A la recherche d’une échappatoire depuis le début de la crise économique en octobre 2019, de nombreux Libanais se sont rués vers l’Egypte. Le Caire se voyait déjà en haut de l’affiche ; à l’époque où la capitale égyptienne était la capitale du monde arabe et où les investisseurs étrangers affluaient. Mais le boom égyptien n’aura pas beaucoup duré, juste le temps pour les Libanais de s’y installer et de se voir rattraper par la crise.
Restaurant Mayrig au Caire, ©Mayrig
« Les Libanais sont tellement chanceux que là où ils vont ils apportent la crise avec eux », dit avec un ton rieur, Aline Kamakian, fondatrice des restaurants Mayrig et Batchig. La propriétaire de ces deux restaurants arméniens a ouvert en Égypte en septembre 2022, en plein milieu de la crise financière égyptienne. « C’était prévu depuis août 2019 dans la stratégie d’expansion du groupe puis il y a eu le Covid-19 et l’explosion du 4 août. Le timing ne nous a pas freiné, après tout, nous sommes Libanais ». Même si Aline Kamakian dit avoir appris de la crise libanaise, elle soulève quelques différences. « Ici, nous n’avons pas la possibilité de changer les prix comme nous le souhaitons, il faut aller au ministère du Commerce et faire une demande pour obtenir une autorisation. Puis ce n’est pas un marché dollarisé », rappelle-t-elle. Elle explique que si les prix ne sont pas changés au fur et à mesure que la livre égyptienne fluctue, il devient difficile de trouver et de garantir la qualité des produits. « Le gouvernement limite les importations de sorte que l’argent reste dans le pays. Aujourd’hui, notre plus grand défi est de préserver la qualité de nos plats », insiste-t-elle. Elle ajoute que le personnel compétent se fait rare et que la mentalité égyptienne dans la restauration est très différente de la libanaise. « Il est compliqué d’obtenir un permis de séjour pour faire venir un employé libanais et assurer le même service qu’au Liban », souligne-t-elle. Elle ne compte pas abandonner le marché égyptien pour autant et a appris à s’adapter. « Notre force et notre malédiction à la fois, c'est qu’on s’adapte à tout. Nous sommes des professionnels de la débrouille et du capital intelligent, mais nous ne réglons jamais le problème à la source. Malheureusement, nous avons hérité cela de la guerre : apprendre à vivre au jour le jour », déplore-t-elle.
Restaurant Mayrig au Caire, ©Mayrig
Ayant également subi le début de la crise au Liban, Tayma Jamil, installée au Caire avec son mari depuis plus de trois ans, a tout de suite pris ses précautions. « Nous avons beaucoup appris de la crise libanaise et donc nous ne laissons plus rien à la banque. Nous retirons notre argent au taux officiel pour acheter des dollars même si nous sommes perdants face au taux du marché noir », souligne-t-elle. Tayma a commencé à ressentir fortement les effets de la crise économique sur son quotidien depuis mars 2022. « L’inflation a fait grimper les prix. Nous avons commencé à acheter des produits locaux. Et pour éviter de faire les courses avec une somme d’argent importante, je préfère mettre le strict minimum sur mon compte bancaire pour faire en sorte de le dépenser de suite », raconte-t-elle. Son mari lui a suggéré de rentrer au Liban où il possède également une usine textile avec des partenaires mais Tayma reste prudente. « Ici, il y a l’électricité 24/24 et l’eau, contrairement au Liban où la vie quotidienne reste pénible. », fait-elle remarquer.
Usine textile dans la banlieue du Caire, © Elias Haddad
Les Libanais continuent de s’installer au Caire
Ghada Abdelhak Khalifé, Égyptienne mariée à un Libanais et fondatrice du concept store Mounaya Gallery, a constaté l’afflux des designers libanais au Caire depuis le début de la crise économique libanaise. « Je travaille avec les designers Libanais depuis 2005 et même avec la crise, les Libanais sont restés très professionnels. Ils ont continué à créer, produire et vendre. Ils n’ont jamais baissé les bras, se rappelle Mme Khalifé. Ils proposaient même de laisser les produits en consignation. » Aujourd’hui, les temps ont changé puisque l’Égypte se retrouve à la place du Liban et le commerce entre les deux pays se voit affecté. « Même si la livre égyptienne n’a pas drastiquement chuté comme la livre libanaise et que nous n’avons pas de problème avec la banque centrale et les banques, cela a tout de même eu un impact sérieux sur notre business. », explique Mme Khalifé. Les commerçants égyptiens rencontrent des complications dès qu’ils souhaitent effectuer des transactions étrangères car au sein du pays ils peuvent encore utiliser les cartes de crédit. « À cause du contrôle des capitaux, il devient problématique de payer les designers libanais en dollars. Et en tant qu'Égyptiens, nous perdons forcément de l’argent à cause des variations volatiles du taux de change, déplore-t-elle. Nous essayons d’augmenter les prix, petit à petit, mais nous n’avons pas le droit de vendre dans une autre devise que la livre égyptienne. ». Elle relève tout de même que les Libanais ont eu une influence positive en Égypte dans le secteur de l’hôtellerie. « C’est leur domaine de prédilection, ce sont les meilleurs. Même s’ils font moins de bénéfices aujourd’hui, ils ont fait partager leur savoir-faire et cela a amélioré la qualité des restaurants » En revanche, Mme Khalifé ne comprendra jamais les Libanais sur une chose, comment peuvent-ils s’habituer à la crise. « Je parlais avec un de mes clients qui me disait que finalement tout le monde s’est habitué à la crise au Liban. »
Usine textile dans la banlieue du Caire, © Elias Haddad
Elias Haddad, fondateur de la marque Boshies, compte également faire partie des designers Libanais qui s’installent en Egypte. « Cela fait trois ans qu’on souffre beaucoup en termes d’approvisionnement de tissus et d’hyperinflation. On passe notre temps à courir après la hausse des prix ». En raison de ces deux problèmes, Elias a donc décidé de se lancer au Caire. « Le marché y est très étendu avec 105 millions d’habitants, puis le pays est connu pour ses usines du secteur textile ». Plus soucieux de maintenir la qualité de ses produits que de la crise qui guette le marché financier, Elias n’est pas inquiet. « Certes, la crise ajoute une touche de complexité mais nous sommes en train de suivre ça de près. D’un point de vue administratif, cela va être compliqué, comment va-t-on faire pour payer nos employés ? Au pire, on fera comme au Liban, on installera des coffres-forts dans les bureaux » dit-il en plaisantant. Le départ était prévu pour début 2023, mais il a tout de même préféré le retarder de neuf mois par vigilance. Car même si ces deux crises se ressemblent, elles ne sont pas similaires. « L’inflation n’y est pas aussi dévastatrice qu’au Liban et il y a une aide du FMI. Puis le pays est plus stable politiquement grâce notamment aux nombreux investissements étrangers de ces dernières années, souligne-t-il. Mais le plus important, c’est qu’il y a une réelle volonté de sortir le pays de la crise, pas comme au Liban où l’économie est en chute libre ».
Pour Elias, l’Égypte est la seule alternative car cela prend du temps de s’implanter sur un marché. « Ça sera l’Égypte ou rien. Impossible de rentrer tout de suite sur le marché du Golfe, puis les Egyptiens aiment beaucoup le Liban. » Comme de nombreux entrepreneurs libanais, Elias ne compte pas abandonner son pays d’origine. « Notre base restera le Liban et on continuera à faire des allers-retours en attendant que le pays se redresse ».
Restaurant Mayrig au Caire, ©Mayrig
« Les Libanais sont tellement chanceux que là où ils vont ils apportent la crise avec eux », dit avec un ton rieur, Aline Kamakian, fondatrice des restaurants Mayrig et Batchig. La propriétaire de ces deux restaurants arméniens a ouvert en Égypte en septembre 2022, en plein milieu de la crise financière égyptienne. « C’était prévu depuis août 2019 dans la stratégie d’expansion du groupe puis il y a eu le Covid-19 et l’explosion du 4 août. Le timing ne nous a pas freiné, après tout, nous sommes Libanais ». Même si Aline Kamakian dit avoir appris de la crise libanaise, elle soulève quelques différences. « Ici, nous n’avons pas la possibilité de changer les prix comme nous le souhaitons, il faut aller au ministère du Commerce et faire une demande pour obtenir une autorisation. Puis ce n’est pas un marché dollarisé », rappelle-t-elle. Elle explique que si les prix ne sont pas changés au fur et à mesure que la livre égyptienne fluctue, il devient difficile de trouver et de garantir la qualité des produits. « Le gouvernement limite les importations de sorte que l’argent reste dans le pays. Aujourd’hui, notre plus grand défi est de préserver la qualité de nos plats », insiste-t-elle. Elle ajoute que le personnel compétent se fait rare et que la mentalité égyptienne dans la restauration est très différente de la libanaise. « Il est compliqué d’obtenir un permis de séjour pour faire venir un employé libanais et assurer le même service qu’au Liban », souligne-t-elle. Elle ne compte pas abandonner le marché égyptien pour autant et a appris à s’adapter. « Notre force et notre malédiction à la fois, c'est qu’on s’adapte à tout. Nous sommes des professionnels de la débrouille et du capital intelligent, mais nous ne réglons jamais le problème à la source. Malheureusement, nous avons hérité cela de la guerre : apprendre à vivre au jour le jour », déplore-t-elle.
Restaurant Mayrig au Caire, ©Mayrig
Ayant également subi le début de la crise au Liban, Tayma Jamil, installée au Caire avec son mari depuis plus de trois ans, a tout de suite pris ses précautions. « Nous avons beaucoup appris de la crise libanaise et donc nous ne laissons plus rien à la banque. Nous retirons notre argent au taux officiel pour acheter des dollars même si nous sommes perdants face au taux du marché noir », souligne-t-elle. Tayma a commencé à ressentir fortement les effets de la crise économique sur son quotidien depuis mars 2022. « L’inflation a fait grimper les prix. Nous avons commencé à acheter des produits locaux. Et pour éviter de faire les courses avec une somme d’argent importante, je préfère mettre le strict minimum sur mon compte bancaire pour faire en sorte de le dépenser de suite », raconte-t-elle. Son mari lui a suggéré de rentrer au Liban où il possède également une usine textile avec des partenaires mais Tayma reste prudente. « Ici, il y a l’électricité 24/24 et l’eau, contrairement au Liban où la vie quotidienne reste pénible. », fait-elle remarquer.
Usine textile dans la banlieue du Caire, © Elias Haddad
Les Libanais continuent de s’installer au Caire
Ghada Abdelhak Khalifé, Égyptienne mariée à un Libanais et fondatrice du concept store Mounaya Gallery, a constaté l’afflux des designers libanais au Caire depuis le début de la crise économique libanaise. « Je travaille avec les designers Libanais depuis 2005 et même avec la crise, les Libanais sont restés très professionnels. Ils ont continué à créer, produire et vendre. Ils n’ont jamais baissé les bras, se rappelle Mme Khalifé. Ils proposaient même de laisser les produits en consignation. » Aujourd’hui, les temps ont changé puisque l’Égypte se retrouve à la place du Liban et le commerce entre les deux pays se voit affecté. « Même si la livre égyptienne n’a pas drastiquement chuté comme la livre libanaise et que nous n’avons pas de problème avec la banque centrale et les banques, cela a tout de même eu un impact sérieux sur notre business. », explique Mme Khalifé. Les commerçants égyptiens rencontrent des complications dès qu’ils souhaitent effectuer des transactions étrangères car au sein du pays ils peuvent encore utiliser les cartes de crédit. « À cause du contrôle des capitaux, il devient problématique de payer les designers libanais en dollars. Et en tant qu'Égyptiens, nous perdons forcément de l’argent à cause des variations volatiles du taux de change, déplore-t-elle. Nous essayons d’augmenter les prix, petit à petit, mais nous n’avons pas le droit de vendre dans une autre devise que la livre égyptienne. ». Elle relève tout de même que les Libanais ont eu une influence positive en Égypte dans le secteur de l’hôtellerie. « C’est leur domaine de prédilection, ce sont les meilleurs. Même s’ils font moins de bénéfices aujourd’hui, ils ont fait partager leur savoir-faire et cela a amélioré la qualité des restaurants » En revanche, Mme Khalifé ne comprendra jamais les Libanais sur une chose, comment peuvent-ils s’habituer à la crise. « Je parlais avec un de mes clients qui me disait que finalement tout le monde s’est habitué à la crise au Liban. »
Usine textile dans la banlieue du Caire, © Elias Haddad
Elias Haddad, fondateur de la marque Boshies, compte également faire partie des designers Libanais qui s’installent en Egypte. « Cela fait trois ans qu’on souffre beaucoup en termes d’approvisionnement de tissus et d’hyperinflation. On passe notre temps à courir après la hausse des prix ». En raison de ces deux problèmes, Elias a donc décidé de se lancer au Caire. « Le marché y est très étendu avec 105 millions d’habitants, puis le pays est connu pour ses usines du secteur textile ». Plus soucieux de maintenir la qualité de ses produits que de la crise qui guette le marché financier, Elias n’est pas inquiet. « Certes, la crise ajoute une touche de complexité mais nous sommes en train de suivre ça de près. D’un point de vue administratif, cela va être compliqué, comment va-t-on faire pour payer nos employés ? Au pire, on fera comme au Liban, on installera des coffres-forts dans les bureaux » dit-il en plaisantant. Le départ était prévu pour début 2023, mais il a tout de même préféré le retarder de neuf mois par vigilance. Car même si ces deux crises se ressemblent, elles ne sont pas similaires. « L’inflation n’y est pas aussi dévastatrice qu’au Liban et il y a une aide du FMI. Puis le pays est plus stable politiquement grâce notamment aux nombreux investissements étrangers de ces dernières années, souligne-t-il. Mais le plus important, c’est qu’il y a une réelle volonté de sortir le pays de la crise, pas comme au Liban où l’économie est en chute libre ».
Pour Elias, l’Égypte est la seule alternative car cela prend du temps de s’implanter sur un marché. « Ça sera l’Égypte ou rien. Impossible de rentrer tout de suite sur le marché du Golfe, puis les Egyptiens aiment beaucoup le Liban. » Comme de nombreux entrepreneurs libanais, Elias ne compte pas abandonner son pays d’origine. « Notre base restera le Liban et on continuera à faire des allers-retours en attendant que le pays se redresse ».
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