Hussein Husseini, allié de Damas mais loin du suivisme
Nombre de personnes ayant accompagné Hussein Husseini dans sa carrière ne peuvent s’empêcher de rendre hommage à celui que l’on surnommait «le père de Taëf» - la conférence de paix parrainée par l’Arabie saoudite en 1989, en collaboration avec les États-Unis et la Syrie et qui mit fin à la guerre civile au Liban. C’est d’ailleurs à l’issue de cette conférence que la Constitution libanaise a été amendée, elle qui avait été rédigée plus de 50 ans auparavant, en 1943.

Nombreux aussi étaient ceux qui ont côtoyé Husseini tout au long de sa carrière politique débutée dans les années 70. Hussein Husseini entame sa carrière de député, représentant Baalbeck au Parlement en 1972, avant de devenir un des fondateurs du mouvement Amal en 1973, connu à l’époque sous le nom du mouvement des Déshérités. Il en devient le chef, de 1978 à 1980, après la disparition de l’Imam Moussa Sadr.

Mais bien avant, le président Husseini était proche de son père, Sayed Ali Husseini (le titre de Sayed fait référence à un dignitaire issu de la lignée de l’Imam Ali Ibn Abi Talib, 4ᵉ Calife après le décès du prophète Mahomet). Ali Husseini était le président du comité foncier de Zahlé et s’est lié d’amitié avec la famille Skaff, en particulier avec l’ancien député et ministre Joseph Skaff.

Cependant, c’est par le truchement de l’Imam Moussa Sadr que Hussein Husseini entame vraiment sa carrière politique. Il tisse des relations privilégiées avec le régime syrien – dont Sadr était déjà proche – sous la présidence de feu Hafez el-Assad.

Il ne fait aucun doute que la montée en puissance du mouvement chiite fondé par l’Imam Sadr a favorisé l’entrée au Parlement de Hussein Husseini en 1972. Ainsi, ce dernier parvient à se tailler une place politique prépondérante alors que, jusque-là, les décisions de la communauté chiite étaient du ressort des deux anciens chefs du Parlement, Sabri Hamadé et Kamel Assaad, maîtres incontestables dans la Békaa et au Sud.

Avec le déclenchement de la guerre du Liban en 1975, l’influence de Hamadé et Assaad se voit réduite, avant d’être complètement anéantie avec l’invasion israélienne du Liban en 1982 en vue d’éliminer les organisations armées palestiniennes. Et comme la nature a horreur du vide, Hussein Husseini prend la relève et succède à Kamel Assaad en accédant à la présidence de la Chambre des députés en 1984, poste qu’il pourvoira jusqu’en 1992. Avec les premières élections parlementaires conformément à la Constitution de Taëf, Nabih Berry remplacera Hussein Husseini et demeure jusqu’à ce jour, au même poste, 31 ans plus tard.

Il est important de se pencher sur une question essentielle autour de la montée en puissance de Hussein Husseini et de son déclin. Il semble que cette facette de sa vie soit une synthèse de paradoxes et de mystères. Sinon comment expliquer que  Husseini qui a gravi les échelons du temps de l’Imam Sadr – qui demeure une des plus grandes icônes de la communauté chiite même après sa disparition en Libye, en 1978, à l’époque du colonel Mouammar Kadhafi – tombe en disgrâce sous le régime syrien qui a gagné du terrain à partir de 1975, avant de battre en retraite en 2005 après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ?

Certaines personnes proches de Husseini estiment qu’en dépit de ses excellentes relations avec Damas, Husseini tenait à assumer ses responsabilités politiques conformément aux règles libanaises, avant que le pays ne soit soumis aux forces étrangères, comme la Syrie, Israël, ou l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP). Il se plaisait à parler des relations entre les composantes libanaises historiques. Il est même arrivé à l’auteur de ces lignes d’entendre Husseini, à l’époque où il était encore chef du Parlement, dire que dans les villages situés dans les hauteurs de Jbeil, quand un citoyen chrétien meurt, le prêtre évoque toujours les origines du défunt comme suit : «Le regretté Fenianos, fils de Tanios, fils de Hanna, fils d’Ali, fils de Hussein…». En d’autres termes, le défunt avait des origines musulmanes chiites. Selon Hussein Husseini, les Libanais ont tous un tronc commun et devraient interagir à partir de ce postulat.


Après la disparition en Libye de l’Imam Sadr, la dynamique au sein des hautes sphères chiites change : Hussein Husseini n’est plus à la tête du mouvement Amal et se fait remplacer, en 1980, par le jeune avocat Nabih Berry, membre de la branche syrienne du parti Baas. Cet événement coïncide avec la détérioration des rapports entre le mouvement Amal et le Mouvement national dirigé par le socialiste Kamal Joumblatt. Ce dernier, principal allié du leader palestinien Yasser Arafat, exerce des pressions pour faire remplacer Husseini par M. Berry.

Damas, par ailleurs, a tenu à garder Hussein Husseini comme allié politique. Selon certaines sources, Husseini était proche d’Ali Douba (Abou Waël), un des piliers du régime de Hafez el-Assad. En sa qualité de président de la Chambre, Husseini entretenait d’excellentes relations avec la Syrie, ce qui a favorisé par la suite la naissance des accords de Taëf en 1989. Or les accords en question affaiblissent le pouvoir de ce dernier au lieu de le consolider. Et pour cause: Hussein Husseini n’approuve plus la nouvelle politique syrienne qui se traduit par la désignation de députés libanais en 1990 et l’organisation des premières élections conformément à la constitution de Taëf, entrée en vigueur en 1992. Les chrétiens à l’époque boycottent lesdites élections et Husseini ne manque pas de critiquer ces dernières, sans pour autant les boycotter. Ces prises de position contrarient la Syrie et précipitent la chute de Hussein Husseini du perchoir à la faveur du Nabih Berry.

Cette période est décrite en détail dans l’ouvrage intitulé «Gardien de la République», relatant la vie de Hassan al-Rifaï, éminent constitutionnaliste et allié de Hussein Husseini sur la même liste électorale lors des élections de 1992. L’un des passages du livre évoque le témoignage d’Albert Mansour, un des candidats sur la liste en question, tiré de son ouvrage «Renverser Taëf»: «La veille des élections, le samedi 22 août 1992, un camion dépêché par un ministère en provenance de Beyrouth se rend à Baalbeck chargé d’urnes électorales vidées sur la place du sérail. Le caïmacan a été informé qu’il devrait se charger des responsables des bureaux de vote, car les personnes concernées n’allaient pas être présentes. Immédiatement, le Hezbollah prend la relève et place ses propres hommes à la tête des bureaux de votes – frères, proches et partisans pour la plupart. Ces hommes-là ont été imposés au caïmacan et inscrits comme chefs des bureaux de vote…».

Rifaï ajoute que «Hussein Husseini, alors chef du Parlement, évoque les irrégularités avec le ministre de l’Intérieur Sami el-Khatib, mais en vain». Le jour des élections, le 23 août 1992, restera un jour noir, du début jusqu’à la fin. Intuitif, Rifaï comprend vite que le désir de fausser les élections était le plus fort. L’heure du décompte venue, l’ampleur de la fraude se clarifie : des extraits d’état civil vides surgissent de nulle part, et sont remplis selon le bon vouloir du Hezbollah et glissés dans les urnes sans être vérifiés. De même, le parti de Dieu a disposé d’une liberté d’action totale, lui permettant d’autoriser les délégués des candidats de se rendre aux urnes.

Plus tard cette même nuit, les candidats sur la liste de Hussein Husseini se réunissent chez lui dans son village natal de Chmestar. La colère est palpable. On réfléchit à la possibilité de reporter les élections et d’en contester les résultats. D’ailleurs, lorsque ceux-ci furent annoncés, il s’est avéré que, de tous les candidats de la liste Husseini, seuls lui et Yehya Chamas en sont sortis vainqueurs. M. Husseini envisage alors de démissionner, mais Hassan al-Rifaï tente de l’en dissuader, arguant du fait que «les gens oublient ceux qui démissionnent». Il lui conseille de «mener le combat du sein même du Parlement». Hussein Husseini change d’avis et demeure à son poste, mais choisit de boycotter quand même le nouveau Parlement et refuse d’en reconnaître la légitimité, et ce, jusqu’au terme de son mandat qui prendra fin en 1996».

Hussein Husseini décède au terme d’un parcours jalonné de hauts et de bas. Certes, il a été porté aux nues pour des raisons chiites et son déclin est survenu pour des raisons chrétiennes. Quoi qu’il en soit, on ne peut enlever à Husseini le mérite d’avoir été un chiite viscéralement attaché à son pays.

 
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