À la recherche de nos frontières perdues
C’est comme si nous franchissons la frontière de l’ordinaire pour naviguer une Mare Nostrum qui s’est transformée en élément mythologique, peuplée par des poupées en porcelaine, leurs visages brisés.

Ça a commencé le 4 août 2020, le jour où nous avons fait face au Mal, avalés par le Néant puis régurgités par le Monstre – Oui, tout est en majuscules dorénavant. De nouvelles majuscules se préparent. Le Monstre est une créature abominable composée de fer et de feu, et du débris des rêves des adultes et des jouets des enfants. Il vit dans nos cauchemars. Il a fait trembler notre monde entier depuis dix jours.



Et voilà que notre quotidien continue à se heurter contre le mur de nos insécurités en 2023.

L’auditorium du musée Sursock, nouvellement restauré à la suite de l’explosion de Beyrouth, vient de rouvrir ses portes. Il est situé à trois étages sous le sol. Une centaine de Beyrouthins ont hâte de se retrouver dans la splendeur et la dignité de ce lieu qui maintient les battements du cœur de la ville. Ces pulsations mêmes qui trouvent leurs échos dans les premières chordes du deuxième concerto pour piano de Rachmaninoff.

L’auditoire est enchanté par le docteur Georges Haddad, neurochirurgien mélomane, qui communique sa passion pour Rachmaninoff par ses mots et ses gestes; même l’écran commence à danser pendant quelques instants. Je regarde autour de moi. La salle est pleine. Le plafond est à 12 mètres de hauteur. Deux sorties latérales. Un débouché par la scène. Des fauteuils fixés en rangées serrées.

Arrête
Arrête cet état des lieux.
Retire-toi de cette analyse. Ne franchis pas cette frontière.

Ne frôle pas le rideau du banal.
«Nearer my God to thee… nearer to thee»
Efface cette scène du Titanic

L’écran continue à se prendre pour une pendule.

Une petite voix au-dessus de nous dit: «Earthquake»!

Silence.

Notre Orphée, le docteur Haddad, reprend son luth narratif et la musique nous emporte.

L’écran arrête sa frénésie et nous revenons à la familiarité du monde de Rachmaninoff.

«Il fut le dernier Romantique», conclut le docteur.
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