Joë Bousquet et son Poisson d’Or
1918, une balle allemande l’atteint à la colonne vertébrale qui le gardera cloué au lit jusqu’à son dernier souffle. Il a 40 ans. Il rentre dès lors dans des relations épistolaires avec Éluard, Max Ernest et Jean Paulhan sans garder sur la touche Simone Weil.

Ses phrases ne sont pas divertissantes, mais creusent au plus profond la question existentielle de l’être, des lettres qui lui permettront d’écrire des mots verticaux, lui l’impotent horizontal à jamais. Proust avait Céline Albaret comme gouvernante et confidente, qui l’aidait dans l’organisation de ses paperolles. Bosquet avait Germaine, son Poisson d’Or, pour qui il écrira les plus belles lettres d’amour existentielles dans les pages desquelles il dénudait l’amour de tout superflu, de toutes les écailles insipides.

Germaine convola en 1950 avec son amoureux. À l’automne, Bosquet mourra de chagrin à l’âge de 53 ans. Ses correspondances amoureuses virent le jour en 1937 et s’éteignirent en 1949. Elle s’appelait donc Germaine et n’avait que 21 ans. Douze ans de correspondances. Douze étapes d’un Christ qui refusait de se remettre à Dieu avant de s’être crucifié vainement. «Petite fille (…) écoute-moi: il y avait une fois un homme qui avait trouvé une étoile.»; «Je ne te demande pas de confidences; mais je tiens à avoir, à chaque instant, une tendresse prête pour une de tes peines. C’est facile, ma vie semble le berceau de la tienne; et rien que de te parler de moi, il semble que j’agrandis ton cœur.»


Il laisse derrière lui des poèmes, des essais, des romans, de recueils de nouvelles, des biographies et surtout de la correspondance, dont Lettres à Poisson d’Or sont l’apogée.

Il rêve. Son existence en est une. Il n’espère plus rien. Il se sait condamné à une errance sans fin dans le lacis d’un amour impossible. Et pourtant, il n’accroche pas les gants. Quoiqu’englouti par son lit, c’est un homme qui vit hors sol. Il est jaloux de ses propres mots qui tombent comme un nénuphar sur la surface d’un lac, sans bruit, sans éclaboussures, sans entacher Germaine qui tourne l’alliance dans son doigt. Sa langue à lui est celle de la poésie enfermée dans ses propres rimes. Germaine l’inculte. Germaine aux portugaises ensablées ne voit qu’un perclus, un grabataire prêt à rendre l’âme sans verser une larme.

«Ce n’est plus l’œil qui voit le rayon», c’est la noirceur du cœur qui l’obstrue. Il traverse la vie de rêve en rêve. Le rêve de pouvoir marcher un jour comme Jésus sur l’eau. Aller à l’encontre de Germaine pour l’amener à Saint-Germain-des-Prés pour prendre un café crème. Pour que la vie reprenne son cours du temps où ses jambes l’amenaient où il le souhaitait, c’est-à-dire vers elle, en elle.
Commentaires
  • Aucun commentaire