Vendredi 21 avril, alors qu’il devait signer à la célèbre librairie bordelaise Mollat, celle-ci s’est vue vandaliser la veille au soir, couverte de collages et de graffitis en tout genre, ceux-ci s’indignant de la venue de l’auteur coupable de tous les « mots » du moment.
Crédit photo: DR
Ainsi donc voici le nouvel homme à abattre du féminisme français, on a les combats que l’on peut.
Frédéric Beigbeder déchaîne désormais la haine et la vindicte.
Sa séance de dédicace à la librairie Mollat sera pourtant maintenue, et l’auteur arrivera sous protection policière, improbable et ubuesque (demie) victoire des nouveaux censeurs de notre temps.
À l’heure où j’écris ce texte, nombre de féministes, certaines d’être de celles qui changeront le monde en interdisant à un homme de signer des livres, manifestent devant ladite librairie.
Voilà les grands combats du siècle pour celles-là.
Frédéric Beigbeder n’a pas violé, il n’a pas forcé, il n’a pas insulté. Jamais. Ça ne lui est d’ailleurs pas reproché.
Personne ne trouve rien de fiable de la sorte pour armer correctement sa fusillade médiatique, ou justifier cette nouvelle cabale populaire.
Son livre, trop honnête, ne sert que de prétexte à un lynchage devenu ordinaire car, finalement, il est beaucoup plus aisé de se déchainer sur un homme que de faire le décompte de nos manquements individuels et collectifs.
Que lui reproche-t-on au juste, alors ?
D’avoir, il y a près de vingt ans, aimé, trop, énormément, toutes les femmes qu’il croisait. Il les a aimées à en demander à chacune d’entre-elles si elles voulaient bien lui faire l’honneur d’un baiser. Je me souviens d’un Frédéric, qui fut mon camarade de jeunesse, supplier certaines, sans violence ni agressivité, pour espérer recueillir un simple et tendre bécot et, face à leur refus amusé, faire mine d’un désespoir infini qui n’était pas toujours feint.
Frédéric ne s’aimait pas. Il jugeait sévèrement son menton en galoche et son visage qu’il trouvait facilement ingrat et ne voyait que ses supplications enamourées pour rattraper, auprès des femmes, ce que la nature ne lui avait, pensait-il, pas offert.
Son orgueil serait en droit de lui faire quelques procès, sûrement pas ces femmes-là.
Car enfin, ce que le féminisme éveillé réclame aujourd’hui, n’est-ce pas très précisément que les hommes agissent comme Frédéric le faisait spontanément il y a bientôt vingt ans ? Ne réclame-t-il pas, ce féminisme-là, à corps et à cris, que les mâles demandent avant que d’embrasser, qu’ils s’enquièrent du consentement de l’autre ?
Frédéric faisait donc, déjà à cette époque, ce que le féminisme rêve pour aujourd’hui.
Crédit photo: DR
Il s’agirait de faire montre d’un peu de cohérence dans les revendications !
Preuve en est : des hashtags ont récemment fleuri sur les réseaux, ils racontent, en substance « MeeTooJeLuiAiMisUnVent ». Mais, mesdames, l’homme auquel on peut mettre un vent n’est-il pas le contraire, par essence, d’un agresseur sexuel ?
Qu’aurais-je aimé, en mon temps, pouvoir mettre un vent à Dominique Strauss-Kahn !
Dans son livre, à ce sujet, Frédéric Beigbeder, s’excusant d’avoir possiblement mal réagi quand une de ses auteurs lui contait un baiser forcé de Patrick Poivre d’Arvor, éclatant de rire et jetant « Normal, tu es une fille » à celle qui lui disait le fait, précise que s’il a vraiment ri ce jour-là (ce dont il n’a aucun souvenir, absolument aucun, et je connais trop bien le goût de Frédéric pour la confession et le rêve d’absolution pour douter de lui sur ce sujet, nous ne saurons donc jamais la vérité sur la réalité de cette scène rapportée tant d’années plus tard), s’il a vraiment ri ce jour-là, donc, ça ne ressemble pas à l’homme qu’il était déjà à l’époque.
Il en veut pour preuve, écrite ainsi dans son livre, qu’il n’a pas ri, du tout, quand je lui décrivais la scène que j’avais vécue, moi, avec Monsieur Strauss-Kahn.
Dans son livre, Frédéric suggère « Demandez-lui ! », ce que de nombreuses personnes ont fait. Je profite de ses lignes pour dire que non, Frédéric n’a pas ri, il a pris très au sérieux une affaire qui faisait, en revanche, rire tout Paris. Car, quoiqu’on en dise aujourd’hui qu’il est l’homme à abattre, Frédéric n’a jamais admis que l’on puisse forcer une femme à quoique ce soit, sa vie durant a été une éternelle quête de consentement.
Que lui reproche-t-on encore ? D’avoir pris trop de temps à faire le deuil de son amitié avec Gabriel Matzneff face à l’immondice de la réalité de l’homme.
C’est vrai, il a mis du temps à le condamner aussi fermement qu’il le fait aujourd’hui. C’est absolument et parfaitement vrai. Mais je ne peux m’empêcher de penser que ceux qui continuent de lui en vouloir pour ça s’achètent ainsi, à moindre frais, une absolution du temps qu’ils ont mis, eux-mêmes, à réagir. En en voulant à Frédéric, ils évitent bien aisément de s’en vouloir à eux-mêmes. Car alors que dire de Gallimard qui a publié Gabriel Matzneff pendant trente ans alors que ses écrits ne cachaient rien de celui qu’il était ? Que dire de tous ses lecteurs qui, comme Frédéric, ont pensé que ses frasques insupportables, racontées par le menu dans ses lignes, n’étaient rien d’autre que de la provocation teintée de mythomanie littéraire propre à choquer le lecteur avec malice ?
Ont-ils tous réalisé, le lisant, qui était vraiment le Matzneff derrière l’auteur ?
S’ils l’ont compris à la première ligne, alors c’est ignoble car tous ses lecteurs sont comptables d’avoir aimé lire ses crimes. S’ils ne l’ont pas compris, alors pourquoi en vouloir à Frédéric d’avoir été dupé comme eux l’ont été ? Comme Gallimard ? Comme les animateurs de tous ces plateaux littéraires qui le recevaient à l’envi ? Comme les téléspectateurs qui s’en sont très rarement offusqués ? Comme le journal Le Monde qui a laissé au Monsieur chronique ouverte quatre ans durant ?
Évidemment, il est plus confortable de « canceller » Frédéric que de mener Le Monde sur le bûcher ou d’arrêter de lire toute la bibliothèque Gallimard. Évidemment.
Que reproche-t-on encore à Frédéric Beigbeder ? D’avoir suggéré avec humour, peut-être mauvais humour mais qu’importe, que ses écrits, dénonçant tour à tour les réseaux de prostitution des oligarques russes ou les femmes traitées comme des bestiaux dans le monde de la publicité, auraient dû lui valoir une médaille de « combattant antisexiste » à l’heure où Annie Ernaux, se voyant récompensée du prix Nobel pour son travail, déclarait aux Suédois vouloir avec ce prix « venger son sexe ! »
Que Frédéric émette des réserves sur ce champs lexical revanchard et guerrier, qu’il appuie l’évidence, que ça n’est pas ainsi que s’apaisera notre société et que la bataille pour l’égalité doit être une bataille collective et non une guerre entre les sexes, qu’il préfère s’en amuser, disant que la plupart des hommes sont des hommes bons, et que la masse des hommes violents et indignes ne doit pas faire oublier cette réalité et qu’enfin, pour appuyer ce fait, il lance qu’il mériterait, lui, par miroir, une médaille « antisexiste » pour ses livres féministes avant l’heure, ne méritait pas l’opprobre reçue.
Non, cette insurrection démontre tristement notre très contemporaine incapacité collective à rire des sujets graves, incapacité que cette médaille qui n’existe pas semble avoir bousculée.
Frédéric Beigbeder n’est pas un ange, pas un diable non plus. Il n’est pas philosophe, pas anthropologue, pas flic, commissaire, juge ou ministre de l’égalité entre les femmes et les hommes. En écrivant ce livre, il n’est allé à l’encontre d’aucune loi mais, plus encore, d’aucun principe humaniste.
Qu’on lui reproche, à la fin de tout, de s’être positionné en victime, dans un monde qui en déborde, de victimes, tandis qu’il est lui né blanc, bourgeois et au bon endroit du globe, est d’une injustice crasse.
Il n’y a pas de compétition du malheur.
Dans ses lignes, Frédéric ne revendique pas une souffrance supérieure à celle des autres, à commencer par les femmes dont il donne les chiffres des violences qui leur sont faites avec effroi et ménagement.
Il raconte avec une humilité qui ne lui ressemble pas des souffrances véritables, les siennes. Faut-il que la société soit devenue à ce point gonflée d’une improbable colère pour lui refuser le droit de faire, à bientôt soixante ans, le décompte de ses peines sans jamais demander à qui que ce soit de le plaindre ? Frédéric raconte que la souffrance existe, même chez les blancs, riches, nés au bon moment, au bon endroit, comme je racontais dans mon premier roman la maltraitance sur mineur dans les beaux quartiers. Il ne revendique de participer à aucun concours du malheur, conscient que sa naissance le priverait de la victoire, tout comme j’ai souvent dit que la maltraitance sur enfant, si elle est terrible chez les riches, l’est encore plus chez les modestes, quand bien même l’enfant ne le réalise pas.
Dans son livre, Frédéric raconte comment la drogue a été sa guerre, son combat contre lui-même.
Alors que l’actualité a fait débattre tous et chacun sur les ravages de l’addiction, je trouve quelque peu malheureux de ne pas avoir reçu son message.
Il y a une quinzaine d’années, un journaliste belge me demandait ce que je pensais de la (mauvaise) vie de Frédéric Beigbeder. Je me souviens lui avoir répondu «Frédéric a reçu une éducation bourgeoise, dans son milieu, on ne se suicide pas, c’est bien trop vulgaire. Alors il se tue à petit feu devant nous tous, en espérant qu’on le sauvera et, nous, on s’en amuse.»
Dans son dernier livre, je n’ai rien lu d’autre que la confirmation de mon intuition de l’époque et, à l’heure où tous veulent le mettre à mort, je suis, moi, bien heureuse que l’amour l’ait enfin sauvé.
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Ainsi donc voici le nouvel homme à abattre du féminisme français, on a les combats que l’on peut.
Frédéric Beigbeder déchaîne désormais la haine et la vindicte.
Sa séance de dédicace à la librairie Mollat sera pourtant maintenue, et l’auteur arrivera sous protection policière, improbable et ubuesque (demie) victoire des nouveaux censeurs de notre temps.
À l’heure où j’écris ce texte, nombre de féministes, certaines d’être de celles qui changeront le monde en interdisant à un homme de signer des livres, manifestent devant ladite librairie.
Voilà les grands combats du siècle pour celles-là.
Frédéric Beigbeder n’a pas violé, il n’a pas forcé, il n’a pas insulté. Jamais. Ça ne lui est d’ailleurs pas reproché.
Personne ne trouve rien de fiable de la sorte pour armer correctement sa fusillade médiatique, ou justifier cette nouvelle cabale populaire.
Son livre, trop honnête, ne sert que de prétexte à un lynchage devenu ordinaire car, finalement, il est beaucoup plus aisé de se déchainer sur un homme que de faire le décompte de nos manquements individuels et collectifs.
Que lui reproche-t-on au juste, alors ?
D’avoir, il y a près de vingt ans, aimé, trop, énormément, toutes les femmes qu’il croisait. Il les a aimées à en demander à chacune d’entre-elles si elles voulaient bien lui faire l’honneur d’un baiser. Je me souviens d’un Frédéric, qui fut mon camarade de jeunesse, supplier certaines, sans violence ni agressivité, pour espérer recueillir un simple et tendre bécot et, face à leur refus amusé, faire mine d’un désespoir infini qui n’était pas toujours feint.
Frédéric ne s’aimait pas. Il jugeait sévèrement son menton en galoche et son visage qu’il trouvait facilement ingrat et ne voyait que ses supplications enamourées pour rattraper, auprès des femmes, ce que la nature ne lui avait, pensait-il, pas offert.
Son orgueil serait en droit de lui faire quelques procès, sûrement pas ces femmes-là.
Car enfin, ce que le féminisme éveillé réclame aujourd’hui, n’est-ce pas très précisément que les hommes agissent comme Frédéric le faisait spontanément il y a bientôt vingt ans ? Ne réclame-t-il pas, ce féminisme-là, à corps et à cris, que les mâles demandent avant que d’embrasser, qu’ils s’enquièrent du consentement de l’autre ?
Frédéric faisait donc, déjà à cette époque, ce que le féminisme rêve pour aujourd’hui.
Crédit photo: DR
Il s’agirait de faire montre d’un peu de cohérence dans les revendications !
Preuve en est : des hashtags ont récemment fleuri sur les réseaux, ils racontent, en substance « MeeTooJeLuiAiMisUnVent ». Mais, mesdames, l’homme auquel on peut mettre un vent n’est-il pas le contraire, par essence, d’un agresseur sexuel ?
Qu’aurais-je aimé, en mon temps, pouvoir mettre un vent à Dominique Strauss-Kahn !
Dans son livre, à ce sujet, Frédéric Beigbeder, s’excusant d’avoir possiblement mal réagi quand une de ses auteurs lui contait un baiser forcé de Patrick Poivre d’Arvor, éclatant de rire et jetant « Normal, tu es une fille » à celle qui lui disait le fait, précise que s’il a vraiment ri ce jour-là (ce dont il n’a aucun souvenir, absolument aucun, et je connais trop bien le goût de Frédéric pour la confession et le rêve d’absolution pour douter de lui sur ce sujet, nous ne saurons donc jamais la vérité sur la réalité de cette scène rapportée tant d’années plus tard), s’il a vraiment ri ce jour-là, donc, ça ne ressemble pas à l’homme qu’il était déjà à l’époque.
Il en veut pour preuve, écrite ainsi dans son livre, qu’il n’a pas ri, du tout, quand je lui décrivais la scène que j’avais vécue, moi, avec Monsieur Strauss-Kahn.
Dans son livre, Frédéric suggère « Demandez-lui ! », ce que de nombreuses personnes ont fait. Je profite de ses lignes pour dire que non, Frédéric n’a pas ri, il a pris très au sérieux une affaire qui faisait, en revanche, rire tout Paris. Car, quoiqu’on en dise aujourd’hui qu’il est l’homme à abattre, Frédéric n’a jamais admis que l’on puisse forcer une femme à quoique ce soit, sa vie durant a été une éternelle quête de consentement.
Que lui reproche-t-on encore ? D’avoir pris trop de temps à faire le deuil de son amitié avec Gabriel Matzneff face à l’immondice de la réalité de l’homme.
C’est vrai, il a mis du temps à le condamner aussi fermement qu’il le fait aujourd’hui. C’est absolument et parfaitement vrai. Mais je ne peux m’empêcher de penser que ceux qui continuent de lui en vouloir pour ça s’achètent ainsi, à moindre frais, une absolution du temps qu’ils ont mis, eux-mêmes, à réagir. En en voulant à Frédéric, ils évitent bien aisément de s’en vouloir à eux-mêmes. Car alors que dire de Gallimard qui a publié Gabriel Matzneff pendant trente ans alors que ses écrits ne cachaient rien de celui qu’il était ? Que dire de tous ses lecteurs qui, comme Frédéric, ont pensé que ses frasques insupportables, racontées par le menu dans ses lignes, n’étaient rien d’autre que de la provocation teintée de mythomanie littéraire propre à choquer le lecteur avec malice ?
Ont-ils tous réalisé, le lisant, qui était vraiment le Matzneff derrière l’auteur ?
S’ils l’ont compris à la première ligne, alors c’est ignoble car tous ses lecteurs sont comptables d’avoir aimé lire ses crimes. S’ils ne l’ont pas compris, alors pourquoi en vouloir à Frédéric d’avoir été dupé comme eux l’ont été ? Comme Gallimard ? Comme les animateurs de tous ces plateaux littéraires qui le recevaient à l’envi ? Comme les téléspectateurs qui s’en sont très rarement offusqués ? Comme le journal Le Monde qui a laissé au Monsieur chronique ouverte quatre ans durant ?
Évidemment, il est plus confortable de « canceller » Frédéric que de mener Le Monde sur le bûcher ou d’arrêter de lire toute la bibliothèque Gallimard. Évidemment.
Que reproche-t-on encore à Frédéric Beigbeder ? D’avoir suggéré avec humour, peut-être mauvais humour mais qu’importe, que ses écrits, dénonçant tour à tour les réseaux de prostitution des oligarques russes ou les femmes traitées comme des bestiaux dans le monde de la publicité, auraient dû lui valoir une médaille de « combattant antisexiste » à l’heure où Annie Ernaux, se voyant récompensée du prix Nobel pour son travail, déclarait aux Suédois vouloir avec ce prix « venger son sexe ! »
Que Frédéric émette des réserves sur ce champs lexical revanchard et guerrier, qu’il appuie l’évidence, que ça n’est pas ainsi que s’apaisera notre société et que la bataille pour l’égalité doit être une bataille collective et non une guerre entre les sexes, qu’il préfère s’en amuser, disant que la plupart des hommes sont des hommes bons, et que la masse des hommes violents et indignes ne doit pas faire oublier cette réalité et qu’enfin, pour appuyer ce fait, il lance qu’il mériterait, lui, par miroir, une médaille « antisexiste » pour ses livres féministes avant l’heure, ne méritait pas l’opprobre reçue.
Non, cette insurrection démontre tristement notre très contemporaine incapacité collective à rire des sujets graves, incapacité que cette médaille qui n’existe pas semble avoir bousculée.
Frédéric Beigbeder n’est pas un ange, pas un diable non plus. Il n’est pas philosophe, pas anthropologue, pas flic, commissaire, juge ou ministre de l’égalité entre les femmes et les hommes. En écrivant ce livre, il n’est allé à l’encontre d’aucune loi mais, plus encore, d’aucun principe humaniste.
Qu’on lui reproche, à la fin de tout, de s’être positionné en victime, dans un monde qui en déborde, de victimes, tandis qu’il est lui né blanc, bourgeois et au bon endroit du globe, est d’une injustice crasse.
Il n’y a pas de compétition du malheur.
Dans ses lignes, Frédéric ne revendique pas une souffrance supérieure à celle des autres, à commencer par les femmes dont il donne les chiffres des violences qui leur sont faites avec effroi et ménagement.
Il raconte avec une humilité qui ne lui ressemble pas des souffrances véritables, les siennes. Faut-il que la société soit devenue à ce point gonflée d’une improbable colère pour lui refuser le droit de faire, à bientôt soixante ans, le décompte de ses peines sans jamais demander à qui que ce soit de le plaindre ? Frédéric raconte que la souffrance existe, même chez les blancs, riches, nés au bon moment, au bon endroit, comme je racontais dans mon premier roman la maltraitance sur mineur dans les beaux quartiers. Il ne revendique de participer à aucun concours du malheur, conscient que sa naissance le priverait de la victoire, tout comme j’ai souvent dit que la maltraitance sur enfant, si elle est terrible chez les riches, l’est encore plus chez les modestes, quand bien même l’enfant ne le réalise pas.
Dans son livre, Frédéric raconte comment la drogue a été sa guerre, son combat contre lui-même.
Alors que l’actualité a fait débattre tous et chacun sur les ravages de l’addiction, je trouve quelque peu malheureux de ne pas avoir reçu son message.
Il y a une quinzaine d’années, un journaliste belge me demandait ce que je pensais de la (mauvaise) vie de Frédéric Beigbeder. Je me souviens lui avoir répondu «Frédéric a reçu une éducation bourgeoise, dans son milieu, on ne se suicide pas, c’est bien trop vulgaire. Alors il se tue à petit feu devant nous tous, en espérant qu’on le sauvera et, nous, on s’en amuse.»
Dans son dernier livre, je n’ai rien lu d’autre que la confirmation de mon intuition de l’époque et, à l’heure où tous veulent le mettre à mort, je suis, moi, bien heureuse que l’amour l’ait enfin sauvé.
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