Le 25 mars: une solennité «nationale» cherchant un avenir
Le Liban est le seul pays au monde où l’Annonciation, célébrée le 25 mars, est une «fête nationale islamo-chrétienne». Bien que leurs institutions agonisent sous les yeux du monde entier, des Libanais ont tenu samedi à célébrer cet anniversaire.

Le Liban est le seul pays au monde où l’Annonciation, annonce par l'archange Gabriel de la naissance virginale de Jésus, est une «fête nationale islamo-chrétienne». Bien que le Liban se décompose institutionnellement sous les yeux du monde entier, des Libanais ont tenu samedi à célébrer cette fête de la «fraternité humaine», marquée cette année par l’appel du Pape à consacrer à nouveau le monde au «Cœur immaculé de Marie».

La Vierge occupe une place suréminente dans le christianisme et l’islam. Le christianisme ne peut pas être pensé sans elle. Elle y est la mère du Verbe incarné, «Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière».  Dans l’islam, sa place est moins centrale, mais toujours irremplaçable  comme mère immaculée de Jésus (Issa dans le Coran), pivot mystérieux de l’histoire du Salut et des fins dernières. Dans les deux religions, elle est mère immaculée de son fils, chair de sa chair, dont la naissance virginale survient hors du processus normal de la procréation.

Des différences dogmatiques

Dans le credo chrétien, comme dans l’islam, Jésus est «conçu de l’Esprit saint, né de la Vierge Marie». Mais les deux récits évangélique et coranique ne sont superposables que sur ce point. Ils diffèrent dogmatiquement sur bien des sujets, qu’ils soient essentiels ou secondaires, et le dialogue islamo-chrétien a pour fonctions, entre autres, d’empêcher que ces différences dogmatiques ne soient instrumentalisées, et ne se transforment en oppositions politiques et sociales irréductibles, sources potentielles de violences.

Ces violences ont marqué les 14 siècles d’existence des deux croyances, de l’époque des Croisades à celle du groupe «Etat islamique» dont l’extrême cruauté, due à une lecture littéraliste du texte coranique, n’a pas fini de choquer aussi bien les chrétiens que les musulmans.

Il est tout à l’honneur de l’islam libanais contemporain d’avoir, dans l’ensemble, réagi à cette grave dérive et emboîté le pas aux efforts pour dégager la religion musulmane de tout essentialisme, et l’adapter aux exigences d’une modernité bien comprise. C’est cet islam modéré et dynamique, de la citoyenneté, que le pape Jean-Paul II a présenté en modèle au monde dans l’exhortation apostolique qu’il a consacré au Liban en 1997. En affirmant que le Liban est «plus qu’un pays, un message de tolérance et de liberté», Jean-Paul II entendait parler de la situation de communauté culturelle et d’égalité civique et citoyenne que les musulmans et les chrétiens du Liban vivent bon an mal an, côte à côte, notamment au niveau du partenariat politique.

Une place bien choisie


Sur les plans culturel et religieux, qui se recoupent au Liban – non sans l’existence d’un certain socle démographique –, la Vierge Marie occupe une place si bien choisie qu’elle a permis l’apparition depuis 2010 d’une «fête nationale», qui coïncide avec la fête chrétienne de l’Annonciation (25 mars), sans la remplacer. Le Liban a de nouveau célébré, samedi, cette fête qu’il est le seul jusqu’à présent à chômer, par des cérémonies communes islamo-chrétiennes organisées dans différentes régions du pays, à Beyrouth, dans le Metn, à Baalbeck et à Jbeil. Dans son homélie dominicale, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, y a fait longuement référence.

Pour les musulmans, le 25 mars est venu deux jours après le début du mois de jeûne de ramadan. Pour les chrétiens, la fête est marquée cette année par l’appel du Pape François adressé à tous les catholiques de consacrer à nouveau le monde au «Cœur immaculé de Marie», une dévotion catholique spécifique à la pureté originelle de la Mère de Dieu.

«Ne nous lassons pas de confier la cause de la paix à la Reine de la Paix», a-t-il exhorté, lors d’une audience générale tenue Place Saint-Pierre, invitant «chaque croyant et chaque communauté, spécialement les groupes de prières, à renouveler tous les 25 mars l’acte de consécration du monde à la Vierge Marie », une consécration  que le Liban a déjà effectuée à deux reprises, sous le patriarcat de Béchara Raï, en y incluant le Moyen-Orient.

La cérémonie de Jbeil

À Jbeil, la cérémonie, célébrée samedi successivement dans la cathédrale Saint-Jean et la mosquée sultan Abdel-Magid s’est tenue en présence de l’évêque du lieu, Mgr Michel Aoun, et surtout de cheikh Mohammad Nokkari, à qui le Liban doit, au début des années 90 du siècle dernier, la première impulsion ayant conduit à la proclamation de la «fête nationale» islamo-chrétienne du 25 mars.

Conscient des cérémonies répétitives marquant la célébration de cette fête «nationale»  bâtie sur un socle religieux, Mohammad  Nokkari, qui fut un temps secrétaire général de Dar el-Fatwa,  cherche par ses écrits à la consolider historiquement et à lui donner un avenir, en la liant notamment au «Document sur la fraternité humaine» d’Abou Dhabi (2019), signé conjointement par le Pape François et le grand cheikh d’Al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb. Il n’omet pas de souligner que ce document est le fruit d’une amitié entre les deux hommes à laquelle il est particulièrement sensible, et qu’il serait trop long de détailler ici.

Sensible à l’appel du Pape, il a tenu devant nous à endosser son appel à la consécration du monde au Cœur immaculé de Marie, ainsi que sa prière incessante pour le retour à la paix en Ukraine et dans le monde; un monde où les rumeurs de guerres se multiplient, au cœur même de l’Europe, ainsi que dans le continent asiatique, manifestant une «troisième Guerre mondiale par morceaux », comme l’assure le Pape.
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