Interview décryptage avec Francis Perrin
Le “nouvel eldorado des minerais”, aux “incroyables gisements”, “l’Arabie saoudite du lithium”, les médias internationaux n’en finissent pas de s’extasier : sous les chaînes des chars talibans, le sous-sol afghan recèlerait des richesses immenses en fer, cuivre, or, pierres précieuses, terres rares, lithium indispensable aux batteries de voitures et même en hydrocarbures. Le magot, estimé entre 1000 et 3000 milliards de dollars pourrait-il servir le projet taliban ? Qu’en est-il vraiment des fabuleux trésors miniers d’Afghanistan que l’on dit mondialement convoités ? Chercheur associé au think tank marocain de l’Office chérifien des phosphates (OCP) et directeur des recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris, le spécialiste des industries extractives et des problématiques énergétiques Francis Perrin répond aux questions d’Ici Beyrouth.
Que sait-on vraiment des réserves minières de l’Afghanistan?
Il y a beaucoup d’incertitudes, il faut notamment être prudent avec les chiffres donnés par les recherches soviétiques et plus récemment américaines, non approfondies, et dont on ne sait pas si elles parlent de ressources ou de réserves, prouvées ou probables etc. Mais on peut être à ce stade sûr que le pays a un potentiel minier significatif, voire important, qu’il présente une grande diversité de ressources et que celles-ci sont réparties sur l’ensemble du territoire et non dans deux ou trois zones comme souvent. En termes d’abondance, quelques éléments ressortent avec une grande quantité de métaux de base, cuivre et fer, mais aussi de l’or, des terres rares et du lithium en quantité, des matériaux de construction et un potentiel en hydrocarbure. Ces ressources n’ont été que peu exploitées et l’Afghanistan pourrait devenir à moyen terme un acteur minier important sur le marché mondial.
Une ambition à portée de main?
Nous en sommes loin, car un certain nombre de conditions essentielles ne seront pas réunies dans un avenir proche. Le secteur est un gros consommateur d’eau et d’électricité, il sera dédié à l’exportation et les infrastructures dans ces domaines font défaut. Les questions des compétences disponibles et de l’impact environnemental se posent aussi avec acuité. Mais l’obstacle majeur reste celui de la sécurité des investissements et des installations : quel sera le code adopté par les talibans et quelles seront les institutions qui le garantiront ? Un site met une dizaine d’années à entrer en production et un contrat court de 20 à 30 ans quand il est difficile, aujourd’hui, d’avoir une visibilité à très court terme. La confiance des investisseurs est essentielle et les acteurs internationaux du secteur savent que le pays a derrière lui 40 ans de crises armées, comme ils sont loin d’être sûrs qu’il en est sorti.
Pourtant, on dit tous les appétits chinois aiguisés par cette abondance de matières premières...
Il y a bien sûr un intérêt des Chinois, mais il ne faut pas l’exagérer, car les dirigeants et les industriels chinois sont aussi des investisseurs réalistes et connaissent bien les contraintes évoquées ci-dessus. En outre l’arrivée des talibans au Kaboul, si elle semble avoir un effet stabilisateur, pose un nouveau problème de taille : celui de sanctions américaines qui s’exerceraient sur le pays mais aussi sur les banques et les sociétés étrangères qui y feraient commerce. L’Iran possède ainsi des réserves majeures de pétrole dont la Chine a un appétit énorme, mais elle n’y est pas restée quand se sont abattues les sanctions américaines en 2018 : ce qu’ils n’ont pas fait en Iran, les Chinois le feront encore moins en Afghanistan. Ils n’ont pas non plus oublié qu’ils y ont déjà laissé des plumes sur le projet de développement de la mine de cuivre d’Aynak, signé en 2007, mais qui, confronté à des problèmes politiques, sécuritaires et infrastructurels, n’a rien donné. Enfin, bien que les armées américaines aient été présentes pendant 20 ans en Afghanistan, aucune entreprise occidentale ne s’y est ruée.
Les talibans, en grand manque d’argent, pourraient-il gager ces réserves ou les concéder à des acteurs moins regardants, et moins scrupuleux?
Les talibans peuvent avoir de telles tentations mais à nouveau les conditions ne sont pas réunies. Pour pouvoir gager des réserves, il faudrait que celles-ci puissent être prouvées, que l’on puisse avoir des certitudes sur la fiabilité de l’Etat engagé, et que la possibilité d’une exploitation rapide soit garantie : nous n’y sommes pas. Un développement sauvage me laisse également sceptique. Les talibans ne parviendront à toucher les dividendes de ces richesses à moyen terme que s’ils montrent dans les trois ans qu’ils parviennent à pacifier le pays, à installer une sécurité durable tant physique que juridique et à ne pas déclencher une trop grande hostilité de la communauté internationale.
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