«Lorsqu’à l’aube de l’Histoire, le premier homme se jeta sur le singe, l’estomac plein, une massue à la main et le meurtre dans le cœur, le singe sut que l’homme était fou. Mais il fallut longtemps à l’homme pour s’en apercevoir.» Fritz Leibe
Américaine, née à San Francisco en 1932, depuis sa plus tendre enfance Dian Fossey n’est sûre que d’une chose, sa passion pour les animaux. Elle obtient un diplôme d’ergothérapeute pour enfants, néanmoins c’est de l’Afrique et de ses animaux qu’elle rêve, jusqu’au jour où elle décide de tout quitter: parents, amis, pays, pour aller y vivre. Elle est à court d’argent, il n’empêche, elle s’endette lourdement pour financer son voyage et son séjour.
Sa rencontre avec le célèbre paléoanthropologue Louis Leakey en 1966 au Kenya scelle son destin. Lorsqu’il la recrute pour qu'elle prenne part à son projet d'étude des grands singes, il lui signifie qu'elle devrait se faire retirer l'appendice. Elle obtempère sans états d’âme avant qu’il ne lui avoue qu'il désirait tester sa détermination. Il sera copieusement servi. Hardie, téméraire, deux traits majeurs chez Dian.
Fossey commence son étude sur le terrain à Kabara, au Congo au début de 1967, mais la guerre civile l’empêche de poursuivre ses activités. Elle s’installe la même année au Rwanda «pays des mille collines», en Afrique centrale dans la région des Grands Lacs, dans les jungles qui bordent les collines des volcans Virunga, une région partagée par le Rwanda, l'Ouganda et le Congo. Elle fonde le Karisoke Research Center, un camp niché dans la province de Ruhengeri. Établie à 3 000 mètres sur le mont Bisoke, la zone d’étude définie couvre 25 kilomètres carrés. C’est dans un milieu hostile, humide, la jungle au milieu de nulle part, dans un monde que peu de gens connaissent alors, une contrée sauvage parmi les gorilles de montagne, espèce encore méconnue à l’époque, qu’elle montera sa tente dans un lieu où les chemins devaient généralement être coupés à la machette à travers une herbe haute de deux mètres.
Fossey s’investit corps et âme dans cette mission. Les gorilles bouleversent son existence. Pour les Rwandais, elle est Nyiramachabelli, la femme qui vit seule dans la montagne. Ses recherches financées par la Wilkie Foundation, la Leakey Home et principalement la National Geographic Society portent leurs fruits sur le champ. Elle établit une relation sans précédent avec les singes en innovant la méthode d’étude et d’approche des gorilles. Elle est convaincue que sa relation avec les primates doit être basée sur la confiance que lui témoignent les gorilles qui sont à l'aise avec un humain qui les observe. Elle tente d’habituer les gorilles en imitant leurs gestuelles et leurs actions. Au fil du temps, elle découvre que le fait d'imiter leurs actions et leurs grognements les rassure. Elle adopte un comportement de soumission ainsi que leurs habitudes alimentaires, mangeant du céleri local comme eux, et finit par être acceptée au sein du clan familial.
Fossey définit les gorilles comme étant «des géants dignes, très sociaux et doux, avec des personnalités individuelles et de solides relations familiales». Elle fait des découvertes sur les gorilles «unis par des liens profonds», notamment sur la façon dont les femelles passent d'un groupe à l'autre lorsqu’un mâle meurt ; les hiérarchies et les relations sociales entre les groupes; le régime alimentaire des gorilles et la manière dont ces primates recyclent les nutriments. Elle découvre une structure familiale très forte, des mères attentionnées, et note que les gorilles sont de nature presque altruiste, il y a très peu ou pas de ‘moi’, chez eux. Elle révèle que le battement de poitrine est un signe de force. Elle ira même jusqu’à dire, «plus vous en apprenez sur la dignité du gorille, plus vous voulez éviter les gens».
En 1980, Fossey, qui a obtenu son doctorat à l'Université de Cambridge au Royaume-Uni, est reconnue comme la principale autorité mondiale sur la physiologie et le comportement des gorilles de montagne. Cependant, venue étudier les primates, Fossey se retrouve au cœur d’un conflit ouvert avec les braconniers qui abondent dans la région, mutilent et tuent les gorilles. Mère-louve des grands singes, gare à ceux qui les maltraitent. La lutte se transforme en guerre sans merci lorsque son gorille préféré, Digit, est tué en 1978, sa tête est coupée, son corps démembré. Suivront la même année d’autres membres d’une même famille, Oncle Bert, sa femelle Macho et leur fils Kweli, trois ans, qui lui meurt de gangrène, des suites d’une balle d'un braconnier.
La mort de ses gorilles les plus étudiés pousse Fossey à consacrer plus de temps à la prévention du braconnage aux dépens de la recherche scientifique. Elle coupe les pièges à barbelés, capture les braconniers et brûle leurs camps de chasse. Sa mission scientifique se transforme en véritable croisade contre le braconnage. Dans son livre, Gorillas in the Mist, (Gorilles dans la brume), qui a inspiré le film éponyme sorti en 1988, et qui reste le livre le plus vendu sur les gorilles, elle écrit, «la conservation active des gorilles consiste à sortir dans la forêt, à pied, jour après jour, à tenter de capturer des braconniers, à tuer – malheureusement – des chiens braconniers qui propagent la rage dans le parc, et à couper des pièges».
Évoluant de plus en plus dans une ambiance délétère au sein d’une région livrée au pillage écologique, Fossey finit par payer de sa vie ses efforts de conservation et son opposition au braconnage. Il y a 37 ans, le 27 décembre 1985, elle est retrouvée assassinée dans sa hutte, le crâne fendu par des coups de machette. Elle sera enterrée dans le cimetière des gorilles près de Digit et des familles des grands singes qu’elle a tant aimés. Sur la stèle funéraire, «Nyiramachabelli, personne n’a autant aimé les gorilles». Son assassinat pourtant prémédité, comme tous les crimes crapuleux, n’est toujours pas élucidé.
Les observations de Dian Fossey ont contribué à changer l’image des gorilles de montagne en révélant qu’ils vivent dans des cellules familiales où la mère est très proche de sa progéniture, qu’ils sont en grande partie végétariens et qu’ils pleurent comme les humains. D’ailleurs, ces gentils géants possèdent 98,47% d’ADN en commun avec nous.
Aujourd’hui, le Digit Fund qu’elle avait fondé en 1978 est devenu le Dian Fossey Gorilla Fund qui poursuit les efforts de sauvegarde initiés par les scientifiques. Les gorilla beringei de leur nom scientifique étaient aux environs de 250 dans les années soixante-dix. Grâce à Dian Fossey, leur protection est devenue une cause universelle. La création de brigades anti-braconnage dans un environnement plus stable et la mobilisation des trois pays concernés produisent des résultats positifs. D’après le World Wildlife Fund (WWF), on en recense plus de 1000 individus.
Dounia Mansour Abdelnour
Cet article a été originalement publié sur le site de l'Agenda culturel.
Américaine, née à San Francisco en 1932, depuis sa plus tendre enfance Dian Fossey n’est sûre que d’une chose, sa passion pour les animaux. Elle obtient un diplôme d’ergothérapeute pour enfants, néanmoins c’est de l’Afrique et de ses animaux qu’elle rêve, jusqu’au jour où elle décide de tout quitter: parents, amis, pays, pour aller y vivre. Elle est à court d’argent, il n’empêche, elle s’endette lourdement pour financer son voyage et son séjour.
Sa rencontre avec le célèbre paléoanthropologue Louis Leakey en 1966 au Kenya scelle son destin. Lorsqu’il la recrute pour qu'elle prenne part à son projet d'étude des grands singes, il lui signifie qu'elle devrait se faire retirer l'appendice. Elle obtempère sans états d’âme avant qu’il ne lui avoue qu'il désirait tester sa détermination. Il sera copieusement servi. Hardie, téméraire, deux traits majeurs chez Dian.
Fossey commence son étude sur le terrain à Kabara, au Congo au début de 1967, mais la guerre civile l’empêche de poursuivre ses activités. Elle s’installe la même année au Rwanda «pays des mille collines», en Afrique centrale dans la région des Grands Lacs, dans les jungles qui bordent les collines des volcans Virunga, une région partagée par le Rwanda, l'Ouganda et le Congo. Elle fonde le Karisoke Research Center, un camp niché dans la province de Ruhengeri. Établie à 3 000 mètres sur le mont Bisoke, la zone d’étude définie couvre 25 kilomètres carrés. C’est dans un milieu hostile, humide, la jungle au milieu de nulle part, dans un monde que peu de gens connaissent alors, une contrée sauvage parmi les gorilles de montagne, espèce encore méconnue à l’époque, qu’elle montera sa tente dans un lieu où les chemins devaient généralement être coupés à la machette à travers une herbe haute de deux mètres.
Fossey s’investit corps et âme dans cette mission. Les gorilles bouleversent son existence. Pour les Rwandais, elle est Nyiramachabelli, la femme qui vit seule dans la montagne. Ses recherches financées par la Wilkie Foundation, la Leakey Home et principalement la National Geographic Society portent leurs fruits sur le champ. Elle établit une relation sans précédent avec les singes en innovant la méthode d’étude et d’approche des gorilles. Elle est convaincue que sa relation avec les primates doit être basée sur la confiance que lui témoignent les gorilles qui sont à l'aise avec un humain qui les observe. Elle tente d’habituer les gorilles en imitant leurs gestuelles et leurs actions. Au fil du temps, elle découvre que le fait d'imiter leurs actions et leurs grognements les rassure. Elle adopte un comportement de soumission ainsi que leurs habitudes alimentaires, mangeant du céleri local comme eux, et finit par être acceptée au sein du clan familial.
Fossey définit les gorilles comme étant «des géants dignes, très sociaux et doux, avec des personnalités individuelles et de solides relations familiales». Elle fait des découvertes sur les gorilles «unis par des liens profonds», notamment sur la façon dont les femelles passent d'un groupe à l'autre lorsqu’un mâle meurt ; les hiérarchies et les relations sociales entre les groupes; le régime alimentaire des gorilles et la manière dont ces primates recyclent les nutriments. Elle découvre une structure familiale très forte, des mères attentionnées, et note que les gorilles sont de nature presque altruiste, il y a très peu ou pas de ‘moi’, chez eux. Elle révèle que le battement de poitrine est un signe de force. Elle ira même jusqu’à dire, «plus vous en apprenez sur la dignité du gorille, plus vous voulez éviter les gens».
En 1980, Fossey, qui a obtenu son doctorat à l'Université de Cambridge au Royaume-Uni, est reconnue comme la principale autorité mondiale sur la physiologie et le comportement des gorilles de montagne. Cependant, venue étudier les primates, Fossey se retrouve au cœur d’un conflit ouvert avec les braconniers qui abondent dans la région, mutilent et tuent les gorilles. Mère-louve des grands singes, gare à ceux qui les maltraitent. La lutte se transforme en guerre sans merci lorsque son gorille préféré, Digit, est tué en 1978, sa tête est coupée, son corps démembré. Suivront la même année d’autres membres d’une même famille, Oncle Bert, sa femelle Macho et leur fils Kweli, trois ans, qui lui meurt de gangrène, des suites d’une balle d'un braconnier.
La mort de ses gorilles les plus étudiés pousse Fossey à consacrer plus de temps à la prévention du braconnage aux dépens de la recherche scientifique. Elle coupe les pièges à barbelés, capture les braconniers et brûle leurs camps de chasse. Sa mission scientifique se transforme en véritable croisade contre le braconnage. Dans son livre, Gorillas in the Mist, (Gorilles dans la brume), qui a inspiré le film éponyme sorti en 1988, et qui reste le livre le plus vendu sur les gorilles, elle écrit, «la conservation active des gorilles consiste à sortir dans la forêt, à pied, jour après jour, à tenter de capturer des braconniers, à tuer – malheureusement – des chiens braconniers qui propagent la rage dans le parc, et à couper des pièges».
Évoluant de plus en plus dans une ambiance délétère au sein d’une région livrée au pillage écologique, Fossey finit par payer de sa vie ses efforts de conservation et son opposition au braconnage. Il y a 37 ans, le 27 décembre 1985, elle est retrouvée assassinée dans sa hutte, le crâne fendu par des coups de machette. Elle sera enterrée dans le cimetière des gorilles près de Digit et des familles des grands singes qu’elle a tant aimés. Sur la stèle funéraire, «Nyiramachabelli, personne n’a autant aimé les gorilles». Son assassinat pourtant prémédité, comme tous les crimes crapuleux, n’est toujours pas élucidé.
Les observations de Dian Fossey ont contribué à changer l’image des gorilles de montagne en révélant qu’ils vivent dans des cellules familiales où la mère est très proche de sa progéniture, qu’ils sont en grande partie végétariens et qu’ils pleurent comme les humains. D’ailleurs, ces gentils géants possèdent 98,47% d’ADN en commun avec nous.
Aujourd’hui, le Digit Fund qu’elle avait fondé en 1978 est devenu le Dian Fossey Gorilla Fund qui poursuit les efforts de sauvegarde initiés par les scientifiques. Les gorilla beringei de leur nom scientifique étaient aux environs de 250 dans les années soixante-dix. Grâce à Dian Fossey, leur protection est devenue une cause universelle. La création de brigades anti-braconnage dans un environnement plus stable et la mobilisation des trois pays concernés produisent des résultats positifs. D’après le World Wildlife Fund (WWF), on en recense plus de 1000 individus.
Dounia Mansour Abdelnour
Cet article a été originalement publié sur le site de l'Agenda culturel.
Lire aussi
Commentaires