Les casseroles ne sont pas uniquement faites pour préparer la tambouille, elles peuvent résonner sous les coups et exprimer le mécontentement populaire. Si les ménagères libanaises prenaient d’assaut notre Parlement, le tintamarre menaçant et les rouleaux à pâtisserie feraient entendre raison à nos députés sous influence.
Pour Wikipédia, une batterie est une «unité d’artillerie désignant un petit groupe de pièces (canon, mortier, obusier, etc.) destinées à lancer des projectiles à une grande distance». Sans plus! Or il est des batteries qui, dans l’arène politique, sont tout aussi efficaces. Et il est regrettable que cette encyclopédie en ligne ait ignoré le poids et l’effet des batteries de casseroles, à l’instar de celles qui, le 20 avril, allaient réserver un accueil bruyant au président Emmanuel Macron, à Ganges, dans l’Hérault. Le même sort a d’ailleurs été réservé à Madame Elisabeth Borne et à d’autres responsables en divers endroits du territoire national français.
Les ustensiles de cuisine peuvent faire du bruit mais, dans leur prosaïsme, ils portent un message et sont investis d’une symbolique et de mythes que ne renierait pas Claude Lévi-Strauss*. Car ils se rapportent à la «tambouille», à l’alimentation et à la survie. D’ailleurs, le président français n’a pas manqué de le rappeler en disant: «Les œufs et les casseroles, c’est juste pour faire la cuisine chez (lui)».
Les janissaires et leur chaudron.
Ou Jules de Polignac ou François Guizot
Imaginons que les Français, connus pour être frondeurs et irrévérencieux, aient adopté ce procédé tintamarresque à chaque occasion pour renverser les bastions du régime. J’ose leur suggérer de faire le siège de Bercy, ce ministère responsable de leurs malheurs. Un concert métallique survolté pourrait faire s’écrouler la citadelle; les Hébreux avaient bien fait tomber les murs de Jéricho en soufflant dans les trompettes.
Et des précédents où les décibels étaient au rendez-vous, je ne citerai que deux choisis dans la fastueuse histoire de France:
Certains font remonter cette pratique aux Trois Glorieuses lorsque, en 1830, l’insurrection eut raison de Charles X et de son ministre Polignac. D’autres rapportent que cette forme de lèse-majesté se manifesta dans son outrecuidance, sous la monarchie de Juillet, à l’époque du ministère de François Guizot. C’est par le raffut des cocottes et des poêles que la France accueillit les réformes fiscales de 1841 que ce dernier avait engagées. Partout, nous dit-on, les élus et les agents du fisc furent pris à partie par les foules mécontentes et dans la cacophonie générale.
Quand les janissaires se mutinaient
Et le Mont Liban, alors? Quatre cents ans durant, nous fîmes partie de l’Empire ottoman; n’en déplaise à certains ultras, notre province était quelque peu autonome, mais surtout tributaire du sultan. Et l’histoire des janissaires est la nôtre. Alors, prenons exemple sur ces yeniçeri, qu’on appelait couramment inkisheri, pour qui la marmite, symbole de l’alimentation communautaire, soulignait leur loyauté envers le souverain. Si ces soldats d’élite acceptaient la nourriture de ce dernier, c’est qu’ils acceptaient son autorité. Par contre, s’ils la rejetaient en renversant leurs chaudrons à l’atmeydani (terrain de parade; le vieil hippodrome), cela signifiait la rébellion. La soupe déversée à terre, la marmite, sens dessus dessous, se transformait en énorme tambour battant au rythme de la louche. Les sultans tremblaient à l’idée d’avoir à entendre ce signal de la mutinerie. Cette pratique ottomane a tellement marqué la mémoire collective turque que toute émeute, et même toute protestation au sein d’une famille, est désignée comme kazan kaldirmak, à savoir «le renversement de la marmite».
Les trompettes de Jéricho.
Trompettes de Jéricho, place de l’Étoile
Qu’importe la marque, qu’elle soit française comme Tefal, suédoise comme Ikea ou japonaise comme Invicta, tout ustensile de cuisine peut, à peu de frais, c’est-à-dire sans poudre à canon ni éclats d’obus, exprimer l’insurrection. Par ailleurs, et sans chercher à nous immiscer dans la querelle suscitée par la théorie du genre, nous pouvons avancer que la casserole est, avec le rouleau à pâtisserie, l’arme de choix de la ménagère, et quand cette dernière s’en sert, c’est qu’il y a péril en la demeure. Or les enfants ont faim et rien ne les rassasierait comme l’occupation bruyante du siège de la volonté populaire!
Femmes du Liban, essayez-vous donc à une turquerie. L’exemple des janissaires, sinon l’exemple français, serait bon à suivre. Prenez d’assaut le Parlement. Une contestation ou une pollution sonore à la Stockhausen pourrait rendre la raison à des députés sous influence.
*Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, vol. 1, Le cru et le cuit, Plon, 1964.
Pour Wikipédia, une batterie est une «unité d’artillerie désignant un petit groupe de pièces (canon, mortier, obusier, etc.) destinées à lancer des projectiles à une grande distance». Sans plus! Or il est des batteries qui, dans l’arène politique, sont tout aussi efficaces. Et il est regrettable que cette encyclopédie en ligne ait ignoré le poids et l’effet des batteries de casseroles, à l’instar de celles qui, le 20 avril, allaient réserver un accueil bruyant au président Emmanuel Macron, à Ganges, dans l’Hérault. Le même sort a d’ailleurs été réservé à Madame Elisabeth Borne et à d’autres responsables en divers endroits du territoire national français.
Les ustensiles de cuisine peuvent faire du bruit mais, dans leur prosaïsme, ils portent un message et sont investis d’une symbolique et de mythes que ne renierait pas Claude Lévi-Strauss*. Car ils se rapportent à la «tambouille», à l’alimentation et à la survie. D’ailleurs, le président français n’a pas manqué de le rappeler en disant: «Les œufs et les casseroles, c’est juste pour faire la cuisine chez (lui)».
Les janissaires et leur chaudron.
Ou Jules de Polignac ou François Guizot
Imaginons que les Français, connus pour être frondeurs et irrévérencieux, aient adopté ce procédé tintamarresque à chaque occasion pour renverser les bastions du régime. J’ose leur suggérer de faire le siège de Bercy, ce ministère responsable de leurs malheurs. Un concert métallique survolté pourrait faire s’écrouler la citadelle; les Hébreux avaient bien fait tomber les murs de Jéricho en soufflant dans les trompettes.
Et des précédents où les décibels étaient au rendez-vous, je ne citerai que deux choisis dans la fastueuse histoire de France:
Certains font remonter cette pratique aux Trois Glorieuses lorsque, en 1830, l’insurrection eut raison de Charles X et de son ministre Polignac. D’autres rapportent que cette forme de lèse-majesté se manifesta dans son outrecuidance, sous la monarchie de Juillet, à l’époque du ministère de François Guizot. C’est par le raffut des cocottes et des poêles que la France accueillit les réformes fiscales de 1841 que ce dernier avait engagées. Partout, nous dit-on, les élus et les agents du fisc furent pris à partie par les foules mécontentes et dans la cacophonie générale.
Quand les janissaires se mutinaient
Et le Mont Liban, alors? Quatre cents ans durant, nous fîmes partie de l’Empire ottoman; n’en déplaise à certains ultras, notre province était quelque peu autonome, mais surtout tributaire du sultan. Et l’histoire des janissaires est la nôtre. Alors, prenons exemple sur ces yeniçeri, qu’on appelait couramment inkisheri, pour qui la marmite, symbole de l’alimentation communautaire, soulignait leur loyauté envers le souverain. Si ces soldats d’élite acceptaient la nourriture de ce dernier, c’est qu’ils acceptaient son autorité. Par contre, s’ils la rejetaient en renversant leurs chaudrons à l’atmeydani (terrain de parade; le vieil hippodrome), cela signifiait la rébellion. La soupe déversée à terre, la marmite, sens dessus dessous, se transformait en énorme tambour battant au rythme de la louche. Les sultans tremblaient à l’idée d’avoir à entendre ce signal de la mutinerie. Cette pratique ottomane a tellement marqué la mémoire collective turque que toute émeute, et même toute protestation au sein d’une famille, est désignée comme kazan kaldirmak, à savoir «le renversement de la marmite».
Les trompettes de Jéricho.
Trompettes de Jéricho, place de l’Étoile
Qu’importe la marque, qu’elle soit française comme Tefal, suédoise comme Ikea ou japonaise comme Invicta, tout ustensile de cuisine peut, à peu de frais, c’est-à-dire sans poudre à canon ni éclats d’obus, exprimer l’insurrection. Par ailleurs, et sans chercher à nous immiscer dans la querelle suscitée par la théorie du genre, nous pouvons avancer que la casserole est, avec le rouleau à pâtisserie, l’arme de choix de la ménagère, et quand cette dernière s’en sert, c’est qu’il y a péril en la demeure. Or les enfants ont faim et rien ne les rassasierait comme l’occupation bruyante du siège de la volonté populaire!
Femmes du Liban, essayez-vous donc à une turquerie. L’exemple des janissaires, sinon l’exemple français, serait bon à suivre. Prenez d’assaut le Parlement. Une contestation ou une pollution sonore à la Stockhausen pourrait rendre la raison à des députés sous influence.
*Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, vol. 1, Le cru et le cuit, Plon, 1964.
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