Grasse met le Liban à l’honneur
Tout en floraison, la ville de Grasse, où déjà s’annonce le printemps, a revêtu, pour la semaine de la francophonie, les couleurs du Liban. Car partager une langue, c’est partager une identité linguistique, une vision du monde et des valeurs. Et ça se fête. Hisser le drapeau d’un pays francophone en déliquescence et mettre en lumière sa littérature, sa poésie, sa musique et sa gastronomie, c’est témoigner d’une indéfectible solidarité. Pour le maire de Grasse, Jérôme Viaud, c’est l’expression d’une profonde amitié pour le peuple libanais. Entretien avec Jérôme Viaud.

Au cœur de la ville qui bourgeonne et exhale un parfum de fleurs, la semaine de la francophonie a des allures printanières. Le maire de Grasse, Jérôme Viaud, a prononcé, lors du lancement de la traditionnelle grande dictée (un texte de Gérard de Nerval sur Beyrouth) et en hommage à la francophonie, un discours à la médiathèque Charles Nègre: «Après le Québec, c’est le Liban qui est mis à l’honneur pour cette édition, à travers toute une série de rencontres, d’événements, et d’initiatives. Grasse, fidèle à son ouverture sur le monde, a toujours tenu à promouvoir des liens forts avec les pays appartenant à cette magnifique alliance linguistique qui permet de cultiver notre singularité. Célébrer la francophonie, c’est célébrer une organisation qui rassemble 88 États membres, répartis sur tous les continents. Célébrer la francophonie, c’est rendre hommage à une communauté de destins qui transcende les cultures et permet le maintien d’un dialogue intense au-delà des différences. Célébrer la francophonie, c’est avant tout défendre une langue qui est aujourd’hui parlée par plus de 300.000 millions de locuteurs à travers le monde qui gardent ainsi un lien indéfectible avec la France. Cette vocation universelle doit être défendue, préservée et développée, car, à travers elle, c’est un certain rapport au monde qui s’exprime, au sein duquel la culture occupe une place prépondérante.»



Jérôme Viaud ne laisse pas d’exprimer son admiration envers les Libanais pour qui la transmission de la langue française d’une génération à l’autre est une richesse: «La francophonie représente aussi un système de valeurs dans lequel nous nous reconnaissons tous et qui distingue notre pays. À ce titre, le Liban a toujours constitué un modèle en faisant rayonner notre langue dans tout le Proche et Moyen-Orient. Malgré les rivalités religieuses, les crises politiques ou la guerre, il a réussi à faire de la diversité de son peuple une force en façonnant une culture unique par le degré de raffinement auquel elle est parvenue. C’est pourquoi Grasse est fière de mettre à l’honneur ce territoire si particulier qui regroupe une mosaïque de communautés unies par un destin commun.»

Comment ne pas, en l’occurrence, rappeler que l’enracinement de la langue française au Liban est antérieur au mandat français de 1920, que les missions religieuses françaises (Jésuites, Capucins, Lazaristes), à partir du XVIIe siècle, ont fondé des écoles et encouragé l’implantation de la langue française au Liban? Après la Première Guerre mondiale, la présence française s’est attachée à étendre l’enseignement du français au Liban dans les secteurs privé et public; le français et l’arabe ont alors été reconnus comme langues officielles. Si, en 1943, après l’indépendance du Liban, l’arabe seul constitue la langue officielle, le français occupe tout de même une place privilégiée. Il est inscrit dans la Constitution comme seconde langue officielle et utilisé dans les textes administratifs. Dès 1973, le Liban devient un État membre de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie).


Le choix du maire de Grasse de mettre à l’honneur le Liban n’est pas fortuit, il relève de son attachement au pays du cèdre: «Pour moi, les Libanais sont un peuple très proche des Français. Un peuple que j’admire beaucoup. C’était important de mettre à l’honneur le Liban pour dire combien nous sommes solidaires avec lui.» Parmi les divers événements qui l’ont marqué: «Ce sont les magnifiques textes de Gibran qui sont de grande actualité.»  Il y a aussi la volonté de rassembler les gens autour des gastronomies française et libanaise puisque des plats libanais étaient proposés durant la semaine des festivités: «Nous voulions mêler nos traditions culinaires, et ce fut un succès puisqu’il y a eu une grande fréquentation. L’objectif, ajoute-t-il, est de créer des liens avec le Liban en ouvrant ce portail. Nous projetons déjà pour la fête du Fassum, spécialité grassoise, d’organiser un repas avec nos amis Libanais.»



La semaine foisonne d’activités culturelles en hommage au Liban et, à ce sujet, Jocelyne Bustamente, déléguée à la francophonie à la mairie de Grasse, nous explique: «Chaque service a eu une mission. La célébration du centenaire du Prophète, de Gibran Khalil Gibran, initiée par Philippe Père, conservateur des bibliothèques, s’est faite à travers la présentation de l’œuvre et d’éditions anciennes en anglais, français et arabe, accompagnées d’autres œuvres de l’auteur, d’extraits affichés dans l’enceinte de la médiathèque Charles Nègre. Ainsi, les élèves de chant choral du Conservatoire de musique de Grasse ont présenté un spectacle intitulé «Il était une fois… le cèdre et le chêne», sous la direction de leur professeure, Isabelle Ankry. Le cèdre et le chêne sont représentatifs des deux pays. Ils ont interprété de magnifiques chants, dont ceux des compositeurs Zad Moultaka et Ycare, ainsi que les hymnes libanais et français. Les élèves appréhendaient un peu d’interpréter les chansons en arabe, mais ils se sont motivés les uns les autres. Des poèmes de Georges Schéhadé et de Nadia Tueni ont été lus dans la chapelle de la Visitation. »

La diaspora libanaise dans les Alpes-Maritimes, représentée par le CLIF (Collectif Liban France) avec, à sa tête, Salam Saaifan dont l’attachement au pays est sans faille, s’applique, de l’autre côté de la Méditerranée, à mettre en lumière son patrimoine culturel. «Le Collectif Liban France est né de la volonté d’unir nos énergies, nos talents et nos compétences au service de l’amitié et de l’entraide entre la France et le Liban. La diaspora libanaise dans les Alpes-Maritimes, toutes communautés confondues, s’est unie dans un esprit de solidarité pour créer le Liban qui nous ressemble et nous rassemble», explique Salam Saaifan dont l’objectif premier est d’aider le Liban et qui participera, aux côtés de la mairie de Grasse et de la confrérie du Fassum, au prochain événement dédié au Liban.

Un riche débat entre Rita Karam Paoli, présidente de France-Québec-Côte d’Azur et Georgia Makhlouf, écrivaine francophone, s’est déroulé dans l’espace culturel autour des auteurs libanais, de la presse et du système éducatif francophones, ainsi que de l’évolution de la francophonie au Liban. De même, la maison de la poésie de Grasse s’est déplacée avec Lambert Savigneux au Musée international de la parfumerie pour une évocation poétique, parmi les parfums, objets et senteurs, sur les traces de Salah Stétié, Adonis ou Andrée Chedid. La projection de Memory Box, de Khalil Joreige et Joanna Hadjithomas, au cinéma Le Studio, a vu affluer un grand nombre de cinéphiles, heureux de découvrir le cinéma libanais.
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