En Inde, l'étrange culte voué à l'assassin de Ghandi
En 1948, Nathuram Godse est pendu en Inde pour avoir tué, un an plus tôt, Mahatma Gandhi, père de l'indépendance de l'Inde. Alors considéré comme un assassin, Godse a vu son image évoluer au fil des décennies. Depuis l'arrivée au pouvoir du parti nationaliste hindou, Parti Bharatiya Janata (BJP) en 2014, Godse est considéré par certains comme un patriote. Dans la ville de Meerut, un temple a, par exemple, été érigé en son hommage.

En Inde, le fondamentaliste hindou Ashok Sharma a consacré sa vie à honorer la mémoire de Nathuram Godse, le "patriote" qui a assassiné Mahatma Gandhi, père de l'indépendance du pays.

Dans la ville animée de Meerut, à quelques heures de route de New Delhi, un temple précieusement gardé par Ashok Sharma a été érigé en hommage à Nathuram Godse, qui le 30 janvier 1948 a tiré trois coups de feu sur le Mahatma, un apôtre de la non-violence et du multiculturalisme.

Pendant des décennies, ce jeune fanatique religieux - pendu un an après avoir commis le meurtre - était vu comme l'ennemi juré du long combat de l'Inde pour s'émanciper du joug colonial britannique, dont Mahatma est le symbole.

Mais depuis la victoire en 2014 du parti nationaliste hindou Parti Bharatiya Janata (BJP) et l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi, une tout autre version de l'histoire a été écrite.

Ashok Sharma garde jalousement son temple dédié à Nathuram Godse, l'assassin de Ghandi (AFP)

"J'étais ostracisé par tout le monde, y compris ma famille et mes amis (...) Mais aujourd'hui, je force le respect en étant le disciple de Godse", affirme-t-il à l'AFP, depuis le mémorial bâti, un an après la victoire de M. Modi, dans la ville animée de Meerut.

"Il y a un vent de changement dans le pays et les gens ont compris que Godse était le vrai patriote et Gandhi un traître", estime Ashok Sharma. Il a effectué de brefs séjours en prison après avoir vainement tenté, à plusieurs reprises, d'ériger un temple à l'effigie de l'assassin.

L'inauguration du sanctuaire en 2015 n'était pas passée inaperçue dans la presse, qui avait unanimement exprimé son indignation. De même en 2019, quand une reconstitution du meurtre de Gandhi à l'aide de faux sang s'était tenue le jour d'anniversaire de la pendaison de Godse.

Aujourd'hui, ce sanctuaire d'apparence ordinaire, accueille entre ses murs de petits bustes en céramique de M. Godse et de son principal complice. Il attire chaque jour une foule de visiteurs, qui s'y rendent parfois par curiosité, mais le plus souvent pour lui rendre hommage.

Ashok Sharma prie quotidiennement devant l'idole de Godse, sur fond de sermons religieux qui accusent Gandhi d'avoir trahi la nation, malgré son rôle déterminant dans la mobilisation des foules qui ont mené l'Inde vers l'indépendance.

Pour l'auteur indien Tushar Gandhi, également arrière-petit-fils de Mahatma Gandhi, la montée du nationalisme en Inde ces dernières années explique ce nouveau culte pour Nathuram Godse (AFP)

En clair, lui et les disciples de Godse reprochent à Gandhi d'avoir été complice de la partition de la colonie britannique en deux nations distinctes, une Inde laïque et un Pakistan musulman, empêchant ainsi l'Inde d'être régie par les textes sacrés hindous.


"C'est à cause de Gandhi et de son idéologie que l'Inde a été divisée et que les hindous ont dû s'incliner devant les musulmans et les étrangers", fustige Abhishek Agarwal, membre de l'organisation nationaliste et radicale hindoue, la Hindu Mahasabha, dont Ashok Sharma fait également partie.

Selon M. Agarwal, Godse a été dénigré par l'administration politique laïque indienne après l'indépendance, dans le cadre d'une conspiration visant à supprimer les croyances hindoues et à imposer la démocratie. Un concept étranger à la tradition historique locale, estime-t-il.

"Mais maintenant, Gandhi est exposé et la parole de Godse se répand partout. Les dirigeants laïques ne peuvent pas arrêter cette tempête et il y aura un moment où le nom de Gandhi sera effacé de la terre pieuse", veut-il croire.

Nathuram Godse est né dans un petit village indien en 1910. Très jeune, ce fils d'un postier rejoint Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Corps des volontaires nationaux), un mouvement ultranationaliste hindou aux méthodes paramilitaires, dont a été membre M. Modi.

Il avait 37 ans lorsqu'il a abattu Gandhi à bout portant alors que ce dernier sortait d'une prière multiconfessionnelle à New Delhi.

À l'époque, les autorités ont brièvement interdit le RSS avant de faire marche arrière peu de temps après. Cette organisation, proche idéologiquement du BJP, demeure très influente.

Le Premier ministre indien Narendra Modi (AFP)

L'actuel Premier ministre a régulièrement rendu hommage à Gandhi, mais il s'est toujours abstenu de soutenir les militants nationalistes qui tentent de réhabiliter la mémoire de Godse, au plus grand regret d'Ashok Sharma.

Pour autant, M. Modi n'a jamais explicitement dénoncé Godse, ni son idéologie. Son gouvernement a par ailleurs défendu le travail de Vinayak Damodar Savarkar, un important idéologue hindou qui a été le mentor de Godse, jugé à ses côtés en tant que coconspirateur de l'assassinat, avant d'être acquitté.

L'éloignement de M. Modi des valeurs laïques de ses prédécesseurs est observé avec désarroi par l'arrière-petit-fils de Gandhi, l'écrivain Tushar Gandhi.

La vénération de Godse est le résultat direct d'une idéologie épousée par le gouvernement de M. Modi, estime-t-il, laquelle risque de semer les "graines de notre destruction". "Ce n'est pas du nationalisme, c'est du fanatisme. Notre haine va nous dévorer", prévient-il.

Avec AFP
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