La la langue
Sur le quai des retrouvailles, je te reconnaîtrai, à ton visage triste et dépaysé surgissant des poussières après tant de guerres. À ton accordéon brûlé qui me faisait danser, à ta voix venant de l’Ouest qui comme on dit je t’aime, murmurera « pardon »;

Nous nous reconnaîtrons, mon amour toi et moi, à nos mots fragiles écrits sur les murs de notre ville, dans nos cahiers jaunis, sur notre peau d’argile, dans cette langue infaillible qui est par adoption nôtre et que nous défendions, comme deux fidèles apôtres ;

Tu me tendras des fleurs de frangipanier que j’ajouterai en tremblant, à mon petit panier et je te tendrai ma plume par mes larmes mouillée, chatouillant ta mémoire et te faisant tournoyer comme une feuille d’automne de mon printemps, exilée ;

Viens, je chuchoterai. En ton absence, j’ai reçu le prix Nobel de la plaie qu’il faut donc célébrer. Viens, faisons la paix comme nous faisions l’amour, se couvrant d’un drap d’alphabet et se découvrant poètes à la tombée du jour, à la montée de l’amour ;

Comme un mot motivé, tu t’approcheras de moi. Incapable de me toucher, tu diras n’importe quoi et moi, lourde de bagages, je fermerai les yeux pour ne pas m’attacher à ton ombre éphémère, puis te perdre encore une fois, dans les vagues de la mer ;

Tous les mots se sont prostitués au service de l’amour, dans cette langue vieille qui est ta seule maîtresse fixe, pour finir blessés, quand assis sur un banc, tu les as fait tomber aux pieds d’autres amantes et que les oiseaux affamés et insouciants sont venus picorer ;


Je ne les revendique plus, ces mots écrits par nous deux pour nous deux, la béance à l’intérieur de moi, va au-delà de nous. Regarde là-bas, loin vers cette dune, la caravane de mes sentiments en partance vers l’ailleurs, un ailleurs que j’espère doux et lumineux ;

Le bonheur mon amour, n’est pas de ce monde, il est juste dans les livres écrits par les plus malheureux. Cet amour évanescent entre un albatros et une hirondelle, tracé sur le sable restera dans les ciels des jours naissants, un beau conte immortel ;

Notre histoire mal racontée et mal imprimée dans les réminiscences des bibliothèques, ressemble à ce petit nuage qui perdra forme et tombera en pluies arroser les déserts pour faire pousser des roses, pour que tout recommence quand tout sera fini ;

Les trains arrivent, d’autres partent et je reste là avec mon vague à l’âme, dans ma main un billet déchiré, froissé, périmé qui ressemble à la carte d’identité de ceux qui ont existé sans n’avoir jamais vraiment vécu, tel un soldat vaincu, un artiste déchu ;

Tout a commencé lorsque tu m’avais demandé « parlez-vous français ? » et c’est la faute à Baudelaire et son parti poétique, si je t’espère encore et si j’ai le mal de toi parfois, dans la langue de Molière, celle des fleurs maléfiques ;

Viens. Je t’offre mon silence et un verre de rouge que je lève à nos langues qui se sont unies par amour pour une même langue. Viens, french kiss moi une dernière fois, donne-moi ta bouche et prends de la mienne un dernier mot d’amour, pour la route…
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