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Un Indien, arrivé en Grande-Bretagne il y a trente ans, y a bâti une grande fortune. Il a été anobli par la reine, est devenu député, puis ministre. L’un de ses frères, resté en Inde, à moitié mendiant, ne cesse de lui demander de le recueillir, le harcèle, lui promet d’apprendre l’anglais, de s’adapter… Il finit par céder et, pour se débarrasser des demandes de l’importun, l’invite à venir passer une semaine chez lui à Londres. Le frère arrive un matin, dépenaillé, sale, hirsute, ne parlant pas un mot d’anglais. Le riche Indien le remet aux mains de son personnel. Il est alors nourri, lavé, coiffé, soigneusement habillé. À la fin de la journée, avant de partir dîner, le riche Indien décide de passer voir ce frère qui l’encombre tant. Il traverse le salon et, à sa grande surprise, tombe sur celui-ci confortablement assis dans son propre fauteuil, un verre de whisky à la main, occupé à lire le Times. Entendant le maître de maison entrer, le frère lève un œil, et, sans se retourner, lui lance d’une voix bien assurée: "What a pity, we have lost India!"

Les multiples franchissements qui constituent les événements d’une psychanalyse se mesurent à des effets dits de "mutation subjective". Soudain, le patient constate qu’il a bougé, qu’il s’est déplacé de l’intérieur. Un tel constat survient souvent dans des moments résolutoires où un message nouveau apparaît, comme par surprise. Ce message ne nécessite alors aucun déchiffrage car il porte en lui-même son sens, celui d’un changement de place: "What a pity, we have lost India!".

Selon que l’on se pense d’un côté ou de l’autre, en l’occurrence indien ou britannique, on n’a pas la même vie. Ce qui se concevait comme destin – bénédiction ou malédiction inéluctablement inscrite dans l’histoire de chacun – peut, en partie au moins, devenir choix, dont les dés sont relancés. L’idée du destin fait de nous un objet, tantôt élu, tantôt maudit. Lorsque nous parlons, en revanche, et que dans notre parole se rejouent les significations que nous donnons aux choses, nous devenons sujets et reprenons la main.

C’est cela, la mutation subjective telle qu’elle est constamment en marche au cœur d’une analyse: mettre en jeu sa parole, découvrir un sens nouveau aux termes déterminant notre existence, et en tirer des conclusions qui ordonnent tout autrement les choses, à commencer par notre place. "Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience de celui qui l’a engendré". Cette phrase est d’Albert Einstein, le grand penseur de la gravitation, dont la biographie ou la légende révèle que son désir pour la science a été éveillé vers l’âge de cinq ans, par la contemplation d’une boussole.


Sabine Callegari

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