Bibliothérapie: Comment trouver le courage de continuer?
On dit toujours que le peuple libanais est courageux. Que rien ne peut nous abattre. Que notre amour de la vie est tel que nous surmontons toutes les épreuves. C’est vrai. Nous avons toujours su garder espoir, rebâtir une fois, dix fois, et regarder vers le haut, vers ce petit coin de ciel bleu qui guide notre détermination. Mais nous n’allons pas nous mentir, notre joie de vivre, notre courage, notre optimisme ont été bien mis à l’épreuve en ces temps surréalistes que nous vivons depuis plus de trois ans. Alors où puiser la force nécessaire pour continuer à vivre, à espérer, à avancer? Et à se battre… quand même… un peu…?

Nous ne reviendrons pas sur le pouvoir de la lecture. Ces mots que l’on absorbe telle une éponge et qui fatalement auront un impact sur notre humeur. Oui, les mots peuvent changer les choses, ça on veut bien le répéter encore et encore. Il suffit juste de savoir les choisir et surtout de les laisser faire leur travail. Et ces mots sont dans les livres. La littérature peut beaucoup. Elle peut «nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre». (Tzvetan Todorov)

À l’heure où les braves à imiter sont aux abonnés absents et où les héros à admirer viennent à manquer, revenons à nos classiques si rassurants. Relire L’Odyssée d’Homère, c’est suivre le rusé et si courageux Ulysse qui, durant près de dix ans, a dû affronter tous les périls du monde avant de pouvoir enfin rejoindre les siens. «Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage.» Oui, mais combien de dangers, de malheurs notre héros mythique et épique a-t-il dû affronter? Seulement voilà, entre ruse et force, résilience et intelligence, le roi d’Ithaque a su aplanir tous les obstacles. «Car son destin est de revoir les siens, de revenir en sa haute demeure et sur le sol de son pays»...

Relire L’Odyssée, c’est comprendre qu’Ulysse incarne le courage dont on a besoin alors que nous sommes en pleine tempête:

«La houle au gré des courants, l’emportait de-ci de-là»
«Comme quand, au temps des fruits, le Borée balaie les chardons dans la plaine, et ils s'agglomèrent en paquets»
«ainsi, les vents sur l’eau le ballotaient de-ci de-là»
«Tantôt c’était le Notos qui le jetait au Borée (…) tantôt c’était l’Euros qui le renvoyait au Zéphyr»
«Comme le vent violent balaie un tas de paille sèche et disperse le chaume à tous les coins du ciel»
«Et, pendant deux nuits et deux jours, Odysseus erra par les flots sombres, et son coeur vit souvent la mort; mais quand Éôs aux beaux cheveux amena le troisième jour, le vent s’apaisa, et la sérénité tranquille se fit; et, se soulevant sur la mer, et regardant avec ardeur, il vit la terre toute proche.» 
Et ça fait du bien.

«Nous partîmes 500; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes 3000 en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient leur courage !»


Cette tirade du Cid de Corneille nous ramène aux caractéristiques des héros des tragédies connus pour leur noblesse, leur grandeur d’âme, leur sens de l’honneur et aussi leur incroyable courage devant des épreuves qui ne leur épargnent rien. Courage aussi de savoir reconnaître leurs propres faiblesses quand elles les empêchent d’accomplir leur devoir. Relire Andromaque, Horace ou encore Phèdre et Iphigénie, c’est quelque part puiser dans les tragédies la force de surmonter son destin propre. «Le courage authentique requiert l’existence de la peur, ainsi que le surpassement de celle-ci dans l’action.»

Dans la littérature contemporaine, les choses à affronter ne seront évidemment pas les mêmes bien que les démons intérieurs resteront une constance des faiblesses de l’être humain. Lire les vécus de personnes qui se battent dans la vie nous donne envie d’être courageux à notre tour. La vie devant soi d’Émile Ajar ou Romain Gary raconte l’histoire de Momo et Madame Rosa. Deux êtres brisés par la vie, condamnés au malheur et qui vont se donner amour, tendresse et soins. La vie est devant soi. Un superbe message d’espoir à relire pour se sentir moins seul et se dire qu’il faut profiter de chaque étincelle de vie.

«Je me suis couché par terre, j’ai fermé les yeux et j’ai fait des exercices pour mourir, mais le ciment était froid et j’avais peur d’attraper une maladie.»


«Les gens tiennent à la vie plus qu’à n’importe quoi, c’est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu’il y a dans le monde.»

Plus près de nous, passer 227 jours dans un canot pneumatique avec un tigre du Bengale et y survivre, telle est l’extraordinaire Histoire de Pi de Yann Martel. À lire pour se dire qu’on peut toujours s’en sortir:

«Il n’y a que la peur qui puisse vaincre la vie. C’est une ennemie habile et perfide, et je le sais bien. Elle n’a aucune décence, ne respecte ni lois ni conventions, ne manifeste aucune clémence. Elle attaque votre point le plus faible, qu’elle trouve avec une facilité déconcertante.»

«Et j’ai survécu parce que je me suis efforcé d’oublier (...) Je ne comptais ni les jours ni les semaines ni les mois. Le temps est une illusion qui nous essouffle, rien d’autre ? J’ai survécu parce que j’ai oublié jusqu’à la notion de temps.»

«La désespérance était une profonde noirceur qui ne laissait ni entrer ni sortir la lumière. C’était un enfer indescriptible. Je remercie Dieu qu’elle ait toujours fini par disparaître.»

«La vie est si belle que la mort en est tombée amoureuse, d’une passion jalouse, sans partage, qui s’accroche à tout ce qu’elle peut. Mais la vie bondit délicatement au-dessus du néant en perdant seulement quelques parcelles sans importance, et la tristesse n’est que l’ombre d’un nuage qui passe.»

Comment ne pas citer encore et toujours le grand Gibran parce qu’en lisant Le Prophète, on trouve vraiment tout ce qui fait la vie?

«N'avez-vous pas entendu parler de l’homme qui creusait la terre pour trouver des racines et qui tomba sur un trésor?»

«Ce qui est vous plane au-dessus de la montagne et flâne avec le vent. Ce n’est pas une chose qui se traine au soleil pour se réchauffer ou qui se terre dans l’obscurité pour se protéger. Mais c’est une chose libre, un esprit qui enveloppe la terre et flotte dans l’éther.»

Et pour finir, les mots merveilleux de Christian Bobin qui, quel que soit l’extrait que l’on lit ou le moment où on le lit, a toujours la magie qu’il faut pour juste avoir envie de sourire malgré tout:

«Trois jours. Trois nuits. J’ai passé trois jours et trois nuits à bord de ce rafiot martyrisé par la tempête. Même dans mon sommeil, là où plus rien ne bouge, quand aucun brin d’herbe n’est agité par une brise dans la prairie noire du cerveau, là où tout est noir, trempé de noir et seulement lézardé en surface par les feux follets d’un rêve, même dans la soute noire du cerveau plombé par les puissances du sommeil, même là j’entendais le halètement des vagues, la butée de l’eau lourde contre mes os, les gifles données par une main d’acier noir, la fascinante approche de la fin des étoiles, de l’océan, du navire et de moi. Trois jours et trois nuits sur ce bateau, à sentir mon cœur se décrocher dans ma poitrine, à glisser dans l’abîme d’une peur aux yeux noirs, une peur qui était devenue visage, un visage qui était celui de ma fin, de la fin des étoiles et du diable et de dieu et de tout – sauf de la peur. Je parlais, je mangeais. Je pensais à d’autres choses. La peur ne me quittait pas, délicieuse et brutale. De rouge mon sang passait au noir. La nuit me remontait au cœur. La nuit était la cargaison de ce bateau dont les bois hurlaient. J’ai su ce qu’était mourir, lever la tête et voir les étoiles pleuvoir et s’éteindre: plus rien. Plus rien qu’un cercle d’eau noire autour du navire sur lequel je m’étais sans trop savoir pourquoi embarqué. Plus rien qu’une muraille de feu noir, un tonneau cerclé de cris dans lequel je roulais, perdais mon sang, ma force, trois jours, trois nuits. Et la confiance au bout. Non, pas au bout: à l’intérieur du bloc noir, dans la gueule béante du noir, le point jaune de la confiance. C’était donc ça. Il fallait donc passer l’épreuve du noir, l’épreuve du naufrage prochain, certain, il fallait donc embrasser la peur aux yeux furieux, l’aimer comme du bon pain, continuer la traversée, perdre pied, perdre cœur et continuer quand même, voir le ciel passé à la limaille de fer, les étoiles en tomber comme de la sale poussière d’or, et entendre à cet instant, à cette perfection accomplie du désastre, entendre la bonne voix confiante, paisible, la voix jaune clair qui promettait de ramener le bateau au port. Trois jours, trois nuits à vivre crâne ouvert, à entendre le sinistre déchirement du tissu de l’invisible et assister au suicide de Dieu en direct sous mes yeux, dans mes yeux, des tonnes d’eau noire explosant dans la cale du cerveau, la fin des projets et des rêves. Et toujours ce rien de la confiance, cette incroyable traînée de poudre d’une paix profonde, plus profonde que la mort et ses océans lâchés. Arc-bouté à la mort, d’un coup la renverser: j’avais vécu ce renversement. Qu’est-ce que tu as? Rien, je viens de finir la lecture de Typhon de Conrad. J’ai mis trois jours et trois nuits à le lire. C’est bien? Je ne sais pas répondre à ta question. Un livre est voyant ou il n’est rien. Son travail est d’allumer la lumière dans les palais de nos cerveaux déserts. L’écriture en sait plus long que la mort et de ça, je suis sûr. J’ai payé pour le savoir: trois jours, trois nuits.» 

Tania Hadjithomas Mehanna
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