Ce ne sont pas les 184 minutes qui allaient décourager les spectateurs, venus assister à l’avant-première des «Contes de la maison mauve» à Paris, de suivre de bout en bout, la peintre libanaise Nour Ballouk, filmée par son cinéaste de mari, le franco-irakien Abbas Fahdel, dans les méandres de leur quotidien, durant trois ans, au Liban.
Les Contes de la maison mauve suivent, à travers l'objectif de son mari, Abbas Fahdel, la peintre Nour Ballouk, pendant trois ans, au Liban. Un Liban traversant, de 2019 à 2022, une crise politico-financière, sanitaire et sécuritaire, mais toujours étonnamment debout.
Chacun par les moyens de son art, les deux époux essaient de saisir les beautés et les infortunes de ce pays généreux qui peine à nourrir ses enfants, les obligeant souvent à l’exil. L'habileté du cinéaste Abbas Fahdel, installé au Liban depuis 2016, transporte le spectateur dans la douceur méridionale du pays du Cèdre, avant de le catapulter au cœur du tumulte beyrouthin. Il lui fait explorer un Liban aux multiples facettes, au bord de l’abîme, mettant en exergue sa dualité, entre la vie et la mort, la guerre et la paix, la beauté et la laideur.
Le film documentaire de Fahdel, structuré en trois chapitres, débute dans le petit village de Kfour au Sud-Liban dans le caza de Nabatieh – à ne pas confondre avec le village du caza de Kesrouan au Mont-Liban ni avec Kfour el Arbeh dans le caza de Batroun au Liban-Nord – où la caméra suit les faits et gestes de son épouse Nour pendant le confinement.
Dans ce premier chapitre, Abbas Fahdel dépeint le quotidien de Nour qui passe le plus clair de son temps à peindre. La caméra la suit dans la cuisine, dans le jardin où évoluent des chats qui cohabitent avec d’autres animaux, parfois improbables, entraînant le spectateur dans sa réalité. Nour échange souvent avec Moussa, un jeune réfugié syrien doté d’une sagesse et d’une maturité candides. Le tournage se poursuit saison après saison. On voit ainsi le vent frais, puis la neige, balayer la douceur estivale, le tout ponctué de magnifiques couchers de soleil, dans les montagnes du Jabal Amel, sur les hauteurs de Nabatiyé/Kfour. Nous sommes en plein Covid, les avis de décès et les funérailles se succèdent. Malgré la morosité ambiante, la caméra de Fahdel garde son impassibilité toute wendersienne, fil conducteur de tout le film documentaire. Elle relaie le quotidien soporifique de ce village perdu du Sud-Liban, laissant transparaitre, au fil des séquences, la personnalité sereine et posée de Nour.
Fahdel braque ensuite son objectif sur Beyrouth. Le rythme change. Il passe aux antipodes de l’ambiance paisible du village, projetant le spectateur au cœur du ramdam beyrouthin. Ce deuxième chapitre est très mouvementé. Il raconte l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, et enchaîne avec un aller-retour constant entre le tumulte beyrouthin et la douceur du Sud-Liban. Dans le troisième chapitre, intitulé «Paille au vent», le réalisateur nous présente Hussein. Ce dernier sauve les chiens errants avec ses propres moyens, limités. Hussein est persuadé que le rapport entre l’homme et l’animal est déterminant de la fin que lui réserve le bon Dieu. Fahdel s'autorise un petit clin d’œil à son film précédent en emmenant Nour visiter le camp de réfugiés syriens où il avait tourné «Bitter Bread» (pain amer) en 2019.
Abbas Fahdel est né à Babylone, en Irak. A l’âge de 18 ans, il s’installe en France. En 1986, il obtient son doctorat – le sujet de sa thèse est l'analyse de l'œuvre cinématographique du réalisateur allemand Wim Wenders. Longtemps enseignant, observateur et critique de cinéma, il décide un jour de se munir d’une caméra et de partir filmer son pays d’origine, l’Irak, en 2002. Il réalise ainsi un documentaire intitulé «Retour à Babylone», qui décrit de justesse un Irak voué à disparaître. En effet, un an plus tard, les troupes américaines envahissent le pays. Douze ans après, Homeland voit le jour: un film documentaire de cinq heures et demie qui rafle pas moins de 12 prix dans plusieurs festivals de cinéma autour du globe, dont le Locarno Film Festival (Suisse). Abbas Fahdel récidive avec «Contes de la maison mauve», dans lequel il présente son pays d’adoption, le Liban, sous un angle différent, loin des clichés de la guerre et des clivages communautaires. Pour ce faire, il prend tout son temps, revendiquant le droit de s'étendre à volonté. Ainsi, le 26 mars 2023, il s’insurge en ces termes sur son compte Facebook :
«Que des producteurs, des distributeurs, des exploitants et des diffuseurs TV déconseillent aux cinéastes, pour des considérations purement commerciales, de faire des films trop longs (traduisez : d'une durée de deux heures ou plus), cela peut se comprendre. Mais que penser des critiques qui reprochent aux producteurs de laisser la liberté aux cinéastes de faire des films "trop longs"?!»
Dans ses films documentaires, «Homeland, Irak année zéro» (334 minutes) ou «Contes de la maison mauve» (184 minutes), on ne peut manquer de noter l’influence de Wim Wenders, que Fahdel décrit ainsi: «son style moderne se caractérise par l'homogénéité linéaire de la narration et l'utilisation de la dédramatisation comme nouvelle forme de dramaturgie débarrassée de tout effet ostensible de mise en scène. Il exclut tout discours direct et rhétorique agressive et privilégie les détails quotidiens qu'il convertit dans un système narratif qui leur permet de dégager un (leur) sens. Il privilégie les personnages par rapport à l'intrigue, ce qui donne aux acteurs une importance capitale.» Et c’est bien cette dédramatisation qui caractérise aussi l’œuvre de Fahdel, oscillant entre documentaire et fiction, sans jamais entrer dans aucun cadre préétabli. Une catégorie unique, qui fait appel à la sensibilité de chacun, à prendre ou à laisser.
Les Contes de la maison mauve suivent, à travers l'objectif de son mari, Abbas Fahdel, la peintre Nour Ballouk, pendant trois ans, au Liban. Un Liban traversant, de 2019 à 2022, une crise politico-financière, sanitaire et sécuritaire, mais toujours étonnamment debout.
Chacun par les moyens de son art, les deux époux essaient de saisir les beautés et les infortunes de ce pays généreux qui peine à nourrir ses enfants, les obligeant souvent à l’exil. L'habileté du cinéaste Abbas Fahdel, installé au Liban depuis 2016, transporte le spectateur dans la douceur méridionale du pays du Cèdre, avant de le catapulter au cœur du tumulte beyrouthin. Il lui fait explorer un Liban aux multiples facettes, au bord de l’abîme, mettant en exergue sa dualité, entre la vie et la mort, la guerre et la paix, la beauté et la laideur.
Le film documentaire de Fahdel, structuré en trois chapitres, débute dans le petit village de Kfour au Sud-Liban dans le caza de Nabatieh – à ne pas confondre avec le village du caza de Kesrouan au Mont-Liban ni avec Kfour el Arbeh dans le caza de Batroun au Liban-Nord – où la caméra suit les faits et gestes de son épouse Nour pendant le confinement.
Dans ce premier chapitre, Abbas Fahdel dépeint le quotidien de Nour qui passe le plus clair de son temps à peindre. La caméra la suit dans la cuisine, dans le jardin où évoluent des chats qui cohabitent avec d’autres animaux, parfois improbables, entraînant le spectateur dans sa réalité. Nour échange souvent avec Moussa, un jeune réfugié syrien doté d’une sagesse et d’une maturité candides. Le tournage se poursuit saison après saison. On voit ainsi le vent frais, puis la neige, balayer la douceur estivale, le tout ponctué de magnifiques couchers de soleil, dans les montagnes du Jabal Amel, sur les hauteurs de Nabatiyé/Kfour. Nous sommes en plein Covid, les avis de décès et les funérailles se succèdent. Malgré la morosité ambiante, la caméra de Fahdel garde son impassibilité toute wendersienne, fil conducteur de tout le film documentaire. Elle relaie le quotidien soporifique de ce village perdu du Sud-Liban, laissant transparaitre, au fil des séquences, la personnalité sereine et posée de Nour.
Fahdel braque ensuite son objectif sur Beyrouth. Le rythme change. Il passe aux antipodes de l’ambiance paisible du village, projetant le spectateur au cœur du ramdam beyrouthin. Ce deuxième chapitre est très mouvementé. Il raconte l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, et enchaîne avec un aller-retour constant entre le tumulte beyrouthin et la douceur du Sud-Liban. Dans le troisième chapitre, intitulé «Paille au vent», le réalisateur nous présente Hussein. Ce dernier sauve les chiens errants avec ses propres moyens, limités. Hussein est persuadé que le rapport entre l’homme et l’animal est déterminant de la fin que lui réserve le bon Dieu. Fahdel s'autorise un petit clin d’œil à son film précédent en emmenant Nour visiter le camp de réfugiés syriens où il avait tourné «Bitter Bread» (pain amer) en 2019.
Abbas Fahdel est né à Babylone, en Irak. A l’âge de 18 ans, il s’installe en France. En 1986, il obtient son doctorat – le sujet de sa thèse est l'analyse de l'œuvre cinématographique du réalisateur allemand Wim Wenders. Longtemps enseignant, observateur et critique de cinéma, il décide un jour de se munir d’une caméra et de partir filmer son pays d’origine, l’Irak, en 2002. Il réalise ainsi un documentaire intitulé «Retour à Babylone», qui décrit de justesse un Irak voué à disparaître. En effet, un an plus tard, les troupes américaines envahissent le pays. Douze ans après, Homeland voit le jour: un film documentaire de cinq heures et demie qui rafle pas moins de 12 prix dans plusieurs festivals de cinéma autour du globe, dont le Locarno Film Festival (Suisse). Abbas Fahdel récidive avec «Contes de la maison mauve», dans lequel il présente son pays d’adoption, le Liban, sous un angle différent, loin des clichés de la guerre et des clivages communautaires. Pour ce faire, il prend tout son temps, revendiquant le droit de s'étendre à volonté. Ainsi, le 26 mars 2023, il s’insurge en ces termes sur son compte Facebook :
«Que des producteurs, des distributeurs, des exploitants et des diffuseurs TV déconseillent aux cinéastes, pour des considérations purement commerciales, de faire des films trop longs (traduisez : d'une durée de deux heures ou plus), cela peut se comprendre. Mais que penser des critiques qui reprochent aux producteurs de laisser la liberté aux cinéastes de faire des films "trop longs"?!»
Dans ses films documentaires, «Homeland, Irak année zéro» (334 minutes) ou «Contes de la maison mauve» (184 minutes), on ne peut manquer de noter l’influence de Wim Wenders, que Fahdel décrit ainsi: «son style moderne se caractérise par l'homogénéité linéaire de la narration et l'utilisation de la dédramatisation comme nouvelle forme de dramaturgie débarrassée de tout effet ostensible de mise en scène. Il exclut tout discours direct et rhétorique agressive et privilégie les détails quotidiens qu'il convertit dans un système narratif qui leur permet de dégager un (leur) sens. Il privilégie les personnages par rapport à l'intrigue, ce qui donne aux acteurs une importance capitale.» Et c’est bien cette dédramatisation qui caractérise aussi l’œuvre de Fahdel, oscillant entre documentaire et fiction, sans jamais entrer dans aucun cadre préétabli. Une catégorie unique, qui fait appel à la sensibilité de chacun, à prendre ou à laisser.
Lire aussi
Commentaires