Pékin élimine le dernier symbole des libertés à Hong Kong





Le "Pilier de la honte", une statue rendant hommage aux victimes de la répression de Tiananmen, a été retirée de l'Université de Hong Kong (HKU) jeudi après 24 ans de présence sur les lieux, supprimant un symbole des libertés dont jouissait la ville avant 2020.

"La décision concernant la vieille statue a été prise sur la base d'un avis juridique externe et d'une évaluation des risques pour le meilleur intérêt de l'Université", a déclaré la HKU dans un communiqué, alors que les groupes et les lieux commémorant la répression du 4 juin 1989 à Pékin sont devenues la cible de la draconienne loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin.

Hong Kong a longtemps été le seul endroit en Chine où la commémoration des événements de Tiananmen était tolérée. Chaque année, les étudiants de la HKU nettoyaient la statue installée sur leur campus en 1997 pour honorer les victimes de ces événements.

Mais Pékin a imprimé sa marque autoritaire sur l'ex-colonie britannique après les grandes et parfois violentes manifestations de 2019, en imposant une loi sur la sécurité nationale qui a criminalisé pratiquement toute forme de dissidence.

En octobre, les responsables de la HKU avaient ordonné le retrait de la sculpture de huit mètres de haut représentant un enchevêtrement de 50 corps déformés par la douleur, en évoquant déjà des risques juridiques, sans préciser lesquels.

Le "Pilier de la honte", de huit mètres de haut, a été mis à l'abri des regards mercredi derrière des bâches et des barrières avant d'être déboulonné jeudi matin pour être entreposée ailleurs, selon l'université.

Dans son communiqué, l'institution assure que personne n'avait obtenu l'autorisation formelle d'exposer cette statue et cite une ordonnance datant de l'époque coloniale pour justifier son retrait.

Cette loi inclut le crime de sédition et a été récemment de plus en plus utilisée par les autorités -parallèlement à la nouvelle loi sur la sécurité nationale- pour réprimer la dissidence.

Alors que des ouvriers s'affairaient autour de la statue dans la nuit, l'auteur de l'oeuvre, le Danois Jens Galschiot, interrogé par l'AFP, a trouvé "étrange" et "choquant" que l'université s'en prenne à la sculpture, qui, selon lui, reste une propriété privée.

"Cette sculpture coûte vraiment cher. Donc s'ils la détruisent, alors bien sûr, on va les poursuivre", a-t-il ajouté, "ce n'est pas juste".


M. Galschiot dit avoir tenté de contacter l'université avec l'aide d'avocats et avoir offert de reprendre son oeuvre. Il assure aussi que les responsables de HKU ne l'ont jamais prévenu du démantèlement.

Le retrait de la statue a été décrié par des militants pro-démocratie exilés, toujours très suivis par leurs nombreux abonnés sur les réseaux sociaux.

Nathan Law, un ancien élu pro-démocratie réfugié au Royaume-Uni, a assuré que la statue continuerait à vivre dans la mémoire des gens. "Le #PillarOfShame a été retiré, mais la mémoire survit. Nous devons nous souvenir de ce qui s'est passé le 4 juin 1989", a-t-il tweeté.

"Honte à l'Université de Hong Kong qui détruit l'histoire et la mémoire collective du massacre de la place Tiananmen. Vous devriez être condamnés au pilier de la honte", a écrit Brian Leung, militant pro-démocratie exilé aux Etats-Unis.

Wang Dan, l'un des anciens dirigeants étudiants de Tiananmen vivant aujourd'hui aux Etats-Unis, s'est aussi indigné du déboulonnage, décrivant sur Facebook "un acte méprisable pour tenter d'affacer ce chapitre de l'Histoire maculé de sang".

Depuis la mainmise de Pékin, les voix dissidentes se sont peu à peu éteintes sur les campus de Hong Kong, autrefois des oasis de liberté non-soumis à la censure qui imprègne les facultés de Chine continentale. Les manifestations ont été interdites, de nombreux syndicats étudiants mis sur liste noire et de nouveaux cours sur la "sécurité nationale" instaurés.

Pendant 30 ans, une veillée aux chandelles a été organisée à Hong Kong pour l'anniversaire de Tiananmen, rassemblant des dizaines de milliers de personnes. Avec ses slogans pour la démocratie, ce rendez-vous était un symbole de la liberté d'expression dont jouissait l'ancienne colonie britannique.

Les autorités ont interdit les deux dernières veillées, citant comme motifs la pandémie et des questions de sécurité. Les principaux organisateurs ont été arrêtés pour subversion, et un musée sur le 4 juin 1989 a été fermé.

La reprise en main de la ville s'est aussi traduite par une réforme électorale menant à un scrutin, dimanche dernier, réservé à des candidats "patriotes" acquis au régime de Pékin pour le Conseil législatif local.




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