Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la DGSE est gestionnaire d'un important patrimoine privé, afin de garantir son indépendance financière en cas d'une occupation étrangère ou de la disparition du gouvernement. Ces fonds servent à financer les opérations ultra-confidentielles et échappent à tout contrôle institutionnel. On parlerait environ de 76 millions d'euros pour l'ensemble de la communauté du renseignement.
La communauté du renseignement disposerait de près de 76 millions d'euros en fonds privé (AFP)
Un patrimoine privé échappant à tout contrôle mais parfaitement légal: la mise en examen de Bernard Bajolet, ancien patron de la DGSE, a mis en lumière un secret de plus dans l'administration déjà la plus secrète de France.
L'ex-directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) entre 2013 et 2017 est poursuivi notamment pour complicité de tentative d'extorsion. Au coeur du dossier, un entretien présumé musclé qu'aurait réservé deux agents à Alain Duménil, sulfureux homme d'affaires franco-suisse, que la "boîte" accuse de l'avoir escroqué de 15 millions d'euros.
La DGSE avait confié à cet homme d'affaires la gestion d'actifs privés, dont l'existence date de l'après-guerre.
Après Vichy, et alors que les alliés, États-Unis en tête, craignaient une invasion soviétique, "il fallait que notre service spécial et d'action extérieure soit indépendant éventuellement d'une disparition du gouvernement ou d'une occupation étrangère", explique à l'AFP Alain Chouet, ancien haut cadre de la DGSE.
"Il a été convenu de lui attribuer un certain nombre de fonds parmi lesquels les fonds spéciaux", apparents dans le budget de l'État, ajoute-t-il. En parallèle "s'est développée la constitution d'un certain nombre de fonds d'investissement étrangers, en Suisse, au Luxembourg et ailleurs". Immobilier, titres, un éventail varié de secteurs.
Mais les espions ne sont pas forcément fins gestionnaires.
À la fin des années 1990, la DGSE réalise des investissements infructueux et se met en affaires avec Alain Duménil. Celui-ci transfèrera par la suite les parts d'une holding détenues par le service dans trois autres de ses sociétés, et placera la holding en liquidation judiciaire. Il est mis en examen en novembre 2016 pour banqueroute frauduleuse.
"Il y a eu beaucoup de placements malheureux dans les années 70-80", se souvient aussi Alain Chouet. D'après "les bruits de couloirs et quelques confidences désabusées, la gestion n'était pas terrible".
Mais les pratiques, plus hasardeuses que frauduleuses, ont perduré. Au début des années 2000, raconte un ancien de la boîte, "à chaque fois que je soulevais une pierre quelque part, il sortait des billets. Mon prédécesseur, comme un écureuil, avait mis des noisettes partout".
"J'estimais qu'en 2000, les chances de voir la France occupée par une puissance étrangère étaient devenues plus qu'hypothétiques", explique-t-il. "J'ai ramené tout ça à mon directeur administratif. Je ne sais pas ce qu'il en a fait".
Depuis, une loi votée en 2015 donne un cadre précis à ses missions.
La mise en examen de Bernard Bajolet, ancien patron de la DGSE, a mis en lumière un secret de plus dans l'administration déjà la plus secrète de France. (AFP)
Et les espions du boulevard Mortier à Paris sont soigneusement contrôlés, notamment par la Cour des comptes, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ou encore la délégation parlementaire au renseignement.
Mais le patrimoine privé échappe en revanche à tout contrôle. "Cet objet-là, cette caisse noire doit être fructifiée pour pouvoir reconstruire une partie de l'État, assurer son indépendance", estime Alexandre Papaemmanuel, professeur à l'Institut des études politiques (IEP) à Paris.
"Les services ne travaillent pas seuls. Ils sont au service d'une ambition politique et d'une vision de la menace."
Ces fonds financent les opérations ultra-confidentielles. Comme parfois, selon le même vétéran de la maison, une libération d'otages. En France, "nous ne payons pas les preneurs d'otages mais ces gens-là veulent de l'argent", ironise-t-il. "Donc il faut leur en donner sans que ça se voit, en puisant dans une comptabilité protégée".
De combien parle-t-on ? Probablement un peu plus de 30 millions d'euros pour les fonds spéciaux inscrits au budget (76 M pour l'ensemble de la communauté du renseignement). Mais aucune source n'a avancé à l'AFP une estimation du patrimoine privé.
La France n'est en tout cas pas seule à gérer ce genre de cagnotte. La comptabilité des services est opaque dans beaucoup de démocraties, dont certaines ont aussi eu recours à des formes de fonds privés.
La CIA américaine avait ainsi acheté une société suisse en 1970 avec son homologue allemande (BND), via des sociétés basées dans des paradis fiscaux dans le cadre de l'opération "Thesaurus" ("Rubikon" en allemand).
Crypto AG a vendu pour des millions de dollars de matériel de cryptographie à plus de 120 pays, dont des occidentaux mais aussi l'Iran, les juntes militaires d'Amérique latine, l'Arabie saoudite etc.
"La CIA et le BND ont donc pu lire les telex envoyés via cet outil", explique Christopher Nehring, expert du renseignement à la Fondation Konrad-Adenauer. Les sommes, partagées entre CIA et BND, ont "financé d'autres opérations" échappant à toute supervision.
Avec AFP
La communauté du renseignement disposerait de près de 76 millions d'euros en fonds privé (AFP)
Un patrimoine privé échappant à tout contrôle mais parfaitement légal: la mise en examen de Bernard Bajolet, ancien patron de la DGSE, a mis en lumière un secret de plus dans l'administration déjà la plus secrète de France.
L'ex-directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) entre 2013 et 2017 est poursuivi notamment pour complicité de tentative d'extorsion. Au coeur du dossier, un entretien présumé musclé qu'aurait réservé deux agents à Alain Duménil, sulfureux homme d'affaires franco-suisse, que la "boîte" accuse de l'avoir escroqué de 15 millions d'euros.
La DGSE avait confié à cet homme d'affaires la gestion d'actifs privés, dont l'existence date de l'après-guerre.
Après Vichy, et alors que les alliés, États-Unis en tête, craignaient une invasion soviétique, "il fallait que notre service spécial et d'action extérieure soit indépendant éventuellement d'une disparition du gouvernement ou d'une occupation étrangère", explique à l'AFP Alain Chouet, ancien haut cadre de la DGSE.
"Il a été convenu de lui attribuer un certain nombre de fonds parmi lesquels les fonds spéciaux", apparents dans le budget de l'État, ajoute-t-il. En parallèle "s'est développée la constitution d'un certain nombre de fonds d'investissement étrangers, en Suisse, au Luxembourg et ailleurs". Immobilier, titres, un éventail varié de secteurs.
Une gestion malabile
Mais les espions ne sont pas forcément fins gestionnaires.
À la fin des années 1990, la DGSE réalise des investissements infructueux et se met en affaires avec Alain Duménil. Celui-ci transfèrera par la suite les parts d'une holding détenues par le service dans trois autres de ses sociétés, et placera la holding en liquidation judiciaire. Il est mis en examen en novembre 2016 pour banqueroute frauduleuse.
"Il y a eu beaucoup de placements malheureux dans les années 70-80", se souvient aussi Alain Chouet. D'après "les bruits de couloirs et quelques confidences désabusées, la gestion n'était pas terrible".
Mais les pratiques, plus hasardeuses que frauduleuses, ont perduré. Au début des années 2000, raconte un ancien de la boîte, "à chaque fois que je soulevais une pierre quelque part, il sortait des billets. Mon prédécesseur, comme un écureuil, avait mis des noisettes partout".
"J'estimais qu'en 2000, les chances de voir la France occupée par une puissance étrangère étaient devenues plus qu'hypothétiques", explique-t-il. "J'ai ramené tout ça à mon directeur administratif. Je ne sais pas ce qu'il en a fait".
Depuis, une loi votée en 2015 donne un cadre précis à ses missions.
Une opacité presque complète
La mise en examen de Bernard Bajolet, ancien patron de la DGSE, a mis en lumière un secret de plus dans l'administration déjà la plus secrète de France. (AFP)
Et les espions du boulevard Mortier à Paris sont soigneusement contrôlés, notamment par la Cour des comptes, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ou encore la délégation parlementaire au renseignement.
Mais le patrimoine privé échappe en revanche à tout contrôle. "Cet objet-là, cette caisse noire doit être fructifiée pour pouvoir reconstruire une partie de l'État, assurer son indépendance", estime Alexandre Papaemmanuel, professeur à l'Institut des études politiques (IEP) à Paris.
"Les services ne travaillent pas seuls. Ils sont au service d'une ambition politique et d'une vision de la menace."
Ces fonds financent les opérations ultra-confidentielles. Comme parfois, selon le même vétéran de la maison, une libération d'otages. En France, "nous ne payons pas les preneurs d'otages mais ces gens-là veulent de l'argent", ironise-t-il. "Donc il faut leur en donner sans que ça se voit, en puisant dans une comptabilité protégée".
De combien parle-t-on ? Probablement un peu plus de 30 millions d'euros pour les fonds spéciaux inscrits au budget (76 M pour l'ensemble de la communauté du renseignement). Mais aucune source n'a avancé à l'AFP une estimation du patrimoine privé.
La France n'est en tout cas pas seule à gérer ce genre de cagnotte. La comptabilité des services est opaque dans beaucoup de démocraties, dont certaines ont aussi eu recours à des formes de fonds privés.
La CIA américaine avait ainsi acheté une société suisse en 1970 avec son homologue allemande (BND), via des sociétés basées dans des paradis fiscaux dans le cadre de l'opération "Thesaurus" ("Rubikon" en allemand).
Crypto AG a vendu pour des millions de dollars de matériel de cryptographie à plus de 120 pays, dont des occidentaux mais aussi l'Iran, les juntes militaires d'Amérique latine, l'Arabie saoudite etc.
"La CIA et le BND ont donc pu lire les telex envoyés via cet outil", explique Christopher Nehring, expert du renseignement à la Fondation Konrad-Adenauer. Les sommes, partagées entre CIA et BND, ont "financé d'autres opérations" échappant à toute supervision.
Avec AFP
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