Un rêve au musée
En sortant de chez Wissam Melhem, sur le perron de la porte, le Dr Tony Karam demande: «Quel est ton rêve fou d’artiste?» C’est alors que sans hésiter, l’artiste et architecte répond: «Voir mes toiles dans un musée aux États-Unis.»

Tony s’arrête, et avant de s’en aller, il lui promet que ce rêve se réaliserait. Wissam rigole et rentre reprendre son crayon pour griffonner un autre croquis, une autre expression de son art. Il ne sait pas encore que ses œuvres seraient approuvées comme pièces maîtresses d’une exposition en solo dans le Peoria Riverfront Museum. Il ne sait pas encore qu’il dessinerait les «33 secondes d’inconscience» d’un personnage qu’il créerait pour illustrer à sa manière le drame du 4 août.

Le Dr Tony Karam, ce grand mécène et collectionneur d’art, vient me visiter une semaine plus tard. Il m’expose un projet fou. J’écoute éberluée. Je réponds par l’affirmative. Je n’hésite pas. Au point où nous en sommes au Liban, nous n’avons rien à perdre. Rêver ne fait de mal à personne et, si le rêve se réaliserait, nous l’aurions alors rattrapé. J’y crois. Je peins et je propose 9 toiles qui seraient envoyées aux États-Unis. Je n’imagine même pas que l’une d’entres elles serait choisie comme œuvre représentative de toute l’exposition.

Le Dr Tony Karam est non seulement médecin, mais il est aussi célèbre pianiste. Les plus grands de ce monde l’ont vu et écouté jouer. C’est au prestigieux Scottish Rite Theatre, dans l’état d’Illinois, qu’on lui propose de faire un concert pour le mois de décembre 2021. Il accepte, mais à une condition: organiser en même temps une exposition d’art libanais dans le Peoria Riverfont Museum qui est juste à côté.

On approuve sa requête. Elle est pour la bonne cause. Il offre tous les profits de son concert et, toute l’exposition est faite pour lever des fonds qui seraient versés au LAU Medical Center et à la LAU School of Medecine.

Une grande aventure commence et, depuis le mois d’avril jusqu’au mois de décembre, une collaboration se fait entre le musée de la ville de Peoria, situé près de Chicago, l’université LAU, dont les quartiers généraux se trouvent à New York, et le Dr Karam qui collecte plus de 150 magnifiques œuvres offertes par 26 artistes libanais, certains très célèbres, d’autres déjà établis ainsi que d’autres émergents.

Tout est organisé pour la bonne cause. Une vente aux enchères est mise en place sans réserve. La solidarité entre les artistes, les médecins et les organisateurs au Liban et aux États-Unis est impressionnante. Tout le monde se bat et se mobilise pour réussir ce projet à envergure internationale. Un musée accrédité ouvre grand ses portes à l’art libanais. John Morris, le directeur du musée, se plie en quatre pour faire de cet événement une réussite sans pareille, et la ITOO Society, organisation caritative fondée en 1914 par les immigrants libanais dans l’État de l’Illinois, soutient cette belle aventure humanitaire et artistique.

Et nous décidons d’y aller. Nous économisons les moindres dollars qui se font si difficiles à amasser en ces temps d’inflation, pour pouvoir faire partie de ce voyage et être présents au concert et à l’exposition.


Fadia Ahmad, dont le documentaire Beirut, the Aftermath est un succès mondial, effectue le voyage avec son mari. Médecin de renom et excellent aquarelliste, le Dr Nicolas Baaklini offre une magnifique peinture à l’eau, représentant l’explosion du 4 août. Les photos et le film de Fadia Ahmad sont projetés sur l’écran géant de l’amphithéâtre du musée. Silence. Larmes. Beyrouth est une plaie qui ne cesse de se rouvrir. L’œuvre de Fadia Ahmad retient l’histoire.

Lina Husseyni, dont les superbes sculptures colorées animent l’ambiance du musée, nous retrouve avec sa famille. Ses œuvres font sourire. Elles sont positives et joyeuses, tout comme l’atmosphère générale au musée. Nous sommes tous heureux. L’art envoie des ondes d’amour. L’art sauve.

La ville de Peoria est en fête, toute la diaspora libanaise est présente. L’exposition est un succès total. Nous sommes reçus avec honneurs et émotions. C’est toujours touchant de rencontrer des compatriotes qui viennent de l’autre bout du monde. Et c’est encore plus émouvant de faire ce voyage pour la bonne cause, de voir exposées nos œuvres dans un musée.



Le concert de piano de Dr Karam est un moment fort. Une performance unique en son genre se joue sur le Steinway Grand Piano qui permet au musicien de faire des prouesses artistiques avec les dix doigts. Il joue Prokofiev et Rachmaninov. Il fait éclater la musique sous les lumières flamboyantes de la salle de concert, habillée de rouge, de vert et de bleu pour mettre en valeur les couleurs du Liban et des États-Unis, en cette période de Noël.

Le Dr Karam fait pleurer de joie et d’émotion un auditoire émerveillé. Il joue, entre autres, la Rhapsodie Hongroise de Liszt et la Ballade numéro 1 de Chopin avec brio. Il nous coupe le souffle. Il nous fait voyager vers des portées musicales jamais visitées. Puis il termine par Campanella de Liszt avec une maîtrise rare. Cette pièce est réputée pour être la plus difficile à être interprétée. On ne sait pas combien de mains il a, combien de notes volent en éclat sur ce clavier qui prend vie et brille.

Ce concert et la vente aux enchères de toutes les œuvres exposées rapportent plus de 200 000 dollars en monnaie fraîche. Un exploit aussi inégalé qu’inattendu qui permet de verser une somme conséquente à la fondation médicale de la LAU.

Un souhait qui a commencé autour d’une salade de grenades, un rêve fou d’artiste qui s’est réalisé dans un musée, un mécène qui a su faire aboutir son œuvre avec succès, un travail d’équipe et une solidarité pour la bonne cause… tout cela n’est que le début. Tant que les bonnes âmes se relaient pour le meilleur, l’art continuera de sauver le Liban.
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