«Bondrée», quand Andrée Michaud dilue les frontières
Qui aurait pu croire que l’idylle d’un camp d’été, au bord d’un lac perdu à la frontière entre le Maine et le Québec, pourrait receler autant d’intrigues? C’est dans ce paysage pourtant apaisant que se cache le mystère morbide d’un trappeur qui s'est donné la mort à cause d’un chagrin d'amour.

Lorsque l’auteure, Andrée Michaud, est témoin des faits, elle n’est âgée que de six ans. Elle passe ses vacances avec sa famille à Bondrée, cette région boisée qui, loin de toute forme de vie urbaine, renferme un secret caché parmi les arbres. La petite fille n’en retient que les voix des enfants répétant le nom «Tangara, Tangara de Bondrée…», comme une incantation servant à la fois à les amuser et à les effrayer. Tangara est, selon les dires, la femme que Landry, le trappeur, avait aimée. Cette femme, qui l'avait éconduit et rejeté, l'a poussé à mettre fin à ses jours, dans sa cabane dont il ne reste plus que des ruines.

Mais cette légende ne va pas demeurer otage de la quiétude des lieux. Les aléas des vacances de l’année 1967 en seront la preuve. Une jeune fille passant l’été à Bondrée, Zaza Mulligan, est prise dans un piège à ours et ne sera retrouvée que le lendemain, exsangue et inanimée.

Les vacanciers, effrayés à l’idée de voir leurs enfants se faire dévorer par des pièges enfouis par le trappeur, pourtant mort, se livrent à une campagne de nettoyage des alentours du camp. Ils sillonnent tous les sentiers et les chemins qui bordent les environs du lac, mais, ne trouvant aucune trace d’un danger qui pourrait leur porter atteinte, ils en concluent que la mort de la jeune fille est due à un accident isolé.

Mais le fantôme de Pierre Landry ne se contentera pas d’une seule proie. Les profondeurs de la forêt vont emporter Sissy Morgan, la meilleure amie de Zaza, dans une mâchoire identique à la précédente. Cependant, les soupçons n’envahissent les pensées des parents, choqués devant le corps de la jeune fille, qu’au moment où ils s'aperçoivent que le sentier emprunté par la victime avait été ratissé par les volontaires.

Dans la nuit noire de la forêt de conifères, les vacances vont prendre une tournure cauchemardesque. Plus personne ne comprend ce qui se passe.


La méfiance et la panique commencent à gagner le camp: les enfants sont enfermés chez eux par leurs parents; il leur est interdit de se rendre en forêt ou même à sa lisière. Surtout ne pas réveiller le prédateur caché dans les bois.

Andrée Michaud, du haut de ses six ans, remarque bien que ses parents tiennent leurs trois enfants à l'écart des discussions concernant l’enquête désormais officiellement ouverte. L’enfant fait intervenir dans son roman un adulte: Stan Michaud, policier dans l’État du Maine (États-Unis), chargé de l’enquête. Michaud, qui porte le même nom que l’auteur, mène son enquête parmi les habitants de Bondrée. Entre les anglophones des États-Unis et les francophones du Canada, les limites linguistiques et territoriales semblent s’effacer à travers les personnages de la petite Andrée, francophone, et du policier américain Michaud, anglophone.

Les frontières culturelles surgissent au cours du récit jalonné par l’enquête de l'inspecteur Michaud et dans sa traversée quotidienne des frontières entre les deux pays. On fait alors appel à un interprète bilingue, en l’occurrence Brian Larue.

Les dichotomies employées s’immergent dans les méandres du crime et les descriptions d’un paysage paradisiaque. Les interjections qui percent le texte en français ne sont pas non plus dissonantes. Elles renforcent le sens du récit et étoffent l'imaginaire du lecteur.

«Bondrée», de l’anglais Boundary (frontière), est, comme son nom l’indique, une limite dans laquelle se noient et se confondent toutes les autres, pour se diluer dans le lac de l’enfance de l’auteure, dans la touffeur des bois. Un ouvrage qui coupe le souffle de ceux qui osent entreprendre l’aventure de le lire.
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