L’étonnante histoire de Virginie Broquet
Il a fallu que l’illustratrice et scénariste de bandes dessinées niçoise, Virginie Broquet, vienne au Liban en juin 2019 dans l’intention de dessiner la Résidence des Pins, pour que son histoire familiale prenne un tournant fabuleux. C’est comme si le destin la guettait pour lui révéler que le tableau de son aïeul, peintre aux armées, qui avait en 1919 peint Notre-Dame de Paris sous la neige, se trouvait accroché au mur de la Résidence des Pins à Beyrouth. Entretien avec Virginie Broquet.

Dessin de Nice

Elle croque la vie à pleines dents, mais surtout d’un vif trait noir sur les pages de son carnet dès qu’un objet ou un visage l’interpelle. Virginie Broquet est curieuse de tout, des choses, des gens, des nombreux pays qu’elle a parcourus, du Viêtnam à New Delhi, de Saint- Louis, du Sénégal à Beyrouth. Diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg en 1992, elle obtient en 1993 le prix Alph Art du festival de B.D d’Angoulême. Polyvalente, elle se lance dans le travail en réalisant des illustrations pour l’édition, la bande dessinée, la presse, la publicité et la mode, mais aussi pour le Negresco et la Société des Bains de Mer (SBM) à Monaco.



Quand on l’interroge sur ses divers carnets de voyages publiés au fil des années, elle a un rire dans la voix qui trahit son engouement et son âme d’enfant éprise d’aventures, s’amusant de tout: «J’aime dessiner la vie, le mouvement. L’idée des carnets de voyages m’est venue quand, en 1994, je suis allée dans un village du Viêtnam et que je me suis mise à dessiner les gens que je rencontrais. En 2003, je dessinais une maison coloniale à Dakar quand on m’a dit que Richard Bohringer voulait l’acheter. Je l’ai noté sur mon croquis. Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré à l’aéroport. Je lui ai montré les croquis et laissé ma carte. Puis un jour, il m’appelle et me propose de faire ensemble un carnet du Sénégal qui paraît en 2007.»

Dessin de Nice

Et qu’en est-il de ses carnets des ambassades de France? «Je me suis lancée dans une quête de la présence française à l’étranger après avoir croqué la résidence de France à Hô Chi Minh-ville.» Cette quête, il est vrai, est en quelque sorte personnelle puisque son grand-père maternel était diplomate à l’ambassade de France au Caire et que les photos de sa mère dans ce milieu ont alimenté son imagination. «La diplomatie, le voyage étaient dans mon esprit», dit-elle. Vingt-cinq ans déjà que Virginie dessine les ambassades, résidences et consulats de France dans le monde, lieux de mémoire dont la richesse historique et artistique nous est transmise à travers l’œil de l’artiste. «Comme mes carnets de voyages étaient publiés, j’étais invitée aux salons du livre à l’étranger, organisés par l’ambassade de France, que je dessinais une fois sur place.» Et ses carnets de voyages lui inspirent ensuite de grandes toiles peintes en techniques mixtes qu’elle expose en France et à l’étranger.

Tableau de Léon Esperance Broquet


En 2018, elle expose ses illustrations à la Maison de France à Monaco, en collaboration avec l’ambassadrice de France qui la décore chevalier des Arts et des Lettres.  Son cheminement artistique, fait aussi de rencontres fortuites, la mène au Liban: « Un Libanais, Michel Tarazi, qui vit entre Monaco et Beyrouth, m’avait laissé sa carte. Quand nous nous sommes revus, il m’a parlé de la Résidence des Pins à Beyrouth, que son grand-père ébéniste avait décorée de boiseries, et m’a vivement conseillé de m’y rendre. Des amis m’avaient aussi parlé de cette résidence mythique. J’ai alors décidé de clôturer mon ouvrage sur les ambassades par Beyrouth en m’y rendant en juin 2019.»

D’une voix émue, Virginie raconte son arrivée à la Résidence des Pins, un événement qui, dans sa vie personnelle, a pris une dimension symbolique et qu’elle appelle désormais «la belle rencontre de mon aïeul.» Un léger silence pour marquer ce moment étourdissant avant de poursuivre: «Quand je suis arrivée au salon de la Résidence, j’ai sorti mon carnet et commencé à dessiner. Soudain, mon regard tombe sur un tableau accroché au mur. Je me suis approchée pour lire le nom du peintre. Il était signé de mon aïeul Léon Espérance Broquet et daté de 1919. C’était un paysage enneigé de Notre-Dame de Paris. Il avait cent ans. J’ai été prise d’émotions et de sanglots interminables dans ce salon où l’ancien ambassadeur Bruno Foucher a aussi appris mon histoire.» L’artiste nous apprend alors que son aïeul, élève de Monet, s’est engagé en 14-18 dans l’armée française pour dessiner la guerre et que ses œuvres se trouvent au Musée des Invalides. «Quand nous nous sommes revus avec la famille Tarazi, nous avons décidé de raconter l’histoire de nos deux aïeux en proposant à la Maison de France de faire une exposition sur trois niveaux», dit-elle.

La Résidence des Pins.

En octobre 2020, son merveilleux ouvrage Sur la route des ambassades de France paraît aux éditions de la Martinière Arts. Il faut attendre la fin des confinements liés au Covid pour qu’en octobre 2021, l’exposition intitulée «Aux portes de l’Orient» voie le jour à la Maison de France à Monaco. Une exposition dédiée à l’histoire fabuleuse de la Maison Tarazi, établie en 1862, racontée dans un magnifique ouvrage, Vitrine de l’Orient, et illustrée par ses boiseries, meubles, antiquités, archives familiales et cartes postales. Mais aussi une exposition dédiée aux créations artistiques de Virginie Broquet, poupées et croquis du Liban, dont celui de la monumentale porte en bois sculpté par la Maison Tarazi de la Résidence des Pins. «C’était la rencontre de nos aïeux», ajoute-t-elle dans un sourire.

La Résidence des Pins.

L’artiste jongle aisément avec ses innombrables projets. Elle se prépare déjà à partir en résidence d’artiste à Abidjan avant d’aller à Angoulême, au festival de la B.D, pour la signature de Rolling Riviera en collaboration avec MK Deville. Cette bande dessinée, parue en janvier 2022, est l’histoire loufoque de Mick Jagger déambulant dans les couloirs du Negresco. Puis, de retour à Nice, avec le même scénariste, elle travaillera sur le projet d’une bande dessinée avec pour personnage Winston Churchill dans les établissements de la SBM. Elle réalise également les affiches de l’exposition sur la thématique de D’Artagnan au château de Vincennes, prévue l’été prochain, et prépare une exposition pour décembre 2023, au Musée de la Toile de Jouy, sur la thématique de Noël et de la crèche en toile de Jouy, en collaboration avec Timorous Beasties. Elle conclut avec ardeur: «J’adore mon travail. Ce qu’il y a d’extraordinaire, ce sont les rencontres humaines et les aventures inattendues.»  

Exposition à la Maison de France
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