En collaboration avec Rebirth Beirut, Magda Chaaban expose ses toiles et installations à The Gallerist, Gemmayzé du 16 au 28 février sur le thème du départ, «Departure gate, 3-07-15».

L’exposition démarre sur deux, trois ou quatre roues, avec pour thème majeur un dilemme: celui de rester sur le sol natal ou bien de partir.

Le sujet est abordé à la manière d’un road movie ou d’une bande dessinée avec pour sympathiques héros Mr Tarbouche qui campe le personnage du Libanais traditionnel, et Lady Nouf, sa version opposée moderne et rebelle. Cette dernière, écharpe et cheveux au vent, chapeau orné d’une fleur, lunettes rondes et regard frondeur semble mue par l’énergie du départ, besace sur le dos ou conduisant un véhicule lourdement chargé de bagages. Ailleurs, en toile de fond, derrière la chaffé ou tasse de café au premier plan, s’étale le pays du Cèdre comme un rêve doré, créé par l’inconscient collectif nourri de fantasmes, de souvenirs, de tendresse et d’émotion. Un pays dont l’étrange douceur continue à faire soupirer tout exilé, pays que Lady Nouf avant de quitter, veut emporter avec elle.



Partir s’exprime alors en images éloquentes de véhicules, voitures, chariots ou bicyclettes sur lesquels s’empilent valises et paquets de toutes sortes qui débordent d’un trop plein de souvenirs nostalgiques, cartons ou boîtes entrouvertes sur les éléments les plus hétéroclites, journaux, livres, photos, et délices d’un orient saccagé, morceaux de paradis perdu, précieusement gardé sur le corps et dans le cœur. Autant de madeleines de Proust qui suivent et accompagnent tout Libanais émigré comme une seconde peau, fidèles compagnons de ses tribulations d’éternel voyageur.

Pour Magda Chaaban, quitter la terre natale se vit ainsi comme un arrachement, un poignant dilemme. En effet, la roue arrière de la bicyclette de Lady Nouf alourdie par la charge des souvenirs bloque l’élan du départ fatidique! À l’arrière de la voiture traînent des petites chaussures porte-bonheur et autres réminiscences d’un passé nostalgique, liens invisibles, tendres et douloureux à la fois, racines qui s’accrochent désespérément au sol nourricier, seuls témoins de la richesse culturelle et émotionnelle d’un patrimoine trop lourd à déplacer...

Dans ce tiraillement entre besoin d’un ailleurs et envie de rester, le désir du pays persiste comme un lien indéfectible à la terre, au paradis perdu, sans doute celui de l’enfance dont le souvenir heureux est ravivé par le parfum de la manouché du matin qui réveille tous les sens, éveille au bleu radieux du ciel, à la verdeur des prairies là où courent les herbes folles; celui aussi des vieilles cassettes contenant l’air entraînant de la dabké, la voix magique de Fairouz, la bouteille d’huile d’olive, le bocal de kechek ou de confiture qui s’échappent de la valise de Lady Nouf et celui aussi de ce pot de fleurs, pathétique échantillon de cette terre libanaise, riche et féconde là où faune et flore se désaltèrent au précieux élixir de ses montagnes.




Tout un bagage d’images couleur sépia ou soleil, tout un patrimoine culturel et sentimental s’empile ainsi sur le toit des véhicules et freine leur avancée comme pour retarder l’heure fatidique des adieux.

Ailleurs la table de Backgammon baptisé sheich beich, se transforme en valise ambulante, et le camion devient aussi nomade puisqu’il véhicule à l’arrière, inscriptions et adages caractéristiques de cet esprit oriental où sagesse et superstition vont de pair. Sur la même table de backgammon, les dés sont jetés comme sur un échiquier pour décider du sort des libanais.

Magda Chaaban se veut toutefois résolument optimiste puisqu’elle alterne notes graves et notes légères dans un équilibre tout en délicatesse. L’humour s’installe ainsi dans tous les détails vestimentaires, dans l’allure désinvolte et insouciante des personnages, et se pose en clin d’œil plein d’esprit et de fantaisie à l’instar des touches rouges et bleues empruntées à la besace, chapeau ou écharpe écarlate de Lady Nouf; touches qui viennent s’éparpiller en notes vives et lumineuses pour égayer le fond gris de la toile. Bonne humeur et douceur de vivre sont aussi bien présentes avec le jeu du backgammon entre deux  joueurs aux têtes à tarbouche perçus de haut comme en plongée ou encore avec le chignon et grosses lunettes de Lady Nouf qui émergent difficilement de toute une pile de livres!

Ailleurs une installation représentant une cage-prison sur roues avec des livres portant la mention «la censure ne pourra nous chasser» met l’accent sur la résilience et la culture comme conditions essentielles à chaque véritable libération ou départ.

À l’arrière de la voiture prête à quitter s’affiche enfin sur un carton la mention «ON REVIENT»,  comme quoi l’optimisme contagieux de l’artiste qui nous accompagne, nous amuse et nous émeut tout au long de l’exposition nous donne envie de rester encore et encore et, au moment de partir, nous garde la furieuse envie de revenir.

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