Vivre sous la loi des talibans
Après leur retour au pouvoir en Afghanistan, les talibans ont imposé leur vision personnelle de la justice, fondée sur la loi islamique. Au programme, des condamnations telles que la flagellation ou la condamnation à mort.

 

 

Agenouillé face à un juge enrubanné dans une minuscule pièce de la cour d'appel de Ghazni dans l'Est de l'Afghanistan, un vieil homme condamné à mort pour meurtre implore la clémence. Mais sous les talibans, la loi islamique doit s’appliquer sans état d'âme.

Depuis seize mois à la tête de l'Afghanistan après vingt ans de guerre contre les Américains et l'Otan, les talibans ont imposé une interprétation ultra-rigoriste de l'islam.

Des talibans surveillent des checkpoints (AFP)

 

En vertu de la loi du talion, inscrite dans la charia (loi islamique), les islamistes ont repris les flagellations devant la foule et mis à exécution il y a quelques jours la première condamnation à mort en public d'un meurtrier.

Une sentence à laquelle tente d'échapper, à 150 kilomètres au sud de Kaboul, un vieil homme convoqué devant la cour d'appel de Ghazni à laquelle l'AFP a eu un rare accès.

Menottes au poignet, le détenu à la barbe blanche, vêtu du pyjama bleu rayé des prisonniers, espère obtenir la mansuétude du jeune juge au regard impassible, assis par terre près d'un vieux poêle à bois, dans une chambre faisant office de salle d'audience.
Loi du Talion

Dans la pièce exiguë où trône un lit superposé sur lequel ont été abandonnés une kalachnikov et des livres religieux, le prisonnier de 75 ans au visage creusé de rides ne conteste pas les faits. Il reconnaît avoir abattu la victime en raison de rumeurs de relations sexuelles entre celle-ci et la femme de son fils.

"Cela fait plus de huit mois que je suis en prison. Nous avons fait la paix entre les familles. J'ai des témoins qui peuvent prouver que nous nous sommes accordés sur une indemnisation. Ils sont d'accord pour m'épargner", explique le détenu en triturant un chapelet.

"Le tribunal n'aurait pas dû me condamner à mort", insiste le septuagénaire, sans avocat et dont l'entrevue ne durera pas plus de 15 minutes.

Le juge, Mohammad Mobin, accompagné d'un mufti (interprète de la loi musulmane) pose peu de questions et lui donne simplement rendez-vous dans plusieurs semaines avec ses témoins, afin qu'ils attestent qu'un accord a été conclu entre les deux familles, grâce auquel il peut espérer échapper à la peine capitale.

Des hommes attendent de recevoir de l'aide alimentaire à Kaboul (AFP)

 

"S'il prouve ses dires, alors le jugement pourra être révisé." Mais dans la cas contraire, "il est certain que la Qisas (loi du talion) inscrite dans la charia s'appliquera", explique le juge, entouré de maigres dossiers compilant quelques pages manuscrites reliées par un bout de ficelle.

Les centaines de millions de dollars dépensés à la chute du premier règne des talibans (1996-2001) pour mettre en place un nouveau système judiciaire combinant droits islamique et laïque, avec des procureurs, des avocats de la défense et des juges qualifiés, ne sont plus qu'un lointain souvenir... Comme les femmes alors recrutées en nombre pour assurer un meilleur équilibre entre les sexes dans les affaires familiales.

Les condamnations et les punitions sont désormais supervisées par des religieux et reposent entièrement sur la loi islamique.
Condamnations à mort

Appelé à diriger les affaires pénales du tribunal au retour au pouvoir des islamistes en août 2021, Mohammad Mobin affirme qu'une "douzaine de condamnations à mort" ont été prononcées dans la province de Ghazni sous l'ère talibane, mais qu'aucune n'a encore été exécutée, notamment en raison de recours.


"Il est très difficile de prendre une telle décision (...) mais si nous avons des preuves certaines, alors Dieu nous guide et nous dit ne pas avoir de sympathie pour ces gens", commente le taliban de 34 ans.

Pour les musulmans du monde entier, la charia fait office de code de vie, mais les interprétations varient en fonction des coutumes, de la culture et des écoles religieuses locales.

Des Afghanes manifestent contre la fermeture des universités aux femmes (AFP)

 

Mi-novembre, le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, qui doit valider le verdict après un dernier avis de la Cour suprême, avait sommé les juges d'appliquer scrupuleusement la charia sans omettre les châtiments corporels - de l'amputation d'un membre à la lapidation - avant l'exécution.

La première a eu lieu quelques semaines plus tard à Farah (ouest): un meurtrier a été abattu devant la foule de trois balles tirées par le père de sa victime.

"Odieuse" et "rétrograde", l'exécution a été vivement commentée notamment par les États-Unis, l'ONU et la France, même si les voix osant la critiquer sont extrêmement rares en Afghanistan.
"Décisions hâtives"

"Pour certaines affaires, il est préférable de juger rapidement", estime un ex-procureur sous couvert d'anonymat, alors que de nombreux Afghans se plaignaient de la lenteur de la justice du précédent gouvernement.

Toutefois, dans la plupart des cas, la rapidité avec laquelle les investigations sont aujourd'hui menées "entraîne des décisions hâtives", déplore-t-il.

Pour les crimes les plus graves, l'application de la charia "exige des conditions strictes" avec un haut niveau de preuves, insiste le magistrat, en poste pendant la présence américaine.

"Sans Constitution, il est difficile d'agir, de gouverner", pointe encore l'ex-procureur dont le rôle, comme celui de ses confrères, a été suspendu par un décret du chef suprême des talibans.

Les talibans fêtent le premier anniversaire de la fin de la guerre avec les États-Unis (AFP)

 

Des critiques balayées par le directeur des publications de la Cour suprême, Abdul Rahim Rashid, pour qui le "rôle des procureurs n'était pas important" et "retardait le traitement des dossiers".

"La plupart des cas qui arrivent ici sont révisés. Si un juge a fait une erreur, nous enquêtons", abonde le chef de la cour d'appel de Ghazni, Mohiuddin Umari, lors d'un entretien avec l'AFP.

Pour lui, "l'Émirat islamique fait preuve de transparence" après la corruption généralisée qui a gangrené le pays, classé par l'ONG Transparency International au 177e rang sur 180 des États les plus corrompus en 2021.

"La différence" entre l'ancien système et celui d'aujourd'hui "est aussi grande que la terre et le ciel", insiste, entre deux gorgées de thé, le magistrat qui a obtenu son diplôme en Iran où il avait fui pendant une partie de la guerre avant de revenir combattre en Afghanistan.

Il reconnaît néanmoins, comme son collègue Mobin, qu'il aurait préféré exercer un métier avec de "moins lourdes responsabilités".

Le vieux prisonnier, lui, attend toujours de savoir s'il sera gracié.

Avec AFP
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