L’année 2022 au Liban

Janvier : Hariri se retire de la vie politique


– Le 1er janvier: Dans son homélie au cours de la messe de début d’année célébrée à Bkerké, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, réclame une conférence internationale pour régler les problèmes du Liban et appelle à l’adoption d’un statut de neutralité pour l’État libanais. Tout au long de l’année, ces revendications seront d’ailleurs réitérées maintes fois par le patriarche, qui estime qu’il s’agit là de la seule solution viable pour le pays.



– Le 24 janvier: Coup de tonnerre. L’ancien Premier ministre, Saad Hariri, annonce, les yeux rougis, sa suspension de la vie politique libanaise, indiquant également que ni lui, ni son parti ne mèneront les élections législatives de mai 2022. Au cours d’une conférence de presse tenue à la Maison du centre, le leader sunnite explique avoir pris cette décision parce qu’il est «convaincu que le Liban n’a aucune chance véritable de redressement à l’ombre de l’influence iranienne, de l’incertitude internationale et de la décrépitude de l’État libanais».

Cet abandon de la vie politique par ce leader qui régnait en maître sur la scène sunnite est vécue par beaucoup de ses électeurs comme un malheur, par beaucoup de ses anciens alliés comme de la lâcheté, et par de nombreuses personnalités prisant sa fonction (ou celle qu’occupaient les députés du Courant du futur) comme une opportunité qui ne se présente pas deux fois.


Février : Le Liban condamne l’agression russe contre l’Ukraine


– Le 24 février, le ministère libanais des Affaires étrangères condamne l’agression militaire contre le territoire ukrainien par la Russie et appelle au retrait des troupes russes d’Ukraine. Le palais Bustros réclame en effet dans un communiqué «la cessation immédiate des opérations militaires» et souhaite que Moscou «revienne à la logique du dialogue». Le ministre Abdallah Bou Habib annonce ensuite la mise en place d’un plan d’évacuation des Libanais en Ukraine.

– Le 27 février, le Hezbollah critique lourdement la prise de position du Liban officiel concernant l’Ukraine, le député Hassan Fadlallah allant jusqu’à affirmer que le document publié par le ministère des AE, après concertations avec la présidence de la République et le Conseil des ministres, «ne représente pas la position officielle du Liban», comme s’il était lui, contrairement au chef de la diplomatie libanaise, le porte-parole du Liban officiel.


Mars : Le Salon du Livre arabe sous emprise iranienne  


– Le 6 mars, une immense polémique éclate au sein du Salon international du livre arabe à Beyrouth, notamment au sujet de la présence d’un grand portrait de Qassem Soleimani et de stands majoritairement iraniens avec une profusion de livres sur Khamenei. Un concert de musique est même interdit sous prétexte qu’il n’est pas conforme à l’idéologie iranienne. La chanson de Majida el-Roumi Ya Beyrouth est même jugée intolérable et l’électricité est coupée pour étouffer l’événement. Le lendemain, des activistes investissent les lieux en scandant «Beyrouth horra horra, Iran tlaae barra» (Beyrouth est libre, libre, l’Iran doit en sortir) et tentent de détruire le portrait de Soleimani. Ils sont battus par des hommes présents sur les lieux.



– Le 10 mars, les acquittements de Hassan Merhi et de Hussein Oneïssi par la chambre d’appel du Tribunal spécial pour le Liban sont annulés. Au moment du prononcé de la décision de la division de première instance, le 18 août 2021, les deux hommes avaient, en effet, été acquittés faute de preuves et seul Salim Ayache avait été condamné. Mais le 10 mars 2022, ces acquittements sont annulés et les deux hommes sont définitivement condamnés à la perpétuité. Il faut noter que les statuts du Tribunal spécial pour le Liban empêchent celui-ci de juger des entités. La juridiction internationale n’a donc pas pu condamner le Hezbollah en tant qu’organisation et a dû se contenter de condamner ces trois individus, qui appartiennent à la formation en question.


Avril : Naufrage d’une embarcation transportant des migrants clandestins


– Dans la nuit du 23 au 24 avril, une embarcation de fortune à bord de laquelle se trouvaient plus d’une soixantaine de migrants clandestins fait naufrage au large de Tripoli. C’est le premier grand naufrage de migrants en 2022 au Liban. Au matin, le bilan tombe: 45 personnes ont été sauvées par l’armée, 7 autres, dont une fillette d’un an et demi, sont décédées. Les autres passagers sont portés disparus.

Parmi les migrants qui se trouvaient sur l’embarcation qui a fait naufrage, 35 étaient des Libanais originaires de la région d’al-Bakkar, à Kobbé (Tripoli). Durant plusieurs jours après le drame, les habitants de la région expriment leur colère à coups de manifestations, de pneus brûlés et de routes coupées. Les forces de l’armée veillent à la désescalade. Celles-ci sont mises en cause, car l’embarcation a coulé après avoir percuté un bateau des forces navales, auquel elle tentait d’échapper.

Selon le général Haitham Dennaoui, commandant des forces navales, la charge de la barque étant 15 fois supérieure au poids autorisé et les conditions climatiques étant moyennes, il était inévitable que la barque coule. Celle-ci, construite en 1974, n’était, en effet, autorisée à transporter qu’un maximum de dix personnes.


Mai: Élections législatives   


– Le 15 mai: Jour de scrutin pour les Libanais. Les élections législatives se tiennent dans tous les coins du Liban dans le but de déterminer qui seront les 128 députés du Parlement libanais. À ce stade, les expatriés ont déjà voté dans leur pays d’accueil. Au Liban, globalement, le scrutin a lieu dans le calme. Toutefois, l’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE) enregistre des violations en série, notamment au niveau du silence électoral, de la part de multiples candidats et hommes politiques, au nombre desquels figure le président de la République Michel Aoun.

LADE relève également, entre autres, un grand chaos dans certains bureaux de vote au Metn ainsi que de nombreuses agressions, notamment à Baalbeck-Hermel, Saïda et Tyr, perpétrées par les partisans du Hezbollah à l’égard de leurs opposants.


Juin: Béatification de deux capucins libanais


– Le 4 juin, deux prêtres capucins libanais, martyrisés sous l’Empire Ottoman, sont béatifiés. Originaires de Baabdate, dans le Metn, les deux prêtres capucins libanais, maronites, se connaissent depuis l’enfance. Le père Thomas Saleh est condamné à mort par les autorités ottomanes après avoir caché un prêtre arménien et meurt d’épuisement et du typhus durant sa déportation en plein hiver vers Marach, en Turquie, en janvier 1917. Quant au père Léonard Melki, il est battu et torturé pendant une semaine puis déporté vers le désert et tué par balles le 11 juin 1915. À l’arrivée des forces de police venues fouiller le couvent dans lequel il se trouvait, il a caché le Saint-Sacrement puis a refusé de renier sa foi chrétienne. Ils sont tous deux déclarés bienheureux lors d’une cérémonie célébrée au couvent de La Croix, à Jal el-Dib.


Juillet : Interpellation de Mgr Moussa el-Hage


– Le 18 juillet, sur décision du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Fady Akiki, Mgr Moussa el-Hage, archevêque maronite de Haïfa et vicaire patriarcal pour Jérusalem, les territoires palestiniens et la Jordanie, est interpellé par les agents de la Sûreté générale au poste-frontière de Naqoura. Mgr Hage, interrogé pendant plus de douze heures, revenait comme à son habitude de son archevêché de Haïfa et de Terre Sainte (où il a le droit de se rendre de par ses fonctions), avec des aides médicales et financières qu’il apportait à des nécessiteux libanais de confessions diverses, adressées par des mécènes de nationalité libanaise ou palestinienne cherchant à pallier l’incapacité de l’État libanais à assurer les besoins primaires de ses citoyens. Cette arrestation temporaire totalement inédite pour un prélat, ainsi que la confiscation de son passeport, de son téléphone et des aides qu’il acheminait, a provoqué un tollé et de vives condamnations de la part de l’intelligentsia libanaise et d’une part de la classe politique.


Août: Effondrement d’une partie des silos du port de Beyrouth


– Le 4 août, soit exactement deux ans après l’explosion au port de Beyrouth, une partie des silos s’effondre. Ces colosses de pierre avaient protégé dans une large mesure des zones entières de la capitale au moment du drame, épargnant certainement de nombreuses vies humaines. Le 11 juillet, un groupe de personnes faisant une virée en mer réussit à photographier «trois grosses machines qui ressemblent à des foreuses en train de creuser le sol sous les silos», probablement pour déstabiliser davantage la structure déjà fragilisée par la double explosion de 2020.


L’effondrement des silos ne serait donc pas le fruit du hasard, mais d’une opération volontaire de démolition organisée par les autorités libanaises un jour férié (le premier jour de l’Adha), et «sous haute surveillance militaire» d’après ces mêmes témoins oculaires. Les silos ont commencé à s’effondrer le 31 juillet puis le 4 et le 23 août, août, mais une partie restera quand même debout. Les familles des victimes militaient pourtant avec acharnement pour la préservation de l’ensemble de la structure en tant que monument au nom de la mémoire collective, en dépit de la confirmation le 14 avril 2022 par le gouvernement de Najib Mikati du projet de leur démolition.



– Le 16 août, 369 magistrats sur 560 entament une grève ouverte en guise de protestation contre la suspension par la Banque du Liban du dispositif établi un mois plus tôt, permettant aux juges de retirer leurs salaires au taux de change préférentiel de 8.000 livres libanaises. Dans un communiqué, les magistrats en grève précisent que «le salaire d’un magistrat ayant à son actif près de 40 ans de carrière ne dépasse pas les 8 millions de livres». Le 23 août, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) se rallie officiellement à la cause des magistrats en grève. Les deux grandes revendications des magistrats sont, d’une part, la revalorisation de leurs salaires qui pour certains d’entre eux ne leur permettent même plus de se rendre à leur lieu de travail en raison de l’hyperinflation, et d’autre part, la ratification par le Parlement de la proposition de loi sur l’indépendance de la Justice. Aujourd’hui, cette grève ouverte est toujours en cours et elle est critiquée par beaucoup d’avocats comme étant une source de déni de justice ouvrant la voie à toutes sortes d’infractions et de troubles à la paix sociale. La balle est toutefois dans le camp du Parlement et du Conseil des ministres et de véritables décisions améliorant les conditions des magistrats se font toujours attendre.


Septembre: Un deuxième bateau de migrants clandestins fait naufrage


– Le 14 septembre: La vidéo a fait le tour des médias locaux et internationaux : Sali Hafez, une jeune déposante libanaise désirant récupérer son argent pour payer les frais de soins de sa sœur malade du cancer braque sa banque, faux pistolet à la main. Plusieurs autres braquages ont également eu lieu durant l’année, notamment à Hamra et Aley.



– Le 22 septembre: Second naufrage tragique d’un bateau de migrants. L’embarcation, partie du Liban, a coulé le 22 au large de Tartous, en Syrie. Plus de 100 personnes, parmi lesquelles figuraient plusieurs femmes et enfants, périssent dans le drame. Principalement de nationalité libanaise ou syrienne, ces migrants n’avaient pas pu s’assurer d’autres moyens de fuir l’enfer de la crise.



Ci-dessous le reportage de Maxime Pluvinet sur la migration clandestine à partir de Tripoli


Octobre: Fin du mandat de Michel Aoun


– Le 5 octobre, le premier cas de choléra depuis 1993 est enregistré au Liban. L’infection est détectée dans le Akkar (Liban-Nord), chez un patient d’origine syrienne. La Syrie voisine est alors en proie à une forte épidémie de choléra résultant de la contamination de l’eau et qui s’est propagée dans tout le pays. En réaction à ce premier cas, le ministère libanais de la Santé publie un communiqué annonçant une série de mesures de prévention.



– Le 27 octobre, l’accord historique sur la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël est scellé à Naqoura. Plus tôt dans la journée, le président libanais Michel Aoun signe une copie de l’accord à Baabda, et le Premier ministre israélien Yaïr Lapid en fait de même à Jérusalem. Cet accord est historique du fait que le Liban et Israël sont deux pays se trouvant officiellement en état de guerre, le Liban ne reconnaissant d’ailleurs même pas l’existence d’Israël. C’est du reste la position du président libanais qui soutient que l’accord n’a aucun aspect politique et est purement technique. Or plusieurs experts en droit international soulignent que cet accord devait être interprété comme une reconnaissance par le Liban de l’État d’Israël.

Quoi qu’il en soit et au-delà des discussions juridiques et diplomatiques, la signature de cet accord a été stimulée par un enjeu économique majeur : la découverte et la volonté d’exploitation de gisements gaziers offshore importants au large des côtes méditerranéennes, qu’il fallait avant tout se répartir. Étonnamment (ou pas), le camp du président Aoun et ses alliés du Hezbollah, qui ont souvent fustigé toute possibilité de solution diplomatique avec Israël, présentent l’évènement comme une victoire majeure pour le Liban à trois jours de l’expiration du mandat du président.

– Le 30 octobre, Michel Aoun quitte le palais de Baabda.

Après un mandat de six longues années durant lesquelles le Liban a vécu la crise économique, financière et sociale la plus catastrophique de son Histoire, mais aussi la tragique double-explosion du Port de Beyrouth et de nombreuses paralysies politiques et judiciaires (notamment en ce qui concerne l’enquête dans l’affaire du 4 août), l’instrumentalisation politique de certains juges, ainsi que des assassinats ciblés comme celui de Lokman Slim ou les mystérieux décès d’autres personnages en lien étroit avec l’enquête du Port, Michel Aoun n’est plus président de la République libanaise mais à nouveau général à la retraite, de retour dans son fief de Rabieh. Un sombre pan de l’histoire moderne libanaise est révolu, mais, fidèle à sa médiocrité, la classe politique libanaise ne réussit, ni en amont, ni en aval, à élire le successeur de Aoun conformément à l’article 73 de la Constitution, et les choses ne semblent pas prêtes de s’arranger.


Novembre: Une élève tuée suite à l’effondrement du toit de sa classe


– Le 2 novembre, l’élève Maguy Mahmoud, 16 ans, est tuée à la suite de l’effondrement du toit de sa classe à l’école publique américaine à Jabal Mohsen (Tripoli). Sa camarade de classe qui a elle aussi 16 ans, Shatha Darwiche, est blessée. Ce drame monstrueux démontre une fois de plus la précarité dans laquelle vit une majorité des habitants de Tripoli, deuxième ville du Liban qui abrite paradoxalement plusieurs milliardaires et dirigeants politiques influents.


Décembre: Un Casque bleu irlandais tué au Liban-Sud


– Dans la nuit du 14 au 15 décembre, un Casque bleu irlandais de la Finul, le soldat Seán Rooney, est tué par une balle dans la tête suite à une attaque perpétrée contre un convoi du contingent irlandais dans le village d’al-Aqabiya, au Liban-Sud. Selon l’AFP, le Hezbollah, dont la présence est prédominante dans la région, mais qui nie son implication dans l’attaque, aurait livré un suspect aux autorités libanaises le 25 décembre.



– Le 26 décembre, le dollar franchit la barre symbolique de 47.800 livres sur le marché parallèle. Au début de l’année (le 1ᵉʳ janvier 2022), un dollar valait encore 28.000 LL.



– Le 26 décembre, les frères Massabki (Francis, Abdel Mohti et Raphaël) sont canonisés par le pape François. Les trois frères ont été sauvagement tués par les hordes d’Ahmad Bacha le 10 juillet 1860 au couvent des franciscains à Damas, après avoir refusé de renier leur foi chrétienne. Les trois saints étant de confession maronite, leur canonisation est considérée comme un «cadeau de Noël» par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï.

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