Le cancer est une prolifération anarchique de cellules ayant accumulé des mutations génétiques au fil du temps. Si les traitements anticancéreux conventionnels reposent principalement sur la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie, la thérapie génique, qui relevait quasiment de la science-fiction pendant des décennies, s’est imposée comme l’un des nouveaux piliers du traitement des cancers. À l’occasion de la journée mondiale du cancer, fixée au 4 février, «Ici Beyrouth» fait le point sur cette stratégie thérapeutique qui a révolutionné l’oncologie médicale. Pour ce premier article de la série, décryptage avec la professeure Salima Hacein-Bey-Abina, pionnière de la thérapie génique.
Réécrire le code de la vie devient de plus en plus possible. En effet, l’essor de la biologie moléculaire et l’avènement du génie génétique, notamment grâce aux efforts des biochimistes américains Stanley Cohen et Herbert Boyer, ont ouvert grand la porte à l’informatisation du vivant. Les avancées fulgurantes des technologies d’édition génomique ont ainsi constitué la pierre angulaire d’un tout nouveau concept thérapeutique: la thérapie génique. Celle-ci consiste à introduire du matériel génétique exogène (une séquence d’ADN par exemple) dans des cellules cibles afin de suppléer un gène déficient, d’éliminer ou de réparer un gène altéré dans lesdites cellules, de modifier l’expression d’un gène particulier ou de changer les propriétés biologiques de ces cellules à des fins thérapeutiques.
Si cette stratégie biotechnologique a été initialement développée pour traiter des maladies monogéniques héréditaires rares (c’est-à-dire des pathologies causées par une mutation ou une altération de la séquence d’ADN d’un seul gène), un éventail nettement plus large de maladies génétiques, néoplasiques, dégénératives, et bien d’autres, est dans le viseur de la thérapie génique. À cet égard, les chercheurs semblent divisés: certains manifestent un optimisme prudent, d’autres un pessimisme hésitant, quant à la capacité de cette thérapie d’assurer un traitement sûr, efficace et accessible aux patients atteints de maladies monogéniques ou même polygéniques, dites à hérédité complexe. Le registre américain d’essais cliniques, ClinicalTrial.gov, a recensé, jusqu’au 1ᵉʳ février 2023, 2.058 essais cliniques de thérapie génique en cours, dont 151 essais sont en phase III, et 1.475 essais (soit 71,7% du total précité) sont consacrés au domaine des maladies oncologiques.
Durant les trois dernières décennies, le progrès biotechnologique d’une part et l’indentification de cibles moléculaires plus spécifiques des tumeurs d’autre part, associés à des données cliniques prometteuses, ont fait du cancer l’une des principales maladies ciblées par la thérapie génique. Plusieurs stratégies thérapeutiques, se basant sur des approches génétiques, sont actuellement déployées dans le cadre d’études précliniques (c’est-à-dire des études faites in vitro sur des lignées de cellules cancéreuses ou in vivo sur des modèles animaux), ou même d’essais cliniques, afin d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de ce traitement innovant.
Cet engouement pour la thérapie génique remonte, en effet, au 28 avril 2000 lorsqu’une équipe française, dirigée par les professeurs Alain Fischer, Salima Hacein-Bey Abina et Marina Cavazzana-Calvo, publie, dans la revue américaine Science, les premiers résultats positifs d’une thérapie génique. Celle-ci avait été effectuée dans le cadre d’un essai clinique sur des «bébés-bulles», des enfants atteints d’un déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X, caractérisé par l’absence totale de lymphocytes T et NK, des cellules du système immunitaire responsables (entre autres) de la défense de l’organisme contre les infections. Cette grande victoire thérapeutique a ainsi constitué la première preuve de concept de l’efficacité de la thérapie génique.
Contactée par Ici Beyrouth, la professeure Salima Hacein-Bey-Abina, une des trois pionniers français de cette victoire thérapeutique, remonte les aiguilles du temps et revient sur les circonstances et les résultats de cet essai clinique: «Le déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X est une pathologie due à une anomalie génétique qui se caractérise par un absence de lymphocytes T, rappelle-t-elle. Cette maladie se manifeste par des infections sévères et récurrentes débutant dès les premiers mois de vie. En l’absence d’une greffe de moelle osseuse à partir d’un donneur compatible, ces bébés bulles meurent au bout de quelques mois.»
L’immunologiste française, auréolée de nombreux prix scientifiques dont le prestigieux prix Galien, indique que la thérapie génique a été un «tournent majeur» dans l’histoire de la médecine. «Cette stratégie génétique consiste à infecter ex vivo (hors du corps) des cellules souches hématopoïétiques (les précurseurs des cellules sanguines, NDLR) prélevées des patients, renfermant une version anormale du gène, par un vecteur issu d’un virus porteur d’une version normale de ce gène (transgène), afin de faire pénétrer cette dernière dans les cellules souches, explique la professeure Hacein-Bey-Abina. Une fois modifiées, ces cellules sont réinjectées chez les bébés.»
Les résultats de l’essai clinique précité ont montré une reconstitution lymphocytaire T fonctionnelle chez les dix enfants traités. Des cas de leucémie ont néanmoins été rapportés à la suite de cette thérapie, mais le développement de nouveaux vecteurs viraux a permis de remédier à ce problème. «Cela a ainsi conduit à l’essor de la thérapie génique dans divers domaines, notamment l’oncologie», note la professeure Hacein-Bey-Abina. En effet, le transfert de gènes thérapeutiques est devenu, depuis quelques années, une nouvelle modalité de traitement anticancéreux. Cette technique permet d’introduire de nouveaux gènes dans les cellules cancéreuses, le tissu environnant ou même les cellules immunitaires pour induire la mort cellulaire, ralentir la croissance du cancer ou programmer des cellules tueuses spécifiques d’antigènes tumoraux.
Si l’immunothérapie est devenue, au cours des deux dernières décennies, l’une des principales options de traitement du cancer, notamment grâce à la grande réussite des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (anticorps qui empêchent l’inhibition des cellules immunitaires, NDLR), récompensés par le prix Nobel en 2018, son succès s’est encore accru avec le développement des virus oncolytiques (virus tueurs de cellules cancéreuses) et des lymphocytes T modifiés génétiquement.
L’émergence des lymphocytes T modifiés génétiquement (ou CAR-T cells, acronyme anglais de Chimeric Antigen Receptor T cells) en tant que nouvelle stratégie de traitement anticancéreux marque le début d’une nouvelle ère en oncologie médicale. En effet, au cours de la dernière décennie, des essais cliniques utilisant des lymphocytes CAR-T ont montré des taux de rémission complète significatifs, compris entre 70% et 90%, pour le traitement de certaines formes de lymphomes et de leucémies (particulièrement les leucémies aiguës lymphoblastiques à cellules B) et, plus récemment, du myélome multiple. À cet égard, la professeure Hacein-Bey-Abina souligne que l’ingénierie des lymphocytes T avec un récepteur d’antigène chimérique a pavé la voie à l’émergence de traitements pour des formes réfractaires ou récidivantes de cancers.
«Si les lymphocytes CAR-T ont apporté la preuve de concept de la réussite de cette stratégie dans les cancers hématologiques résistants, cette thérapie peut être actuellement comparée aux traitements de deuxième et même de première ligne», se félicite-t-elle, précisant que des modifications moléculaires supplémentaires ont permis de diminuer les effets secondaires potentiellement graves de cette thérapie (comme le choc cytokinique et les toxicités neurologiques). «L’ingénierie des lymphocytes NK avec un récepteur d’antigène chimérique vont permettre dans l’avenir d’obtenir des résultats satisfaisant avec moins d’effets secondaires», note explique la professeure Hacein-Bey-Abina. Et de souligner, enfin, que les thérapies combinatoires à base de médicaments conventionnels, d’anticorps thérapeutiques (notamment les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, et les anticorps bispécifiques) et d’immunothérapies cellulaires, constitueront la base des traitements futurs des maladies oncologiques.
Réécrire le code de la vie devient de plus en plus possible. En effet, l’essor de la biologie moléculaire et l’avènement du génie génétique, notamment grâce aux efforts des biochimistes américains Stanley Cohen et Herbert Boyer, ont ouvert grand la porte à l’informatisation du vivant. Les avancées fulgurantes des technologies d’édition génomique ont ainsi constitué la pierre angulaire d’un tout nouveau concept thérapeutique: la thérapie génique. Celle-ci consiste à introduire du matériel génétique exogène (une séquence d’ADN par exemple) dans des cellules cibles afin de suppléer un gène déficient, d’éliminer ou de réparer un gène altéré dans lesdites cellules, de modifier l’expression d’un gène particulier ou de changer les propriétés biologiques de ces cellules à des fins thérapeutiques.
Si cette stratégie biotechnologique a été initialement développée pour traiter des maladies monogéniques héréditaires rares (c’est-à-dire des pathologies causées par une mutation ou une altération de la séquence d’ADN d’un seul gène), un éventail nettement plus large de maladies génétiques, néoplasiques, dégénératives, et bien d’autres, est dans le viseur de la thérapie génique. À cet égard, les chercheurs semblent divisés: certains manifestent un optimisme prudent, d’autres un pessimisme hésitant, quant à la capacité de cette thérapie d’assurer un traitement sûr, efficace et accessible aux patients atteints de maladies monogéniques ou même polygéniques, dites à hérédité complexe. Le registre américain d’essais cliniques, ClinicalTrial.gov, a recensé, jusqu’au 1ᵉʳ février 2023, 2.058 essais cliniques de thérapie génique en cours, dont 151 essais sont en phase III, et 1.475 essais (soit 71,7% du total précité) sont consacrés au domaine des maladies oncologiques.
Première preuve de concept
Durant les trois dernières décennies, le progrès biotechnologique d’une part et l’indentification de cibles moléculaires plus spécifiques des tumeurs d’autre part, associés à des données cliniques prometteuses, ont fait du cancer l’une des principales maladies ciblées par la thérapie génique. Plusieurs stratégies thérapeutiques, se basant sur des approches génétiques, sont actuellement déployées dans le cadre d’études précliniques (c’est-à-dire des études faites in vitro sur des lignées de cellules cancéreuses ou in vivo sur des modèles animaux), ou même d’essais cliniques, afin d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de ce traitement innovant.
Cet engouement pour la thérapie génique remonte, en effet, au 28 avril 2000 lorsqu’une équipe française, dirigée par les professeurs Alain Fischer, Salima Hacein-Bey Abina et Marina Cavazzana-Calvo, publie, dans la revue américaine Science, les premiers résultats positifs d’une thérapie génique. Celle-ci avait été effectuée dans le cadre d’un essai clinique sur des «bébés-bulles», des enfants atteints d’un déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X, caractérisé par l’absence totale de lymphocytes T et NK, des cellules du système immunitaire responsables (entre autres) de la défense de l’organisme contre les infections. Cette grande victoire thérapeutique a ainsi constitué la première preuve de concept de l’efficacité de la thérapie génique.
Tournant majeur
Contactée par Ici Beyrouth, la professeure Salima Hacein-Bey-Abina, une des trois pionniers français de cette victoire thérapeutique, remonte les aiguilles du temps et revient sur les circonstances et les résultats de cet essai clinique: «Le déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X est une pathologie due à une anomalie génétique qui se caractérise par un absence de lymphocytes T, rappelle-t-elle. Cette maladie se manifeste par des infections sévères et récurrentes débutant dès les premiers mois de vie. En l’absence d’une greffe de moelle osseuse à partir d’un donneur compatible, ces bébés bulles meurent au bout de quelques mois.»
L’immunologiste française, auréolée de nombreux prix scientifiques dont le prestigieux prix Galien, indique que la thérapie génique a été un «tournent majeur» dans l’histoire de la médecine. «Cette stratégie génétique consiste à infecter ex vivo (hors du corps) des cellules souches hématopoïétiques (les précurseurs des cellules sanguines, NDLR) prélevées des patients, renfermant une version anormale du gène, par un vecteur issu d’un virus porteur d’une version normale de ce gène (transgène), afin de faire pénétrer cette dernière dans les cellules souches, explique la professeure Hacein-Bey-Abina. Une fois modifiées, ces cellules sont réinjectées chez les bébés.»
Immunothérapie cellulaire
Les résultats de l’essai clinique précité ont montré une reconstitution lymphocytaire T fonctionnelle chez les dix enfants traités. Des cas de leucémie ont néanmoins été rapportés à la suite de cette thérapie, mais le développement de nouveaux vecteurs viraux a permis de remédier à ce problème. «Cela a ainsi conduit à l’essor de la thérapie génique dans divers domaines, notamment l’oncologie», note la professeure Hacein-Bey-Abina. En effet, le transfert de gènes thérapeutiques est devenu, depuis quelques années, une nouvelle modalité de traitement anticancéreux. Cette technique permet d’introduire de nouveaux gènes dans les cellules cancéreuses, le tissu environnant ou même les cellules immunitaires pour induire la mort cellulaire, ralentir la croissance du cancer ou programmer des cellules tueuses spécifiques d’antigènes tumoraux.
Si l’immunothérapie est devenue, au cours des deux dernières décennies, l’une des principales options de traitement du cancer, notamment grâce à la grande réussite des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (anticorps qui empêchent l’inhibition des cellules immunitaires, NDLR), récompensés par le prix Nobel en 2018, son succès s’est encore accru avec le développement des virus oncolytiques (virus tueurs de cellules cancéreuses) et des lymphocytes T modifiés génétiquement.
Ingénierie des cellules immunitaires
L’émergence des lymphocytes T modifiés génétiquement (ou CAR-T cells, acronyme anglais de Chimeric Antigen Receptor T cells) en tant que nouvelle stratégie de traitement anticancéreux marque le début d’une nouvelle ère en oncologie médicale. En effet, au cours de la dernière décennie, des essais cliniques utilisant des lymphocytes CAR-T ont montré des taux de rémission complète significatifs, compris entre 70% et 90%, pour le traitement de certaines formes de lymphomes et de leucémies (particulièrement les leucémies aiguës lymphoblastiques à cellules B) et, plus récemment, du myélome multiple. À cet égard, la professeure Hacein-Bey-Abina souligne que l’ingénierie des lymphocytes T avec un récepteur d’antigène chimérique a pavé la voie à l’émergence de traitements pour des formes réfractaires ou récidivantes de cancers.
«Si les lymphocytes CAR-T ont apporté la preuve de concept de la réussite de cette stratégie dans les cancers hématologiques résistants, cette thérapie peut être actuellement comparée aux traitements de deuxième et même de première ligne», se félicite-t-elle, précisant que des modifications moléculaires supplémentaires ont permis de diminuer les effets secondaires potentiellement graves de cette thérapie (comme le choc cytokinique et les toxicités neurologiques). «L’ingénierie des lymphocytes NK avec un récepteur d’antigène chimérique vont permettre dans l’avenir d’obtenir des résultats satisfaisant avec moins d’effets secondaires», note explique la professeure Hacein-Bey-Abina. Et de souligner, enfin, que les thérapies combinatoires à base de médicaments conventionnels, d’anticorps thérapeutiques (notamment les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, et les anticorps bispécifiques) et d’immunothérapies cellulaires, constitueront la base des traitements futurs des maladies oncologiques.
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