L’option «Direction est», un piège à multiple dangers  
La possibilité pour le Liban de se diriger vers «l’Est» fait de nouveau la une: le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a proposé à nouveau lors de son dernier discours de s’ouvrir à la Chine, en attendant la mise en œuvre d’un plan de réforme par le gouvernement. Pour lui, ce serait un moyen de renforcer la livre libanaise par des investissements, soulignant que «la Chine est prête à investir au Liban dans des projets estimés à 12 milliards de dollars». M. Nasrallah a poursuivi en évoquant l’Arabie Saoudite qui a «invité le président chinois à Riyad et organisé trois sommets avec la Chine, générant des investissements qui s’élèvent à des centaines de milliards de dollars».

Le secrétaire général du Hezb s’est interrogé sur ce plan: «Si la Chine est prête à investir au Liban, quelles sont donc les raisons du blocage? Une affaire pareille ne nécessite qu’une simple prise de décision et un brin de courage politique».

Bien qu’il soit peu judicieux de comparer l’Arabie Saoudite – dont l’économie colossale est estimée à un trillion de dollars – au Liban, qui croule du fait de la plus grande crise économique de son histoire (avec une dette publique s’élevant à 40 milliards de dollars selon la plateforme de «Sayrafa», on se demande quand même ce qui adviendra d’une ouverture du pays au Céleste Empire. Partant, le Liban empruntera-t-il à nouveau la Route de la soie?

Quid de la nouvelle Route de la soie?

Il s’agit d’une voie commerciale maritime et terrestre que la Chine cherche à redynamiser depuis 2013 afin de relancer son échange avec le monde, sachant que cette voie existe en fait depuis l’an 200 av-J.C. et a été désaffectée par l’Empire ottoman qui avait le monopole sur le commerce de la région toute entière. Aujourd’hui, celle-ci est connue sous le nom de «la ceinture et la route». On y investit à l’heure actuelle des milliards de dollars, consacrés à l’infrastructure et au développement de routes, de chemins de fer, d’aéroports, de ports et de cités industrielles. On compte le Qatar parmi les plus grands pays arabes à soutenir et financer le projet, ayant pris part au forum de la Route de la soie, organisé en Géorgie en novembre 2017. La Syrie, quant à elle, a participé, à Pékin en 2018, à la conférence «une ceinture, une route». Le Liban contribue, lui aussi, à cette initiative, dans le cadre d’une conférence similaire qui s’était tenue sur son territoire en 2017, au siège de la Fédération des chambres de commerce arabes, sous le parrainage de l’ancien Premier ministre Saad Hariri.

La voie terrestre s’étend de la Chine aux Pays-Bas, en passant par le Kazakhstan, l’Iran, la Turquie, la Russie, l’Allemagne et l’Italie.

La voie maritime, elle, a pour point de départ la Chine et se termine en Italie, en traversant le Vietnam, la Malaisie, l’Inde, le Sri Lanka, le Kenya et la Grèce.

Certains y voient une volonté chinoise de dominer le monde et de s’élargir sur le plan économique. D’autres qualifient ce projet d’«hégémonie positive» qui respecte les droits et les cultures des peuples et dont les intérêts n’entrent pas en conflit avec ceux des autres États.

Les pourparlers libano-chinois sont entamés, mais…

Dans le cadre de la conférence «Projet une ceinture, une route pour le Liban: conférence de la route de la soie», tenue en 2017, la Chine et le Liban ont signé trois accords autour de la Route de la soie:

  • L’accord de coopération entre la Fédération des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture au Liban, et la chambre de commerce internationale pour la Route de la soie.

  • L’accord de coopération entre la Fédération des chambres arabes et la chambre de commerce internationale pour la Route de la soie.

  • L’accord de coopération entre le Conseil municipal de Beyrouth et les Nations-Unies autour de la Route de la soie continentale et maritime.                                                                    À ces accords s’ajoutent:

  • Une entente entre le gouvernement de la République populaire de Chine et le gouvernement de la République libanaise autour de la «promotion commune de la coopération dans le cadre de la ceinture économique de la Route de la soie» et de l’initiative de la route maritime de la soie au 21ᵉ  siècle.

  • Un accord de coopération signé par le chef de la fédération des municipalités de Feyhaa, le chef de la municipalité de Tripoli et une délégation chinoise onusienne de haut niveau, afin de promouvoir la route continentale et maritime de la soie (la Chine souhaitait alors que Tripoli intègre l’alliance du projet de la soie, que son port soit élargi, que les investissements y soient encouragés, qu’un projet de reconstruction de l’aéroport de Kleiat soit lancé et que les chemins de fer soient réhabilités).



Le fonds de la Route de la soie envisageait d’investir environ 50 milliards de dollars – dont 2 milliards de dollars au Liban – dans les États situés sur la Route de la soie.

Or ces accords ont tous été signés en 2017, avant le soulèvement du 17 octobre 2019. Le Liban a ensuite sombré dans une crise économique sans précédent et a été victime, en 2020, de l’explosion au port de Beyrouth, sans compter les répercussions de la Covid-19. A l’évidence, les circonstances économiques et financières favorables à ces accords ne sont plus d’actualité. La Chine s’est désintéressée donc du Liban, alors qu’elle ambitionnait de faire du pays du Cèdre un carrefour du commerce arabe et son point d’accès vers la région, selon le président de la Chambre de commerce internationale de la Route de la soie, Lu Jianzhong.

La Chine ne souhaite pas investir au Liban

Dans un entretien  au site en ligne Houna Loubnan, le journaliste Tony Abi Najem explique: «La Chine n’a proposé aucun investissement au Liban, que ce soit dans les centrales électriques ou dans la reconstruction du port de Beyrouth, malgré le fait que nombre d’États européens, dont l’Allemagne et la France, ont fait plusieurs offres sur ce plan. L’ambassadeur de Chine à Beyrouth a même déclaré que la Chine ne souhaite pas investir au Liban dans les circonstances actuelles».

Et M. Abi Najem d’ajouter: «Lorsque les États-Unis ont imposé des sanctions à l’Iran, les entreprises chinoises ont été les premières à s’en retirer. D’après les rapports parus dans la presse étrangère, il semble que le Liban ne se situe pas sur la Route de la soie que la Chine envisage d’aménager. Effectivement, la première voie passe par la Turquie sans traverser le Liban ou la Syrie. La seconde passe par l’Europe jusqu’à la Russie». Tony Abi Najem s’interroge à cet égard: «Comment la Chine s’intéresserait-elle au Liban, à l’heure où l’Occident tout entier craint d’y investir, en raison de la situation économique et sécuritaire du pays?»

M. Abi Najem poursuit sur ce plan: «Le Liban n’a pas la capacité économique de s’engager dans des échanges commerciaux avec la Chine. Le marché libanais n’intéresse pas la Chine. En taille, il ne dépasse même pas une de ses rues, contrairement au marché américain auquel contribuent 390 millions de personnes, et au marché européen qui est tout aussi large. Ajoutez à tout cela le fait que ces États ont des secteurs économiques développés soutenus par le gouvernement, qui leur permettent de tisser des relations commerciales solides».

Se tourner vers l’Est aurait de lourdes conséquences

De son côté, l’expert en économie Antoine Farah précise dans un entretien avec Houna Loubnan «qu’il y avait une certaine volonté de se montrer conciliant envers la Chine et les États dits de l’axe de l’Est, comme la Russie et l’Iran». Cette option remonte déjà à plusieurs années. Quant au slogan ‘Direction est’, il a fait l’objet de longs débats au Liban sans faire l’unanimité, du fait qu’il revêt en apparence un caractère économique alors qu’en réalité il est de nature foncièrement politique. Il ne faut pas oublier non plus que coopérer avec la Chine, c’est coopérer avec l’Iran, qui est une puissance régionale dans l’axe de l’Est, et cela peut bien évidemment entraîner des sanctions pour le Liban.

Et M. Farah d’ajouter que «les relations économiques et diplomatiques entre le Liban et la Chine existent toujours, mais le défi reste de savoir si celle-ci coopérera davantage et investira au Liban suite aux appels d’ouverture en direction de l’Est». C’est toute cette problématique que M. Nasrallah a évoqué dans son discours.

Antoine Farah insiste sur le fait que «le danger que représente cette orientation est plus grand que jamais». «Par le passé, on craignait qu’une ouverture à la Chine ne se répercute négativement sur les rapports libano-américains, précise M. Farah. Aujourd’hui, le risque est bien plus grand, puisqu’il s’agit actuellement d’un conflit entre deux axes: celui de la Chine, alignée à l’est avec la Russie et les États alliés à l’Iran, contre celui de l’Occident”. M. Farah s’interroge dans ce cadre sur le fait de savoir si «le Liban a intérêt à s’allier à l’un des deux axes à l’heure actuelle».

«Si nous prenons l’Arabie Saoudite comme exemple, celle-ci est capable de se protéger et d’attirer des investissements chinois sans compromettre ses rapports avec les États-Unis. En revanche, le Liban n’est pas sûr de pouvoir emboîter le pas de l’Arabie Saoudite, sachant que notre économie libérale est en danger et que plusieurs camps tentent de changer le visage de notre pays. Pour cela, je ne pense pas qu’il est dans notre intérêt de nous ouvrir à la Chine, sinon nous risquerons le pire qui, en soi, est bien pire que notre situation actuelle», conclut Antoine Farah.

Dans ce contexte, il serait utile de relever qu’un rapport élaboré par le FPRI (Foreign Policy Research Institute, l’Institut de recherche sur la politique étrangère), en octobre 2020, souligne que «Pékin tente délibérément d’attirer les pays pauvres en les criblant de dettes qu’ils ne peuvent pas rembourser, afin de financer les projets d’infrastructure». «Cela permet à la Chine de mettre la main sur ces avoirs et de s’élargir stratégiquement lorsque ces pays se retrouvent en défaut de paiement», souligne fort à propos l’étude en question.
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