré avec le chef-d’œuvre bachien à la fois austère et chatoyant qui fut servi par un musicien exceptionnel, qui se distingua par une virtuosité pudique et sans esbroufe, une projection idéale, un phrasé d’une souplesse remarquable et un lyrisme bien dosé. Le concert a donc bien atteint ses promesses.
Benedict Kloeckner. ©Sally Mire
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