En raison de pièces non conformes, le réacteur expérimental international de fusion nucléaire Iter pourrait subir un retard de plusieurs années. Un délai qui affecte lourdement une facture déjà élevée.
Le réacteur expérimental international de fusion nucléaire Iter, qui vise à révolutionner la production d’énergie, pourrait subir un retard de plusieurs années en raison de pièces essentielles défectueuses, et sa facture en dizaines de milliards d'euros devrait encore s'alourdir.
D'ores et déjà, la date de première production de plasma, indispensable à la fusion, initialement prévue pour 2025, ne pourra être tenue, a expliqué jeudi à l'AFP Pietro Barabaschi, nouveau directeur général.
Ces incidents auront également un impact financier. "Nous devons refaire nos plans pour minimiser les coûts supplémentaires," a admis M. Barabaschi, sans fournir de chiffrage précis à ce stade.
"Nous avons deux problèmes," explique à l'AFP Pietro Barabaschi, désigné en septembre à la tête de ce projet international de recherche qui rassemble sept partenaires: Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Japon, Union européenne et Russie.
Premier "problème": des "non-conformités dimensionnelles", en clair des écarts pouvant aller jusqu'à deux centimètres entre les parties qui doivent être soudées entre elles pour former la "chambre à vide", c'est-à-dire une gigantesque boucle en forme de chambre à air où se produira la réaction de fusion.
Cette "chambre à vide" a un diamètre de 19 mètres et une hauteur de 11 mètres.
Défauts de fabrication
Si cette réaction de fusion, semblable à celle des étoiles comme le Soleil, peut-être maîtrisée par les humains, ce qu'Iter espère démontrer, ce serait une source d'énergie non-émettrice de CO2, avec moins de déchets radioactifs et sans risque d'accident nucléaire.
Sur neuf "secteurs" (parties) au total qui constitueront la chambre à vide, trois - fabriqués en Corée du Sud - sont déjà arrivés à Saint-Paul-les-Durance, sur le site d'Iter, en Provence (sud de la France).
Cette photo prise le 5 janvier 2022 montre une vue extérieure du projet international de fusion nucléaire Iter à Saint-Paul-les-Durance, dans le sud de la France. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)
Et un a même été installé dans la fosse dans laquelle doit avoir lieu l'expérience, bardé de son "écran thermique", qui protège de la très forte chaleur émise lors de la fusion.
Et c'est le deuxième "problème": ces écrans présentent eux aussi un défaut de fabrication, qui peut causer de la corrosion et aboutir à des fuites de l'hélium utilisé dans le circuit de refroidissement.
"Il va falloir sortir (l'élément déjà installé) et le réparer", explique M. Barabaschi. Une tâche en elle-même titanesque, le module complet pesant à lui seul 1.250 tonnes. S'y ajouteront les réparations sur les autres "secteurs" déjà livrés, sur ceux encore en construction (un en Corée et cinq en Europe) et la réparation de la totalité des écrans thermiques, voire la construction de nouveaux.
Rattraper le retard
"Ca n'est pas un processus qui prend des semaines, mais des mois, voire quelques années", poursuit le directeur, qui doit élaborer d'ici la fin de l'année un nouveau calendrier des opérations.
"Indépendamment de ce qui s'est produit, (la date de 2025) n'était de toute façon pas réaliste", estime le nouveau patron d'Iter, qui dirigeait auparavant la contribution européenne au projet. Mais il espère toutefois que le retard sur cette première étape soit en partie rattrapé avant 2035, date initialement prévue pour le terme de l'expérimentation.
L'élaboration et la mise en oeuvre de ce nouveau calendrier seront scrutées par l'Autorité de sûreté nucléaire française, qui a pointé "un défaut de culture de sûreté" lors de ses inspections d'Iter, a indiqué à l'AFP Bastien Lauras, chef de la division de l'ASN Marseille.
Cette photo montre la fosse principale du projet international de fusion nucléaire Iter à Saint-Paul-les-Durance, dans le sud de la France, le 5 janvier 2022. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)
L'autorité administrative indépendante "considère qu'Iter n'a pas pris la mesure suffisante pour traiter ces écarts (sur les points de soudure) au bon moment et notamment pour éviter qu'ils se reproduisent dans les +secteurs+ encore en cours de construction", regrette-t-il.
Certaines non-conformités étaient en effet connues avant la livraison, mais "l'opinion à l'époque était qu'il était plus important d'amener les secteurs sur le site et l'on s'attendait à ce qu'on puisse trouver une solution... ce qui s'est avéré impossible", explique à l'AFP Brian Macklin, l'un des responsables des opérations de réparation, qui n'était pas chargé à l'époque de la réception des pièces.
Il espère que les modalités de réparations seront finalisées et approuvées à l'été. Le secteur déjà dans la fosse ne devrait en tout cas pas être prêt pour intervention avant la fin de l'année.
Polémiques sur le budget
Les surcoûts attendus s'ajoutent à un budget global d'Iter qui fait déjà l'objet de polémiques, et d'incertitudes, puisqu'une bonne partie est composée de pièces en nature apportées par les différents membres.
"Moi même je n'ai pas une compréhension claire" du coût de chaque partie du projet, assure le nouveau directeur. Mais il reconnaît que les estimations souvent avancées, de 20 à 40 milliards d'euros, sont sans doute "proches" de la réalité.
Des ouvriers autour d'un morceau du cœur du solénoïde du projet international de fusion nucléaire Iter à Saint-Paul-les-Durance, dans le sud de la France, le 5 janvier 2022. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)
De nombreux écologistes dénoncent, à l'instar de Greenpeace, un gouffre financier qui, même s'il atteint ces objectifs, arrivera "bien trop tard pour faire face à l'urgence climatique".
D'autant qu'Iter "n'a pas vocation à produire de l'électricité. Simplement à démontrer la capacité de produire de l'énergie et de la recueillir", comme le rappelle Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
En attendant, d'autres projets de fusion affichent déjà des progrès, comme aux Etats-Unis, où un laboratoire dépendant du ministère de l'Energie a annoncé mi-décembre une "percée majeure" en utilisant une autre technique qu'Iter.
Pietro Barabaschi assure que cette annonce, venue d'un pays membre du projet international, ne l'inquiète pas.
"Une certaine concurrence est saine", explique-t-il, ajoutant qu'"en règle générale nous investissons trop peu dans la recherche sur l'énergie". "Si demain quelqu'un trouvait une autre avancée qui rendrait mon travail superflu, je serais très heureux".
Avec AFP
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