Un récit princier tout en émotions
C’est la bombe littéraire de la semaine, voire du début de l’année 2023.

Avec un démarrage fulgurant (1,4 millions d’exemplaires vendus le premier jour, le 10 janvier), le prestigieux Penguin Random House n’aura jamais connu de précédent de cette envergure. Même engouement en France où les mémoires du Prince Harry deux jours plus tard affichent de nouveaux tirages chez Fayard. Publié en 15 autres langues, sous tous les formats et toutes les formes (numérique, audio), Le Suppléant tape fort. Probablement parce que Harry, le prince qui ne sera jamais roi, mais juste un «remplaçant», y raconte sa vie sans fard et surtout sans filtre.

En parcourant le long récit (540 pages) du Duc de Sussex qui a été poussé à quitter son pays, son rang et la royauté, pour enfin avoir la paix avec la femme de sa vie, on se rappelle qu’il s’agit d’un prince qui a toujours suscité par son côté anticonformiste la curiosité mais aussi la tyrannie des tabloïds qui l’ont justement poussé à écrire «sa» vérité. Celle d’un petit garçon de 12 ans qui a perdu sa maman et qui ne s’en est jamais remis.

Rédigé avec sincérité et simplicité, Spare raconte à travers le prisme du cadet de Lady Di le vécu de Harry le Rouquin que certains journalistes à la recherche du scoop avaient même «étiqueté» être le fils d’un amant de Diana.

Un récit princier, mais tout en émotions, nullement historique, mais bourré de descriptions dignes des plus belles pages sur l’Histoire de la famille royale. Harry pioche dans ses nombreux souvenirs, patiemment reconstitués, pour nous raconter, de l’intérieur, le quotidien des Windsor, tant convoité par les revues People. Il nous introduit de plein fouet là où les paparazzi risquent leur vie pour jeter un coup d’œil. Des détails croustillants sur l’éducation au palais de Buckingham (personne ne peut faire une accolade à la reine), la mentalité qui y régnait («la devise familiale: ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer»), leurs loisirs (notamment la chasse), leurs valeurs (il a dû demander la permission à la reine de garder sa barbe pour son mariage), leur façon de communiquer: «Toutes ces gesticulations éplorées à mon sujet (arrivé à 30 ans, il se considérait comme un célibataire invétéré) en disaient long sur autre chose que les simples cancans. Elles renvoyaient au fonctionnement de la monarchie dans son ensemble, laquelle était fondée sur le mariage», et même des anecdotes sur sa grand-mère, la reine Elizabeth II (avec qui il s’entendait très bien): «Si tout ça la laisse de marbre, alors sa réputation d’imperturbable sérénité est bel et bien méritée, auquel cas, me disais-je encore, peut-être que je suis un enfant trouvé? Parce que, pour ma part, j’avais les nerfs à fleur de peau» (notamment quand un journaliste lui demande s’il avait consommé de la cocaïne – ce qu’il avoue très franchement).

Avec clarté, bonhomie et souvent avec humour, il détaille les années au collège, son expérience dans l’armée, sa passion pour la nature, son séjour dans une ferme en Australie, au Lesotho en Afrique, ses amours de jeunesse, son engagement caritatif… Il dévoile surtout ses envies de tout plaquer pour enfin vivre: «Une partie de moi avait envie de tout envoyer balader, disparaître – comme maman» (en réaction au refus du prince Charles d’accepter qu’il fasse une carrière comme moniteur de ski).

Avec humilité et transparence, il relate ses faiblesses et ses peurs, ses attaques de panique et son long combat contre l’anxiété. Il relève ses disputes avec William, «l’héritier» (et non pas le «remplaçant»), ce «frère bien-aimé et meilleur ennemi». Altercations reprises par les médias qui n’ont pas manqué (encore une fois), de les mettre en exergue à la sortie du livre, les qualifiant de règlement de comptes… Tout en occultant le discours mesuré de l’auteur.


Alors que certains verraient dans cette longue confession des révélations explosives, d’autres y liraient une merveilleuse histoire d’amour.

La troisième et dernière partie du livre, intitulée «Capitaine de mon âme», aborde sur une centaine de page sa relation avec celle qui sera sa femme, Meghan Merkel, pour qui il a eu le coup de foudre: «[…] son visage angélique et lumineux. Je n’avais jamais eu d’opinion bien arrêtée sur cette question pourtant cruciale: n’y a-t-il sur cette terre qu’une seule personne pour chacun de nous? Mais à cet instant, j’ai eu le sentiment qu’il n’y avait peut-être qu’un seul visage pour moi.» N’omettant aucun détail et suivant un ordre chronologique des événements, il reprend sa lutte incessante pour vivre le grand amour qu’il partage avec la jolie actrice américaine, divorcée mais qui a aussitôt suscité beaucoup de haine dans la société et auprès des tabloïds britanniques qui ont fait leurs choux gras de ce beau conte de fée.

Méchancetés, mensonges, «les megologues qui en savaient plus sur Meghan que quiconque au monde à part elle-même» se sont déchaînés sur le couple, leur menant une chasse en bonne et due forme et qui a eu finalement gain de cause. Le flot continu de calomnies et le silence de la famille royale qui n’a jamais entrepris sérieusement une action pour les faire cesser ou du moins les dénier, ce qu’il nomme «la déshumanisation de la condition de prince», est le point d’orgue du livre qui a, par ailleurs, justifié la publication de cette autobiographie intime, très attachante (au-delà des vérités ou contre-vérités qu’on pourrait s’arrêter à prouver ou récuser).

Gisèle Kayata Eid

Le Suppléant du prince Harry, Fayard, 2023.

Cet article a été originalement publié dans l'Agenda culturel.
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