Professeur de lettres dans un lycée parisien, Thomas Oussin s’est révélé comme écrivain avec la parution en avril 2021 de son tout premier roman, Soleil de juin. Dans les interviews qui entourèrent la sortie en librairie de ce livre, très bien accueilli par la critique et dédié à sa famille, Thomas Oussin, qui est aussi dessinateur et acteur – il fut élève du cours Florent –, révélait son attachement à Fours, sa ville d’origine, et à la campagne nivernaise. Il en faisait le décor d’une action fictionnelle dont Enzo, adolescent de treize ans, était le principal héros. Il annonçait aussi travailler à l’écriture d’un second roman plus autobiographique.
L’adoption de la première personne pour le narrateur et les quelques alexandrins empruntés à Médée – tragédie de Corneille et terrible création du poète grec Euripide – ferait redouter le pire au lecteur s’il n’était pas averti dès la quatrième de couverture. Nous sommes à nouveau dans un roman, et si nous devons chercher la part autobiographique de l’auteur, elle réside sans doute dans l’affectueux portrait que fait de Ma, sa grand-mère maternelle, ce Victor de dix-sept ans, victime résiliente du plus terrible des drames familiaux. Thomas Oussin a d’ailleurs dédié ce nouvel opus à ses grands-mères. Et «la création est un cadre dans lequel je peux vivre tout ce que je n’ai pas vécu», avoue-t-il.
Ce qu’il nous livre pourrait être une histoire de maltraitance ordinaire, celle de deux petits Poils de carotte, livrés à la mère et délaissés ou maltraités, dans le contexte d’un divorce conflictuel sur fond d’adultère et de double vie… Mais c’est à un drame d’une autre envergure que vont être confrontées les jeunes vies de Victor, six ans, et d’Amandine, neuf ans.
Qu’a-t-il pu se passer dans la tête de cette femme trompée pour que la haine portée à l’époux se retourne contre les enfants issus de leur histoire commune? Jusqu’à vouloir les effacer socialement, et puis, jusqu’à commettre l’acte le plus effroyable qui soit: l’impensable infanticide? C’est dans l’histoire sanglante d’une folie vengeresse, celle qui leva le poignard de Médée sur les fils de Jason et se répercute, au fil des siècles, aujourd’hui dans les rubriques de fait divers et les chroniques judiciaires, que Thomas Oussin puise son inspiration. Des mois de séquestration et du fracas de violence d’un jour d’été sans lumière, seul Victor sortira vivant. Fragile mais vivant!
Le style de Thomas Oussin a évolué. À la douce luminosité de Soleil de juin, il oppose à présent cette obscurité qui est imposée aux deux enfants. Elle domine la lumière artificielle des lampes de chevet, le faisceau provisoire d’une lampe de poche découverte dans un tiroir, jusqu’à devenir absolue dans le placard où elle s’accompagne de la perte de tout repère temporel.
Dans les allers et retours entre le passé et le présent du narrateur, l’écriture est dense pour dépeindre le huis clos sordide vécu par les deux enfants, et aussi les années de reconstruction de Victor, confié à une grand-mère aussi bourrue que bienveillante. Tendre Ma, parfois si brusque, étouffée par la pudeur, incapable de gestes démonstratifs, mais si vigilante et attentive au quotidien de ce petit-fils blessé. Pour Victor (comme pour l’auteur!) elle est l’incomparable reine des crêpes à la confiture de fraises. Quelle intense complicité dans le rituel hebdomadaire du lavage des cheveux de l’aïeule!
Dans le récit même du rendez-vous tragique de la vulnérabilité de l’enfance et de la folie maternelle, les mots restituent des traces de cette douceur et de cette poésie que ressentait Enzo, le jeune fugueur de Soleil de juin:
«... cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d'étoile. Allongé, le bras en l'air, je faisais virevolter lentement ma main dans le vide au-dessus de moi, caressant la lumière, l'enroulant dans mes doigts comme un ruban de fil doré, créant ainsi sur les murs de notre prison une valse d'ombres chinoises informes. Pendant des heures, je pouvais m'abandonner dans cette chorégraphie, dans ce corps à corps avec les particules de lumière qui gravitaient telles des myriades de vers luisants autour de moi.»
Victor se pose bien des questions, il n’en a pas les réponses, même en explorant les notes d’audience d’un procès tardif et les nébuleuses expertises psychiatriques. Il peut s’étonner aussi de l’indifférence paternelle ou des lenteurs administratives qui enveloppent cette tragédie, mais lui, il découvre le monde, l’amitié, les filles avec curiosité, intelligence et une gourmandise toute sensuelle. À l’aube naissante d’un nouveau siècle, il est sans haine, ses capacités de rencontres et d’amour ne semblent pas écornées. Survivant de l’horreur, il comprend juste que pour construire un avenir, il faut d’abord accepter son passé.
Merci aux éditions Viviane Hamy d’avoir donné sa chance, pour la seconde fois, au jeune auteur talentueux qu’est Thomas Oussin. Deux titres, deux ambiances si différentes… Son inventivité, sa façon de créer un cadre pour traiter des thématiques qui restent d’actualité, la beauté formelle de son style à la fois précis et poétique, recèlent encore bien des promesses pour le lecteur.
Christiane Sistac
À double tour de Thomas Oussin, éditions Viviane Hamy, 2023, 130 p.
Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
L’adoption de la première personne pour le narrateur et les quelques alexandrins empruntés à Médée – tragédie de Corneille et terrible création du poète grec Euripide – ferait redouter le pire au lecteur s’il n’était pas averti dès la quatrième de couverture. Nous sommes à nouveau dans un roman, et si nous devons chercher la part autobiographique de l’auteur, elle réside sans doute dans l’affectueux portrait que fait de Ma, sa grand-mère maternelle, ce Victor de dix-sept ans, victime résiliente du plus terrible des drames familiaux. Thomas Oussin a d’ailleurs dédié ce nouvel opus à ses grands-mères. Et «la création est un cadre dans lequel je peux vivre tout ce que je n’ai pas vécu», avoue-t-il.
Ce qu’il nous livre pourrait être une histoire de maltraitance ordinaire, celle de deux petits Poils de carotte, livrés à la mère et délaissés ou maltraités, dans le contexte d’un divorce conflictuel sur fond d’adultère et de double vie… Mais c’est à un drame d’une autre envergure que vont être confrontées les jeunes vies de Victor, six ans, et d’Amandine, neuf ans.
Qu’a-t-il pu se passer dans la tête de cette femme trompée pour que la haine portée à l’époux se retourne contre les enfants issus de leur histoire commune? Jusqu’à vouloir les effacer socialement, et puis, jusqu’à commettre l’acte le plus effroyable qui soit: l’impensable infanticide? C’est dans l’histoire sanglante d’une folie vengeresse, celle qui leva le poignard de Médée sur les fils de Jason et se répercute, au fil des siècles, aujourd’hui dans les rubriques de fait divers et les chroniques judiciaires, que Thomas Oussin puise son inspiration. Des mois de séquestration et du fracas de violence d’un jour d’été sans lumière, seul Victor sortira vivant. Fragile mais vivant!
Le style de Thomas Oussin a évolué. À la douce luminosité de Soleil de juin, il oppose à présent cette obscurité qui est imposée aux deux enfants. Elle domine la lumière artificielle des lampes de chevet, le faisceau provisoire d’une lampe de poche découverte dans un tiroir, jusqu’à devenir absolue dans le placard où elle s’accompagne de la perte de tout repère temporel.
Dans les allers et retours entre le passé et le présent du narrateur, l’écriture est dense pour dépeindre le huis clos sordide vécu par les deux enfants, et aussi les années de reconstruction de Victor, confié à une grand-mère aussi bourrue que bienveillante. Tendre Ma, parfois si brusque, étouffée par la pudeur, incapable de gestes démonstratifs, mais si vigilante et attentive au quotidien de ce petit-fils blessé. Pour Victor (comme pour l’auteur!) elle est l’incomparable reine des crêpes à la confiture de fraises. Quelle intense complicité dans le rituel hebdomadaire du lavage des cheveux de l’aïeule!
Dans le récit même du rendez-vous tragique de la vulnérabilité de l’enfance et de la folie maternelle, les mots restituent des traces de cette douceur et de cette poésie que ressentait Enzo, le jeune fugueur de Soleil de juin:
«... cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d'étoile. Allongé, le bras en l'air, je faisais virevolter lentement ma main dans le vide au-dessus de moi, caressant la lumière, l'enroulant dans mes doigts comme un ruban de fil doré, créant ainsi sur les murs de notre prison une valse d'ombres chinoises informes. Pendant des heures, je pouvais m'abandonner dans cette chorégraphie, dans ce corps à corps avec les particules de lumière qui gravitaient telles des myriades de vers luisants autour de moi.»
Victor se pose bien des questions, il n’en a pas les réponses, même en explorant les notes d’audience d’un procès tardif et les nébuleuses expertises psychiatriques. Il peut s’étonner aussi de l’indifférence paternelle ou des lenteurs administratives qui enveloppent cette tragédie, mais lui, il découvre le monde, l’amitié, les filles avec curiosité, intelligence et une gourmandise toute sensuelle. À l’aube naissante d’un nouveau siècle, il est sans haine, ses capacités de rencontres et d’amour ne semblent pas écornées. Survivant de l’horreur, il comprend juste que pour construire un avenir, il faut d’abord accepter son passé.
Merci aux éditions Viviane Hamy d’avoir donné sa chance, pour la seconde fois, au jeune auteur talentueux qu’est Thomas Oussin. Deux titres, deux ambiances si différentes… Son inventivité, sa façon de créer un cadre pour traiter des thématiques qui restent d’actualité, la beauté formelle de son style à la fois précis et poétique, recèlent encore bien des promesses pour le lecteur.
Christiane Sistac
À double tour de Thomas Oussin, éditions Viviane Hamy, 2023, 130 p.
Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
Lire aussi
Commentaires