Des maladies liées à la centrale de Zouk?
Avec l’augmentation des heures de distribution du courant électrique, le cas de la centrale de Zouk revient sur le tapis. Crise oblige, des questions s’imposent: les filtres ont-ils été changés? Les cheminées sont-elles entretenues? En novembre dernier, le président du conseil municipal de Zouk Mikaël, Élias Beaino, avait semé la panique dans les médias en évoquant le risque pour la santé que représente la centrale électrique.

Lors d’une déclaration à la presse, en novembre dernier, le président du conseil municipal de Zouk Mikaël, Élias Beaino avait fait état de «200 cas de cancer de la peau signalés dans la région». Ils seraient «liés», selon lui, «aux émanations de la centrale électrique de Zouk». De quoi susciter une panique et attiser les craintes liées à cette fumée noire qui a recommencé à se dégager des cheminées depuis que la centrale a repris son activité. Aujourd’hui, celle-ci assure de 4 à six heures de courant par jour.

Des scientifiques interrogés par Ici Beyrouth font cependant la part des choses. Selon Charbel Afif, chef du département de chimie à la faculté des sciences de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et expert en pollution de l’air, qui a longuement étudié le cas de l’usine de Zouk Mikaël, celle-ci est constituée de deux parties: la vieille centrale et la nouvelle. Les grandes cheminées rouge et blanc appartiennent à l’ancienne centrale qui a 30 à 40 ans. Elle fonctionne grâce à un système de chaudières au rendement infime qui consomment donc beaucoup de carburant pour produire relativement peu d’électricité.

Vers la fin de 2013, les chaudières ont été reconditionnées afin de réduire les émissions de polluants. «Ces chaudières carburent au fioul lourd (heavy fuel oil) qui est l’un des pires carburants qui soit, car il pollue beaucoup, affirme Charbel Afif. Alors que la Banque mondiale recommande d’utiliser le fioul lourd à 2%, au Liban, on utilise celui à 1%, plus fractionné, donc moins polluant».

En 2017, la nouvelle centrale a été mise en place. Elle opère suivant un système de générateurs, similaire par certains aspects à celui des générateurs de quartiers. «Ces groupes électrogènes utilisent une nouvelle technologie avec un bon rendement, mais polluent beaucoup» affirme l’expert.

Deux fumées se dégagent des cheminées de la centrale: une fumée noire, durant quelques instants, et une autre, blanche, plus longtemps. «La fumée noire est dégagée tous les deux à trois jours et correspond au démarrage d’une nouvelle chaudière. Au début, la combustion est incomplète, ce qui explique la fumée épaisse. La fumée blanche, elle, est de la vapeur d’eau, relâchée pour dépressuriser les chaudières», explique M. Afif.

Quels polluants?

Les polluants dégagés par la centrale sont principalement les oxydes d’azote (NOx), le souffre, les particules fines PM2.5 et les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ces derniers sont des constituants naturels du charbon et du pétrole qui proviennent aussi de la combustion incomplète de matières organiques telles que les carburants, le bois, le tabac. «Bien que l’on dépasse de six fois la limite fixée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les PM2.5, ces particules fines ne proviennent pas toutes de la centrale de Zouk. D’autres facteurs participent activement à leur émission: les voitures, l’incinération des ordures et le  khamsin (vent chaud du désert, chargé de poussière). «Il est indéniable que ces émanations augmentent la probabilité de développer un cancer, mais cela ne veut pas dire que l’usine de Zouk en est le principal facteur», ajoute l’expert.


Des études menées par M. Afif ainsi que par d’autres chercheurs libanais, français et chypriotes ont montré qu’au sein de la ville de Beyrouth, le risque de développer un cancer était relativement plus élevé qu’à Zouk, alors qu’il n’y a pas de centrale électrique dans la capitale libanaise.

«Les régions les plus touchées par la fumée sont Zouk Mikaël, Zouk Mosbeh, Adonis, Kaslik, Ghazir et Jounieh. À Jbeil, l’impact est négligeable; à Faraya, il est presque inexistant à cause de la distance, de la gravité et de l’humidité», explique le chimiste.

Un risque médical presque fictif

D’après Boutros Soutou, dermatologue, chargé d’enseignement à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph, on ne peut en aucun cas relier à 100% un cas de cancer à une seule et même cause. «Seuls les hydrocarbures polycycliques causent, à concentration professionnelle (niveaux de concentration en polluants dans l’atmosphère des lieux de travail, à ne pas dépasser sur une période de référence déterminée), des kératoses précancéreuses (des lésions précancéreuses) dont un nombre limité peut évoluer vers un carcinome épidermoïde (deuxième cancer de la peau le plus fréquent) avec les années. Le délai entre l'exposition au produit chimique et la survenue d'une kératose est long, 15 ans en moyenne, mais avec des extrêmes de 2,5 et 45 ans. Seul un nombre limité de kératoses se transforme en carcinome après un délai moyen de 3 mois à 4 ans», explique-t-il.

En ce qui concerne le sulfure, l’expert affirme que «les Américains l’introduisent dans les savons pour le traitement de l’acné, car il serait kératolytique (qui décolle et élimine la couche de kératine de la peau) une fois transformé en sulfide d’hydrogène, alors que les Français le proscrivent, car potentiellement comédogène (qui provoque la formation excessive de sébum)».

«L’oxyde nitrique est omniprésent dans le corps humain, y compris la peau où il participe à la formation de la mélanine, mais aussi dans les mécanismes de l’immunité innée et de l’inflammation. Il a une action vasodilatatrice qui peut dévier vers des effets délétères sur l’organisme. Les rayons solaires (UV, lumière visible et infrarouges) favorisent sa production cutanée. L’exposition de la peau à des concentrations normales ou létales de NO, NO2, ou SO2 n’occasionne qu’une absorption cutanée négligeable», poursuit-il.

Quant aux particules fines, l’expert affirme que leur effet sur les kératinocytes a été récemment étudié in vitro et in vivo sur des animaux de laboratoire. Ces particules produisent des espèces réactives à l’oxygène, induisant un stress oxydatif important qui endommage l’ADN et tue les cellules (dégâts des organelles de la cellule, autophagie et apoptose).

Les émissions de la centrale de Zouk seraient plutôt des facteurs à risque, favorisant le développement potentiel d’un cancer des poumons ou des voies respiratoires. Mais elles n’en sont pas la cause directe. Il faut donc comprendre la complexité du problème: une compilation de facteurs provenant de diverses sources intrinsèques et extrinsèques interviennent dans le développement de cancers.
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