Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies devrait étudier une pétition, signée et transmise en juin dernier par les différents blocs parlementaires de l’opposition, en vue d'une internationalisation de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth. Se trouvant dans une impasse, l'enquête libanaise est vouée à l’échec, à la lumière des dernières péripéties. Depuis la reprise en main du dossier par le juge Tarek Bitar, chargé d’instruire l’enquête sur la déflagration du 4 août 2020, les tensions politico-judiciaires s’exacerbent.
Pour résumer la situation, le magistrat Bitar a décidé lundi, après 13 mois de tergiversation, de relancer ses investigations. Durant cette période, l’enquête avait été suspendue en raison des 34 recours présentés contre lui par d’anciens ministres et députés, mis en cause dans le cadre de cette affaire. Il a également ordonné la libération de 5 des 17 détenus et engagé des poursuites judiciaires contre huit officiels, dont notamment les directeurs de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et de la Sécurité de l’État, Tony Saliba.
Alors qu’il s’était volontairement récusé du dossier au vu de son lien de parenté avec le député Ghazi Zeaïter, poursuivi par le juge Bitar dans le cadre de l’enquête, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a décidé, lui aussi, de reprendre ses pouvoirs en la matière, considérant la démarche du juge Bitar comme illégale et ses décisions caduques. Il a, par conséquent, remis en liberté l’ensemble des 17 détenus et déféré M. Bitar, pour «rébellion contre la justice» et «usurpation de pouvoir», devant l’Inspection judiciaire, chargée de se prononcer sur la responsabilité disciplinaire des magistrats.
En réaction à cet imbroglio judiciaire, des centaines de manifestants se sont mobilisés jeudi devant le Palais de Justice pour réitérer leur soutien au juge Tarek Bitar. Une protestation qui a dégénéré en altercations et a abouti au report de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), lui-même divisé et qui devait se tenir le jour-même pour débattre des tiraillements et divergences au sein de l’appareil judiciaire.
Mission d’établissement des faits ou enquête internationale?
Les avis juridiques sont partagés quant à une internationalisation de l’enquête. Ceux favorables aux investigations nationales avancent deux arguments : celui de la nécessité de faire confiance à la justice libanaise (une thèse qui ne vaut plus aujourd’hui), et celui du silence des puissances étrangères face aux sollicitations du juge d’instruction, Tarek Bitar, pour une coopération internationale. «Lorsque les pays auxquels M. Bitar a réclamé des documents, des images satellites et des rapports ont ignoré ses requêtes, comment voulez-vous qu’une enquête internationale puisse aboutir», s’insurge-t-on dans les milieux judiciaires.
À ces appréhensions, les auteurs de la pétition ont trouvé convenable de procéder par étapes: demander la création d’une mission d’établissement des faits, avant de passer à l’enquête internationale. «À la suite des conflits qui opposent les juges Bitar et Oueidate, de la paralysie totale du CSM et de la négligence du ministre de la Justice, nous avons considéré qu'il est devenu vital de nous adresser au Conseil des Droits de l’Homme à Genève», affirme le député Georges Okaiss, membre du bloc des Forces libanaises. «Une démarche qui ne nécessite pas de requête officielle émanant du gouvernement libanais. N’importe quelle victime de l’explosion, n'importe quelle organisation non gouvernementale et n’importe quel parlementaire peut le faire», explique-t-il.
Mandatées par les Nations unies, les missions d’établissement de faits «sont de plus en plus utilisées pour répondre aux situations de graves violations du droit humanitaire international et du droit international relatif aux droits de l’homme», peut-on lire dans la définition que leur donne le Conseil des droits de l’homme. «Elles ont pour objet de promouvoir l’obligation de rendre des comptes pour ces violations et de lutter contre l’impunité», d’après le document. En d’autres termes, son rôle consisterait à «soutenir les investigations locales et non à dessaisir le juge d’instruction en charge du dossier, dans notre cas de figure, M. Bitar», avance M. Okaiss. À l’issue des investigations qu’elle mène aux côtés du magistrat libanais chargé de l’enquête, elle établit un rapport avec des recommandations qu’elle met à la disposition de la justice libanaise. Dans ce contexte, toutes les personnes mises en accusation ou convoquées par la justice libanaise sont obligées de comparaître devant le tribunal. Ceci permettrait au juge Bitar de soumettre facilement et sans entraves son acte d’accusation à la Cour de justice.
«Nous ne cherchons pas à procéder directement à une internationalisation de l’enquête, puisque cela impliquerait une mise à l'écart du juge Bitar, chose que l’on ne souhaite pas. Ce dernier a longtemps travaillé sur le dossier, collecté les preuves et il est sur le point de soumettre son acte d’accusation à la Cour de Justice», insiste le député FL. Et de déclarer que dans les prochains jours, «une délégation composée de membres des différents blocs de l’opposition pourrait se rendre à Genève pour plaider en faveur de cette requête qui devrait figurer à l’ordre du jour de l’assemblée générale du Conseil des Nations Unies prévue pour le 23 mars».
Pour que la requête fasse partie des multiples points à l’ordre du jour de la réunion du Conseil, il suffit qu’un des 47 États membres du Conseil des droits de l’homme présente une résolution dans ce sens. Pour qu’il soit procédé à la création d’une mission d’établissement des faits, un vote à la majorité simple est requis.
La procédure est la même pour l’enquête internationale. Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental relevant des Nations unies qui peut déclencher des missions d’enquêtes internationales, à la demande d’un État ou d’un groupe d’États. Une fois cette demande établie, les 47 membres du Conseil des droits de l’Homme procèdent à un vote pour ou contre la résolution proposée. Une fois la majorité obtenue, la résolution est adoptée et la mission d’enquête internationale lancée, même si l’État concerné par la demande, en l’occurrence, le Liban, s’y oppose, et ce, en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations unies.
Rappelons qu’au lendemain de la déflagration, le président de la République libanaise, Michel Aoun, avait exprimé son opposition à une enquête internationale. Il avait considéré que «le but recherché à travers cette demande était de dissimuler la vérité», estimant que «la justice tardive n’est pas une justice équitable et que celle-ci doit être immédiate, mais obtenue sans précipitation».
Ce procédé, la communauté internationale a longtemps cherché à l’éviter, sous prétexte d’attendre le feu vert de la France. Elle insistait sur la nécessité que cette initiative soit prise par la France en raison de ses relations d’amitié historique avec le Liban. Or pour des raisons suspicieuses, la France n’a pas eu l’intention d’enclencher un tel mécanisme. Serait-elle de connivence avec la classe politique libanaise pour enterrer la vérité sur l’explosion au port de Beyrouth?
Pour résumer la situation, le magistrat Bitar a décidé lundi, après 13 mois de tergiversation, de relancer ses investigations. Durant cette période, l’enquête avait été suspendue en raison des 34 recours présentés contre lui par d’anciens ministres et députés, mis en cause dans le cadre de cette affaire. Il a également ordonné la libération de 5 des 17 détenus et engagé des poursuites judiciaires contre huit officiels, dont notamment les directeurs de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et de la Sécurité de l’État, Tony Saliba.
Alors qu’il s’était volontairement récusé du dossier au vu de son lien de parenté avec le député Ghazi Zeaïter, poursuivi par le juge Bitar dans le cadre de l’enquête, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a décidé, lui aussi, de reprendre ses pouvoirs en la matière, considérant la démarche du juge Bitar comme illégale et ses décisions caduques. Il a, par conséquent, remis en liberté l’ensemble des 17 détenus et déféré M. Bitar, pour «rébellion contre la justice» et «usurpation de pouvoir», devant l’Inspection judiciaire, chargée de se prononcer sur la responsabilité disciplinaire des magistrats.
En réaction à cet imbroglio judiciaire, des centaines de manifestants se sont mobilisés jeudi devant le Palais de Justice pour réitérer leur soutien au juge Tarek Bitar. Une protestation qui a dégénéré en altercations et a abouti au report de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), lui-même divisé et qui devait se tenir le jour-même pour débattre des tiraillements et divergences au sein de l’appareil judiciaire.
Mission d’établissement des faits ou enquête internationale?
Les avis juridiques sont partagés quant à une internationalisation de l’enquête. Ceux favorables aux investigations nationales avancent deux arguments : celui de la nécessité de faire confiance à la justice libanaise (une thèse qui ne vaut plus aujourd’hui), et celui du silence des puissances étrangères face aux sollicitations du juge d’instruction, Tarek Bitar, pour une coopération internationale. «Lorsque les pays auxquels M. Bitar a réclamé des documents, des images satellites et des rapports ont ignoré ses requêtes, comment voulez-vous qu’une enquête internationale puisse aboutir», s’insurge-t-on dans les milieux judiciaires.
À ces appréhensions, les auteurs de la pétition ont trouvé convenable de procéder par étapes: demander la création d’une mission d’établissement des faits, avant de passer à l’enquête internationale. «À la suite des conflits qui opposent les juges Bitar et Oueidate, de la paralysie totale du CSM et de la négligence du ministre de la Justice, nous avons considéré qu'il est devenu vital de nous adresser au Conseil des Droits de l’Homme à Genève», affirme le député Georges Okaiss, membre du bloc des Forces libanaises. «Une démarche qui ne nécessite pas de requête officielle émanant du gouvernement libanais. N’importe quelle victime de l’explosion, n'importe quelle organisation non gouvernementale et n’importe quel parlementaire peut le faire», explique-t-il.
Mandatées par les Nations unies, les missions d’établissement de faits «sont de plus en plus utilisées pour répondre aux situations de graves violations du droit humanitaire international et du droit international relatif aux droits de l’homme», peut-on lire dans la définition que leur donne le Conseil des droits de l’homme. «Elles ont pour objet de promouvoir l’obligation de rendre des comptes pour ces violations et de lutter contre l’impunité», d’après le document. En d’autres termes, son rôle consisterait à «soutenir les investigations locales et non à dessaisir le juge d’instruction en charge du dossier, dans notre cas de figure, M. Bitar», avance M. Okaiss. À l’issue des investigations qu’elle mène aux côtés du magistrat libanais chargé de l’enquête, elle établit un rapport avec des recommandations qu’elle met à la disposition de la justice libanaise. Dans ce contexte, toutes les personnes mises en accusation ou convoquées par la justice libanaise sont obligées de comparaître devant le tribunal. Ceci permettrait au juge Bitar de soumettre facilement et sans entraves son acte d’accusation à la Cour de justice.
«Nous ne cherchons pas à procéder directement à une internationalisation de l’enquête, puisque cela impliquerait une mise à l'écart du juge Bitar, chose que l’on ne souhaite pas. Ce dernier a longtemps travaillé sur le dossier, collecté les preuves et il est sur le point de soumettre son acte d’accusation à la Cour de Justice», insiste le député FL. Et de déclarer que dans les prochains jours, «une délégation composée de membres des différents blocs de l’opposition pourrait se rendre à Genève pour plaider en faveur de cette requête qui devrait figurer à l’ordre du jour de l’assemblée générale du Conseil des Nations Unies prévue pour le 23 mars».
Pour que la requête fasse partie des multiples points à l’ordre du jour de la réunion du Conseil, il suffit qu’un des 47 États membres du Conseil des droits de l’homme présente une résolution dans ce sens. Pour qu’il soit procédé à la création d’une mission d’établissement des faits, un vote à la majorité simple est requis.
La procédure est la même pour l’enquête internationale. Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental relevant des Nations unies qui peut déclencher des missions d’enquêtes internationales, à la demande d’un État ou d’un groupe d’États. Une fois cette demande établie, les 47 membres du Conseil des droits de l’Homme procèdent à un vote pour ou contre la résolution proposée. Une fois la majorité obtenue, la résolution est adoptée et la mission d’enquête internationale lancée, même si l’État concerné par la demande, en l’occurrence, le Liban, s’y oppose, et ce, en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations unies.
Rappelons qu’au lendemain de la déflagration, le président de la République libanaise, Michel Aoun, avait exprimé son opposition à une enquête internationale. Il avait considéré que «le but recherché à travers cette demande était de dissimuler la vérité», estimant que «la justice tardive n’est pas une justice équitable et que celle-ci doit être immédiate, mais obtenue sans précipitation».
Ce procédé, la communauté internationale a longtemps cherché à l’éviter, sous prétexte d’attendre le feu vert de la France. Elle insistait sur la nécessité que cette initiative soit prise par la France en raison de ses relations d’amitié historique avec le Liban. Or pour des raisons suspicieuses, la France n’a pas eu l’intention d’enclencher un tel mécanisme. Serait-elle de connivence avec la classe politique libanaise pour enterrer la vérité sur l’explosion au port de Beyrouth?
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