L'Égypte plombée par une crise économique sans précédent
La crise économique fait rage en Égypte. L'inflation y est galopante et sa monnaie, la livre, a perdu 70% de sa valeur, en dix mois, face au dollar américain. Le billet vert est désormais presque introuvable, posant des problèmes pour importer les aliments dont le pays dépend. Comme d'habitude, ce sont les plus pauvres qui en souffrent le plus, incapables d'acheter l'essentiel.

Retraits bancaires limités, rationnement et publicité pour les bienfaits nutritionnels des pattes de poulet: en Égypte, les dollars manquent et les ménages ne peuvent plus remplir leurs paniers.

Officiellement, l'inflation atteint 18,7%, mais "le pain que j'achetais à une livre est désormais à trois", raconte à l'AFP Rehab, 34 ans.

"Mon mari gagne 6.000 livres par mois" (230 euros), "avant, on tenait 30 jours avec ça. Aujourd'hui, on passe dans le rouge au bout de dix", poursuit-elle.

La livre égyptienne a perdu 70% de sa valeur face au dollar américain (AFP)

Avec la majorité des biens importés et un bond de 8% des taux d'intérêt, tout a fondu: les galettes de pain, les falafels, les bouteilles d'huile, les sachets de légumineuses et même les paniers à prix subventionnés des 70 millions d'Égyptiens considérés comme "pauvres" et donc détenteurs d'une carte de rationnement.

Au supermarché, des panneaux préviennent: "maximum trois sachets de riz", "pas plus de deux bouteilles de lait" ou "une bouteille d'huile".

Dans les journaux, le Conseil national de l'alimentation vante "les pattes de poulets, bénéfiques pour l'organisme et le portefeuille".

Car la viande --surgelée et importée, deux fois moins chère que la viande fraîche-- n'est "plus une option: elle est passée de 85 à 150 livres le kilo", commente Rida, 55 ans, qui, elle aussi, refuse de donner son nom.

Cette matriarche peine à nourrir sa famille de 13 personnes: "je suis fonctionnaire et je fais des ménages dans un hôpital, mais même avec deux salaires, il y a plein de choses que je ne peux plus acheter", explique-t-elle à l'AFP.

Si les prix flambent, c'est aussi parce que les importateurs peinent à débloquer des dollars: actuellement, sept milliards de dollars de produits sont bloqués dans les ports, selon les autorités.

Et la désinformation prospère: les marques chinoises Realme et Oppo et même McDonald's sont régulièrement données sur le départ sur les réseaux sociaux.

Car, échaudées par l'hémorragie du début de la guerre en Ukraine, quand des investisseurs ont sorti des milliards de dollars, plusieurs banques limitent désormais les retraits en dollars à l'étranger et ont triplé les frais d'utilisation de la carte bancaire alors que chez les changeurs, les billets verts sont introuvables.

Même le très pro-régime Amr Adib s'est énervé dans son talk-show: "laissez au moins les Égyptiens en vacances retirer de l'argent pour leur taxi de retour!".

L'inflation est telle qu'une bonne partie de la population ne peut plus s'acheter de produits de première nécessité (AFP)


Mais Le Caire est pris à la gorge: il n'a plus que 33,5 milliards de dollars de réserve contre 41 en février --dont 28 sous forme de dépôts des alliés du Golfe-- et sa dette extérieure a plus que triplé en 10 ans à 150 milliards d'euros.

En mars, puis en octobre, Le Caire a dévalué sa monnaie. Mercredi, la livre a encore perdu plus de 8%. En moins de dix mois, elle aura chuté de près de 70%.

Et pour les experts, tous les voyants sont passés au rouge quand deux banques publiques ont annoncé mercredi délivrer des certificats de dépôt avec 25% d'intérêt sur un an.

Malgré tout, l'Égypte reste l'un des cinq pays les plus à risque de ne pas rembourser sa dette extérieure, selon Moody's.

Et les trois milliards de dollars du nouveau prêt du FMI pèsent peu: le seul service de la dette pour 2022-2023 s'élève à 42 milliards.

Le ministre des Transports, Kamel al-Wazir, a proposé une solution: faire payer le train en dollars aux touristes.

Malgré la crise, l'État continue d'emprunter pour financer ses mégaprojets, comme celui de la future capitale administrative.  (AFP)

"Il me faut des dollars pour payer les trains importés. Ça arrange les touristes et moi aussi", expliquait récemment Kamel al-Wazir.

Mais pour dégager plus d'argent, l'État veut privatiser tous azimuts. À tel point que l'opinion publique s'inquiète que l'Égypte perde sa souveraineté sur son joyau: le canal de Suez.

Il n'est "pas à vendre" a martelé le régime, mais le président Abdel Fattah al-Sissi, lui, aimerait piocher dans ses revenus --pour créer un fond qu'il gèrera lui-même.

"L'argent, je sais comment le gérer, ne vous en mêlez pas", lançait-il récemment.

Pour Stephan Roll, du German Institute for International and Security Affairs, l'Égypte s'endette pour "consolider (son) régime autoritaire".

"L'armée, sur laquelle M. Sissi se repose, est le premier bénéficiaire: l'endettement extérieur protège ses revenus et ses biens et finance des mégaprojets qui lui rapportent gros" puisque la plupart des grands travaux sont confiés au génie militaire, ajoute-t-il.

Loin des villes nouvelles et des trains électriques rutilants, Rehab voulait seulement acheter un manteau à sa fille pour l'hiver. "Mais à 1.000 livres, j'ai dû renoncer", dit-elle, les yeux embués.

Avec AFP
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